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manifestent à chaque nouvelle phase de la culture intellectuelle des peuples civilisés, ne peuvent jamais, quelque sagement conçus, quelque ha bilement combinés qu'ils soient, obtenir un succès durable, ni servir de point de ralliement aux amis de la science. La profonde connaissance qu'avait Platner de l'histoire des doctrines métaphysiques lui aurait pu faire prévoir, et lui avait sans doute fait pressentir le résultat de sa méditation éclectique, en lui montrant, que, depuis qu'on recherche les principes fondamentaux du savoir humain, jamais on ne vit réussir une pareille entreprise: les hommes méditatifs, qui se livrent à l'investigation de ces principes, ne s'attachent qu'aux systèmes formés, pour ainsi dire, d'un seul jet, respirant dans toutes leurs parties le même esprit, la même vie, et empreints de cette unité que la raison humaine, parce qu'elle en a le type en elle même, voudrait retrouver dans toutes ses émanations, et surtout dans celle de ses créations, où doivent se déployer éminemment son besoin de conséquence, et son pouvoir souverain. Ne voulant point marcher sous l'étendart du nouveau reformateur de la métaphysique, et n'ayant pas la force de tête nécessaire pour offrir aux amis des hautes spéculations, une nouvelle analyse des éléments de notre nature, qui les satisfît et tirât d'un seul foyer toutes les lumières que la philosophie est appelée à fournir aux diverses parties de l'édificede nos connaissances; mais ne pouvant se dissimuler et la défectuosité des systèmes que le criticisme avait décrédités, et la justesse de quel ques-uns des aperçus de la nouvelle école, il s'efforça de faire ressortir tantôt la faiblesse des appuis des doc

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trines dominantes, tantôt le mérite de systèmes oubliés ou trop dédaignés. Ces réflexions sur le changement de direction qu'une étude attentive des écrits philosophiques de Platner fait aisément apercevoir et suivre dans les modifications et les développements de nature diverse qu'offrent leurs différentes éditions et ses travaux de date plus ancienne ou plus récente, suffiront pour remplir le double but que nous devions, avant toute chose, tâcher d'atteindre dans celte Notice, celui de donner une idée nette du caractère et des motifs de la refonte que les Aphorismes philosophiques, le plus célèbre des ouvrages de Platner, ont subie, chaque fois qu'ils ont été réimprimés par les soins de l'auteur; et celui d'indiquer le genre de mérite qui est particulier aux écrits de ce philosophe, et qui leur assure une utilité indépendante de l'empire des écoles passées et futures, par la sagacité, la concision, la profonde connaissance des textes originaux, et l'impartialité d'exposition, qui brillent dans les notes historiques qu'il a jointes aux paragraphes de ses livres élémentaires, et où il jette souvent un jour inattendu sur les points les plus obscurs des systèmes antérieurs à celui de Kant. Mais nous devons faire précéder l'indication des plus remarquables productions de la plume de Platner, d'une légère esquisse des principes sceptiques qui ont présidé à la rédaction des écrits qu'il a publiés pendant le règne de la philosophie critique en Allemagne. « Toutes nos idées ( c'est-là le point de départ et le résultat des méditations de Platner), toutes nos sensations, perceptions, représentations, notions, etc., ne sont, en définitive autre chose que des rapports. Nous

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ne sommes aucunement fondés à leur attribuer une réalité objective.L'existence de nos représentations, tant de celles des sens et de l'imagination, que des idées de la raison, est la seule chose dont nous ayons l'entière certitude.Lorsque les représentations del'un et de l'autre genre conservent invariablement un même degré d'intensité, nous sommes, par les lois de notre nature, conduits à la conviction qu'elles possèdent une vé rité objective, c'est-à-dire, nous sommes dans la nécessité de leur attribuer un objet, quoique nous soyons dans l'impossibilité de démontrer que cette qualité de se rapporter à un objet, cette objectivité, en un mot, n'est pas uniquement une conséquence de ces lois; qu'elle est réellement objective et non pas subjective, puisqu'il est évident que nous ne pouvons sortir de nos idées pour pénétrer dans les objets et les comparer avec elles, et qu'en conséquence, les objets de nos perceptions sensibles nous demeurent aussi complètement inconnus que les fondements de nos idées d'un monde placé hors de la portée de nos sensations. Cependant nous croyons à la réalité du monde matériel, et à la vérité des conclusions tirées conformément aux lois fondées dans la nature de notre entendement; et cette croyance est involontaire, et nullement l'effet d'une espèce de résignation qui nous porte à nous contenter d'une simple croyance, à défaut de bases plus solides; elle est une inévitable nécessité tenant à l'organisation de notre nature. Le sceptique ne prétend donc pas déterminer les limites de notre faculté cognitive (comme Kant s'est imaginé en avoir acquis le droit par son analyse), et encore moins faire le départ de ce qui, dans nos

connaissances, est d'origine objective ou subjective, ni affirmer l'impuissance de cette faculté, ou abandonner l'investigation de sa nature, par tous les moyens en notre pou voir. Le sceptique n'affirme rien, ne nie rien, pas même qu'on ne saurait rien affirmer, ou que nos connaissances sont purement subjectives. Il renonce à établir aucune proposition de valeur absolue et universelle; il se dépouille de toute prétention systématique: il n'appuie son sentiment sur aucun principe apodictique; il se borne à le justifier par des considérations tirées du point de vue individuel dans lequel les pouvoirs cognitifs de l'homme se présentent à son esprit. Le caractère de son scepticisme n'est donc, en aucune façon, une hésitation accompagnée de doute, une perplexité vacillante entre des opinions opposées, mais une impartialité il est vrai parfaite, une inébranlable indépendance (ataraxie), spectatrice tranquille des variations qu'offrent les assertions établies par les différents systèmes philosophiques, disposée cependant à admettre la réalité de tout ce que l'homme, par la nature de ses facultés intellectuelles, est conduit à reconnaître pour vrai. » Le sceptique, ajoute Platner, est fort éloigné de refuser une valeur pleine et suffisante aux preuves sur lesquelles se fondent l'histoire, la philosophie, la religion, en tant que la croyance qu'elles établissent en faveur des objets de leur investigation, est présentée par elles comme la conséquence naturelle des lois que suivent, dans leurs opérations, nos facultés pensantes. Cette dernière restriction même, le sceptique ne l'étend pas au domaine de la morale, qui, renfermée tont entière dans la conscience immédiate du moi, n'a rien de commun

res, sur l'uniformité de structure. et la nature secrétoire de toutes les parties médullaires et nerveuses. Comme écrivain, Platner tient un rang distingué dans la littérature allemande. La manière piquante et neuve dont il énonce les propositions souvent très-abstruses de ses devanciers, qu'il présente sous une face inattendue, contribue à dissiper l'obscurité dont elles sont enveloppées. Il a, toutefois, été moins heureux en essayant de changer la place des mots dans la période, et de leur donner un ordre plus naturel et plus logique que l'usage ne le leur assigne dans la phrase allemande. Ses derniers écrits n'offrent plus de traces de ces innovations grammaticales. S'amendant lui-même, malgré l'approbation de quelques imitateurs, que l'exemple d'un écrivain illustre avait entraînés, on l'a vu, dans ses écrits, revenir à l'arrangement consacré par les auteurs classiques de la langue. Une élégance qui lui était naturelle, et qu'on trouve dans ses compositions latines, tout-àfait dignes d'un disciple d'Ernesti, distingue même ceux de ses ouvrages où il s'était plu à se créer une diction particulière, et elle donnait beaucoup d'attrait à ses cours de philosophie et à sa conversation. Platner était le Nestor de la philosophie allemande, lorsqu'il est mort, le 12 mai 1818, âgé de soixante-quatorze ans (1), après avoir célébré, l'année précédente, son jubilé doctoral, aux applaudissements des maîtres et des élèves de l'université qu'il avait illustrée à-la-fois comme écrivain et comme professeur, étant doué d'un grand

avec ce qu'on appelle objets ou réa-
lité objective, dans la signification
stricte du mot: il se sent donc, et
il n'hésite pas à se déclarer, intime-
ment convaincu de l'existence et de
la force obligatoire de la loi du de-
voir. » On voit bien, par ce court
aperçu, que Platner a plutôt éludé que
traité l'ancienne question du passage
du sujet à l'objet, qui ne peut être ré-
solue qu'en montrant, soit l'identité
de l'un et de l'autre, (en les faisant
envisager comme se renfermant l'un
l'autre, ou comme offrant deux as-
pects d'un seul et même être), soit la
manière dont la transition s'opère et
peut être constatée avec une évidence
suffisante. La solution de ce grand
problème, le seul fondamental de
toute métaphysique, n'a rien ga-
gné au scepticisme de Platner, qui,
d'ailleurs, se distingue plutôt par
la clarté de l'expression, que par
l'originalité des idées. Il y a plus
de mérite dans ses ouvrages de mo-
rale et de physiologie. Il a mis d'a-
bord beaucoup de soin à bien dé-
velopper le principe de la morale
de Leibnitz et de Wolf, Perfice te,
en faisant consister le bien moral
dans ce qui produit le bonheur de l'in-
dividu, et contribue à la perfection
de l'ensemble des êtres, et surtout à
l'amélioration du sort des êtres sensi-
bles. La lecture des ouvrages de Kant
lui ayant dévoilé les inconvénients
attachés à tout système de morale qui
en fait dériver le principe de la notion
du bonheur, il s'est rapproché beau-
coup
des idées du philosophe de Ko-
nigsberg, dans la deuxième édition du
second volume de ses Aphorismes.
Ses vues en physiologie avoisinent
aussi celles de Stahl, dans le rôle
qu'il fait jouer à l'ame humaine, et
offrent d'ingénieux aperçus confir-
més par des recherches postérieu- complet.

(1) Le Dictionn. hist. crit. et bibliogr., qui place sa mort au commencement de l'année 1819, dit qu'il était alors dans un état d'aliénation mentale presque

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talent pour l'enseignement et de toutes les grâces de l'élocution. Il n'a jamais rempli de fonctions étrangères à l'instruction publique, si l'on excepte sa nomination à celle de membre de la commission créée en 1816, par le roi de Saxe, pour s'occuper de la rédaction d'un projet de loi sur la liberté de la presse. Les ouvrages de Platner forment deux classes fort distinctes Nous indiquerons d'abord ceux qui appartiennent à la médecine et à la physiologie: I. Anima quo sensu crescere dicatur, Leipzig, 1768, in 4°. II. De vi corporis in memoriam, ibid., 1769, in-4°. III. Lettres d'un médecin à son ami (en allem.), 2 vol., 1772-74, in-8°. IV. Supplementa in J. Z. Platneri Institutiones chi rurgia, pars I., 1773, in-8°.; un autre Supplément à la Chirurgie de son père parut, en 1776, in-8°. V. Quæstionum medicine forensis de amentiá dubid, part. I-II, ibid., 1796, 1797, in-4°.: ces Programmes, joints à d'autres Mémoires de Platner, relatifs à la médecine légale, ont été traduits en allemand, par le D. C. E. Hedrich, et publiés, en 1820, à Leipzig, in-8°. VI. Anthropologie pour les médecins et les philosophes, 2 vol., ibid., 1771 et 1772, in-8°. Cet ouvrage, qui appartient à la psychologie, tout autant qu'à la physiologie, fit beaucoup de sensation lorsqu'il parut. Une application ingénieuse des étu des du médecin aux problèmes de la philosophic, des vues neuves et lumineuses sur plusieurs parties de l'anthropologie physique et intellectuelle, et un grand mérite de style, le recommandèrent également à l'attention des savants et des littérateurs, et contribuèrent, presque autant que les Aphorismes,

à placer l'anteur au premier rang des écrivains philosophes de l'Allemagne. Le premier volume, entièrement refondu (il a 664 pages, dans la 2o. éd.), a été republié en 1 1790, mais sans qu'il en ait paru de suite depuis. On y trouve exposées, avec beaucoup d'esprit et d'interêt, l'hypothèse d'un double organe de l'ame, et celle de deux espèces différentes de fluide nerveux, hypothèses accueillies d'abord avec assez de faveur, mais rejetées par les physiologistes psychologues de nos jours. VII. Quæstionum physiologicarum libri duo, ibid., 1794, in-8°. La latinité de ce livre, qui est le recueil des Programmes physiologiques de l'auteur, rappelle, par la pureté et l'élégance de la diction, l'école d'Ernesti et les ouvrages de Gaubius. Il faut y joindre le Programme imprimé en 1794: Anridiculum sit, animi sedem inquirere. Dans l'un et l'autre écrit, Platner se déclare partisan des idées de Stahl, sur la part que l'ame prend aux fonctions du corps animé; il soutient l'existence de deux genres de perceptions, accompagnées ou privées de conscience. Les écrits philosophiques de Platner sont 1. Aphorismes philosophiques, avec des notes relatives à l'histoire des opinions des philosophes, 2 vol., 1776 et 1782, in -8°. Le premier volume a été réimprimé deux fois, avec des changements considérables, en 1784 (500 pag.) et en 1793 (656 pág.) C'est à cette dernière édition, publiée depuis l'impulsion donnée aux spéculations métaphysiques par la doctrine de Kant, que se rapportent principalement nos réflexions générales sur la philosophie de Platner. Le second volume des Aphorismes a subi une métamorphose encore plus complète : au lieu de 480 pag. de la première

edition, celle de 1800, qui est plutôt un ouvrage refait à neuf, en tient 848.-20. Dialogue sur l'atheisme (imprimé dans la Traduction que K. G. F. Schreiter a donnée, en 1781, des Dialogues de Dav. Hume sur la religion naturelle. 3o. Elements de logique et de métaphysique, ib., 1795, in-8°. S- -R.

PLATOFF, attaman (1) ou chef de la nation des Cosaques du Don, au commencement de ce siècle, était né, dans la Russie méridionale, vers 1765. De 1806 à 1815, il prit part aux nombreuses campagnes des Russes, se signala comme un des plus habiles généraux de cavalerie légère; et, par l'importance qu'il sut donner aux opérations des Cosaques, influa beaucoup sur le succès des armes de l'empereur Alexandre. En 1806 et 1807, il avait le grade de lieutenant - général dans l'armée qui vint au secours des Prussiens, et fut battue par l'armée française. Ayant éte envoyé ensuite à l'armée de Moldavie, qui combattait contre les Turcs, cette campagne lui valut le grade de général de cavalerie. En 1812, il était à l'armée qui devait empêcher les Français de pénétrer en Russie; mais, battu le 30 juin aux environs de Grodno, et poursuivi sur plusieurs points, il fut obligé, avec les débris de l'armée russe, de se retirer promptement dans l'intérieur. Il reprit ses avantages lors de la fameuse retraite de Moscou à la Bérésina. Avec vingt régiments de Cosaques, Platoff harcela l'armée française, et ajouta beaucoup aux désastres auxquels elle fut en proie, et qui en détruisirent la plus grande partie. Le feld - maréchal Barclay de Tolly, dans une lettre qu'il

(1) En polonais. Hetman.

adressa plus tard à Platoff, reconnut les services éminents que les Cosaques, confiés à son commandement, avaient rendus dans cette poursuite, pendant laquelle ils enlevèrent aux troupes de Buonaparte le butin de Moscou, consistant principalement en argenterie, dont ils firent ensuite don à l'église de NotreDame de Casan, à Pétersbourg. Mais Platoff eut la douleur de voir expirer dans ses bras son jeune fils, qui avait été percé d'un été percé d'un coup de lance par un hulan polonais, aux environs de Vereia. Les Cosaques, pour témoigner leur vénération à leur chef, firent à son fils des funérailles pompeuses. Cependant Platoff ne s'est jamais consolé de la perte d'un fils qu'il se flattait d'avoir pour successeur dans le commandement de sa nation. L'année suivante, les Cosaques de Platoff pénétrèrent avec les Russes en Allemagne; et après la bataille de Leipzig, ils firent la campagne de France. Lorsqu'après le combat de Bar-surAube, les souverains alliés divisèrent leur armée en deux parties pour filer le long de la Marne et de la Seine, Platoff reçut l'ordre de manœuvrer entre les deux corps avec une nuée de Cosaques. Paris étant enfin tombé au pouvoir des alliés, Platoff y fit son entrée avec le quartier-général. Les souverains avaient déjà récompensé ses services par des décorations d'ordres: il se rendit, leur suite, avec le général Blucher, en Angleterre, où le commerce de Londres lui vota un présent, consistant en un sabre magnifique. En 1815 il eut encore le commandement des Cosaques destinés à la seconde invasion de France, et Paris le vit reparaître avec sa troupe. A la paix, il se retira au Nouveau Tcherkask, où il mourut en février 1818. Les

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