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nir aux places qu'elle offrait, et ensuite voulant jouir en paix du frivole honneur d'y être assis, il ne sortirait plus de leur plume rien de grand, rien de fort, rien de libre? Il est permis de prêter cette vue profonde à un homme qui sut combiner avec tant d'art tous les ressorts du despotisme, et s'il l'eut, il faut convenir qu'elle a été bien parfaitement remplie."

Après cet exorde, M. de Guibert nous représente le chancelier de l'Hôpital comme un de ces exemples que le sort semble produire de temps en temps pour abaisser l'orgueil des hommes fiers de leur -naissance et ramener l'ambition des hommes de mérite sans aïeux.

On peut faire de graves reproches à cet ouvrage, mais il en est un qu'on ne saurait lui faire avec justice, c'est celui de ne pas intéresser. Que le style n'en soit point du tout académique, que l'on y trouve des vues aussi fausses que hasardées, que le sujet ne paraisse nullement approfondi, que la partie de la législation, la partie la plus étendue et la plus importante, ne soit point assez développée, on conviendra de tout; mais la lecture de cet Eloge n'eh attachera pas moins, elle n'en inspirera pas moins une grande estime pour le panégyriste, une profonde admiration pour son héros. En quittant le livre on conservera sous les yeux l'image d'un grand homme, peut-être même l'illusion flatteuse d'avoir vécu quelques heures avec lui, et de tous nos Eloges couronnés, il en est bien peu qui lais-sent une si douce impression.

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Couplets demandés à M. Marmontel par Mademoiselle Necker, pour étre chantés par elle sur la guérison de madame sa mère.

[Air de la romance du Barbier de Séville.]

Moi qui goûtais la vie avec délice,
Dans un instant j'ai connu le malheur.
Belle maman, témoin de ta douleur,
J'ai dit: Pour moi la vie est un supplice.

En me donnant la plus digne des mères,
Ciel ! tu m'as fait le plus beau des présens;
Daigne veiller sur ses jours bienfaisans,

Ou tes faveurs me seront trop amères.

Oui, je crains moins la douleur pour moi-même ;
A tous ses traits je suis prête à m'offrir:
Les plus grands maux c'est ceux qu'on voit souffrir
A des parens qu'on révère et qu'on aime.

De mille maux l'essaim nous accompagne ;
Mais sont-ils faits pour un être accompli ?
Ah! d'un objet de vertus si rempli

Que la santé soit au moins la compagne.

Dans les hameaux on nous dit qu'elle habite,
Et qu'elle suit la douce obscurité.

De la nature en sa simplicité

Jamais maman n'a passé la limite.

Des purs esprits l'essence est impassible;
Ma mère a droit à cet heureux destin.
Ciel! n'as-tu pas réuni dans son sein
Un esprit pur avec un cœur sensible?

Un dieu, touché de mon humble prière,
A fait cesser le mal qui m'accablait.
Dans ce moment, hélas! il me semblait
Qu'un jour nouveau me rendait la lumière.

J'ai reconnu combien mon âme est tendre:
A quelque chose ainsi malheur est bon.
Dieu! gardez-moi de pareille leçon,
Je n'aurais pas la force de la prendre.

Couplet ajouté par M. Necker..
De mon papa voyez l'amour extrême:
Rien, m'a t-il dit, ne peut vous désunir.
Un seul instant pourrait tout me ravir;
Ah! par pitié, prenez soin de vous-même.

Septembre, 1777. Lettre de M. de Reverdi, de Nyon en Suisse, à l'auteur de ces feuilles.

M, le comte de Falkenstein a refusé les relais que les baillifs avaient eu ordre de lui faire tenir prêts de ville en ville dans le canton de Berne, et s'est fait mener, à la manière du pays, par les mêmes chevaux, de Genève à Schafhouze. La foule qui l'obsédait dans tous les endroits où il s'arrêtait a paru lui déplaire, et a été cause qu'il n'est point sorti à Rolle. A Lausanne, qui était sa première couchée depuis qu'il voyageait si lentement, il remarqua dans sa chambre son portrait orné de guirlandes, et sous lequel on avait écrit ce quatrain:

Ne rencontrer partout que des admirateurs,

Se dérober à leurs justes hommages,

Faire le bien, s'instruire et gagner tous les cœurs,
C'est l'histoire de ses voyages.

Le portrait et les vers attirèrent ses regards. n demanda de qui tout cela pouvait être. L'hôte lui dit que l'un et l'autre venait d'une Hollandaise qui

logeait dans le voisinage, et ajouta, comme sans intention, que sa maison était à deux pas, qu'elle dominait le lac, et que de sa terrasse on avait la plus belle vue du monde. M. le comte demanda s'il pouvait être sûr de ne point trouver d'assemblée. L'hôte le lui promit et le trompa. Madame Blaquière avait assemblé chez elle, autant qu'elle avait pu, de personnes présentables et surtout de jolies femmes. Le fameux Tissot s'y présenta aussi. Le prince parut goûter sa conversation, et lui demanda entre autres choses s'il y avait à Lausanne des gens de lettres. M. Tissot le pria de le dispenser de répondre à une question si humiliante. Deux des plus jolies femmes s'étant avancées, car le reste parut s'occuper à jouer, il s'écria au milieu d'elles avec une sort d'extase: Non, dans tous mes voyages je n'ai rien vu de si beau! Il se trouva que c'était de la vue qu'il parlait. Il ne s'en alla point cependant sans leur avoir dit des choses assez galantes. Madame Blaquière fut la mieux traitée. Elle est fille de l'historien Rapin Thoyras, par conséquent née demoiselle. Un de ses fils, nommé M. Casenove du nom d'un premier mari, sert en Autriche. C'était pour avoir occasion d'en parler qu'elle avait envoyé vers et portraits. Elle pria en effet M. le comte de Falkenstein de le recommander à l'empereur. Jai peu de crédit à Vienne, répondit M. le comte, mais voici un de mes amis qui prendra le nom de M. de Casenove sur ses tablettes pour en parler à l'empereur. En effet, l'empereur ayant sans doute dépouillé les tablettes du comte de Colloredo, a fait

appeler auprès de lui le jeune homme, au camp de Styrie, et l'a recommandé au général dans la division de qui il se trouve. C'est à madame Blaquière qu'on attribue la Fable que voici. Il faut remarquer que l'auteur n'a jamais vécu en France, et peut-être n'y a jamais été.

L'Aigle et le Rossignol.

Un rossignol fameux de plus d'une manière
Par l'éclat, la douceur et l'accord de ses airs
Après avoir chanté dans cent climats divers,
Vint enfin se fixer, pour finir sa carrière,

Dans une riche et commode volière

Qu'il faisait résonner du bruit de ses concerts.
Jamais des sons plus doux ne s'étaient fait entendre.
De toutes parts des oiseaux différens

Auprès de lui venaient se rendre.

Ils s'estimaient heureux d'entendre ses accens
Et même ce cygne qu'on loue,
Pour ses accords mélodieux,
Plus grand que celui de Mantoue,
Puisqu'il a rang parmi les Dieux,
Empressé de lui rendre hommage,
Le célébrait dans ses chansons;
Et, jaloux de l'espoir d'obtenir son suffrage,
Daigna prendre de ses leçons.

La foule quelquefois devenait incommode;
Hibou, milan, corbeau, même plus d'un oison
De louanges sans fin lui versaient le poison.
Un jour le roitelet, son messager fidèle,
Et qu'à la découverte il envoyait souvent,
Haletant, essoufflé, volant à tire d'aile
Comme s'il arrivait tout droit du firmament,

Vient lui dire. "Ecoutez une grande nouvelle ;

"L'aigle vient, vous allez le voir dans un moment.
"Et loin de planer dans les airs,

"Je l'ai vu voler terre à terre,

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