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puissans. Qui sont-ils ?-Le public et le temps. Le temps, répond Callidès,

Le temps commence à nous, de l'instant où nous sommes ;

Le temps est destructeur, et nous créons des hommes.

Quant au public, son joug vous tient-il donc courbé?
Le public est, monsieur, terriblement tombé-

Parmi beaucoup d'autres conseils également sages, on ne doit pas oublier ceux-ci :

Travaillez peu vos vers et beaucoup vos succès ;
Tenez tête au mortel qui n'a qu'un nom stérile;
Mais rampez sous le grand qui peut vous être utile.
Le mot d'humanité m'a fort bien réussi,
Vous pourrez au besoin vous en aider aussi.
Malgré ce mot pourtant l'autorité cruelle,
Craignant notre morale, allait sévir contre elle.
La Tolérance alors entendit nos soupirs,

Et couverts de son voile, on nous crut ses martyrs, etc:
Pesez, calculez tout et même une visite;

Rien n'est indifférent. Voyez beaucoup Eglé,
Car il faut que de vous chez elle on ait parlé,
Si vous voulez souper en bonne compagnie
Et jouir des honneurs attachés au génie.

FORLIS.

Vous saurez que de moi le sexe est adoré

Quand l'esprit est chez lui par les grâces paré.
Ces traits ne sont pas ceux de l'Eglé qu'on renomme;
Elle parle, elle pense, elle hait comme un homme.

Beaucoup de gens, à ce dernier trait, ont cru reconnaître feu mademoiselle de l'Espinasse; mais refuser à mademoiselle de l'Espinasse la grâce de l'esprit, c'est prouver sans doute que l'on ne connut guère ou l'un ou l'autre.

On a trouvé plusieurs mots heureux dans la scène où les Prôneurs font une espèce de liste des proscrits.

P...... et Clément ne s'attendaient pas sans doute à l'honneur de se trouver dans cette galerie philosophique, mais le poète a su les y placer le plus adroitement du monde. Quels ont été jusqu'à présent, dit Forlis, les adversaires de cette secte despotique ?-Des hommes méprisés, des brigands littéraires,

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Pourraient-ils, entre nous, appréhender les traits

D'un méchant démasqué, flétri par un succès,
Possédant le talent et le secret uniques
D'ennuyer tout Paris par des vers satiriques?
Craindraient-ils ce pédant, bavard de son métier,
Qui sur un hémistiche écrit un mois entier,
Pédagogue échappé des ombres de l'école,
Zoïle par le fait, et Boileau sur parole;
Pauvre diable, trop vil pour être combattu,
Qui prépare sans fruit des poisons sans vertu ;
Reptile malheureux né des flancs de l'Envie,
Et qu'elle-même attache au laurier du génie.

Ce morceau est un de ceux qui a le mieux réussi.

Quoique le Complaisant, Comédie en cinq actes et en prose, remise au Théâtre Français, ait toujours paru sous le nom de M. de Pont-de-Veyle, on prétend que l'ouvrage fut fait en société, et l'on assure même que M. le comte de Maurepas, fort jeune alors, y eut beaucoup de part; on soupçonna aussi M. le président de la Monnoye d'y avoir travaillé. C'est de lui qu'est le mot cité dans le journal de M. de la Harpe. M. de la Monnoye joignait aux manières les plus douces une malice d'esprit que cet extérieur rendait plus piquante. Il était fort gros. Un jour, au parterre de l'Opéra, quelqu'un

incommodé de sa taille et de son voisinage, dit tout haut: Quand on est fait d'une certaine manière, on ne devrait pas venir ici. Monsieur, lui répondit doucement le président, il n'est pas donné à tout le monde d'être plat.

Il y a bien long-temps que nous n'avons reçu de M. de Voltaire ni prose, ni vers. L'on sait pourtant que bien digne d'imiter Sophocle en tout, il a fait encore cet hiver deux tragédies nouvelles, l'une en trois actes, et l'autre en cinq, dont le sujet est tiré de l'histoire d'Alexis Commène, mais c'est tout ce que nous en avons appris; et M. l'abbé Coyer qui arrive de Ferney, probablement ne nous en dira pas davantage. Il s'était proposé de passer trois ou quatre mois chez M. de Voltaire; il avait même eu l'attention, presque en l'abordant, de lui faire part de ce doux projet. Pour sentir combien la proposition devait agréer à M. de Voltaire, il faut savoir que l'abbé Coyer, qui dans ses premiers écrits sut attraper quelquefois un ton assez léger, dans la conversation est l'homme du monde le plus lourd, l'ennui personnifié. Notre illustre patriarche soutint avec assez de patience le premier jour; mais le lendemain, en lui parlant de ses voyages en Italie et en Hollande, il lui fit tout-à-coup une question qui parut l'embarrasser beaucoup. Savez-vous bien, M. l'abbé, la différence qu'il y a entre don Quichotte et vous? c'est que don Quichotte prenait toutes les auberges pour des châteaux, et vous, vouz prenez tous les châteaux pour des auberges. Cette boutade

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ayant désenchanté subitement M. l'abbé, il repartit dans les vingt-quatre heures.

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A

L'abbé Millot vient de publier, en six volumes, les Mémoires politiques et militaires pour servir à tHistoire de Louis XIV, et de Louis XV. composés sur les pièces originales, recueillies par Adrien Maurice, duc de Noailles, maréchal de France et ministre d'Etat.

Le titre seul de cet ouvrage annonce assez combien le fonds en doit être important et curieux. C'est l'extrait d'environ deux cents volumes in-folio et la plupart des pièces qui forment cet immense recueil sont des originaux autographes, les autres des copies faites avec beaucoup de soin. On doit la plus grande reconnaissance aux illustres dépositaires d'un monument si précieux, d'avoir bien voulu permettre qu'il servît à l'instruction publique; on en doit infiniment à l'homme de lettres qui, pour remplir des vues si utiles, s'est chargé d'un travail capable d'effrayer l'activité la plus exercée et la patience la plus intrépide. L'importance de ce travail et les dégoûts qui en sont inséparables, doivent lui faire pardonner sans doute une infinité de négligences et d'incorrections qu'on n'eût point supportées dans un autre ouvrage avec la même indulgence. Mais peut-être l'auteur se serait-il épargné beaucoup de peine à lui-même, à ses lecteurs beaucoup d'ennui, si au lieu de s'imposer la tâche pénible de donner à ces Mémoires une forme

TOME II.

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suivie, il s'était contenté de faire l'extrait de toutes les pièces dignes d'être conservées, de les ranger par ordre chronologique, et d'y joindre seulement, lorsque l'intelligence du texte aurait paru le demander, quelques notes historiques, claires et succintes. En suivant ce plan, il se serait sauvé toute la vouloir mettre dans peine qu'il lui en a coûté pour un ouvrage qui n'en était pas susceptible, cette espèce de suite et de liaison qui ne sert qu'à le faire paraître plus long, plus défectueux, souvent même plus décousu; car ce défaut devient plus sensible par l'effort même l'on fait le dissimuler. que pour Il est à présumer aussi qu'en simplifiant ainsi son' travail, l'auteur n'aurait pas surchargé son livre de tant de réflexions qui, pour être fort sensées, si vous voulez même très-édifiantes, n'en sont pas moins très-communes, très-inutiles, et, si j'ose le dire, très-parfaitement déplacées dans des mémoires qu'on appelle politiques et militaires. M. l'abbé Millot a fait presque tous ses ouvrages pour l'instruction de la jeunesse ; c'est très-bien fait à lui: mais il devait sentir qu'en rédigeant les mémoires d'un maréchal de France et d'un ministre d'état, il ne s'agissait d'écrire ni pour des régens de collége, ni pour des enfans. Toute cette morale que nous estimons d'ailleurs infiniment, sans rendre son livre plus instructif, l'a rendu beaucoup moins agréable pour les seuls lecteurs dont il devait s'occuper, et c'est dommage.

Le maréchal de Noailles n'est pas seulement peint dans ces mémoires comme un grand négo

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