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reçu au Parnasse, ainsi qu'en politique et en religion, comme conséquence du progrès du siecle. Chacun juge et se croit le droit de juger, d'après ses lumières, son goût, son système, sa haine ou son amour. De là une foule d'immortels cantonnés dans leur rue, renfermés dans le cercle de leur école et de leurs amis, et qui sont inconnus ou sifflés dans l'arrondissement

voisin.

La vérité avoit jadis de la peine à percer; elle manquoit de véhicule; la presse quotidienne et libre n'existoit pas ; les gens de lettres formoient un monde à part; ils s'occupoient les uns dès autres presque à l'insu du public. A présent que des journaux dénigrants ou admiratifs sonnent la charge ou la victoire, il faudroit avoir bien du guignon pour ignorer de son vivant ce que l'on vaut. Avec ces sentences contradictoires, si notre gloire commence plutôt, elle finit plus vite le matin un aigle, le soir un butor.

Telle est la nature humaine, particulièrement en France: si nous possédons quelques talents, nous nous empressons de les déprécier. Après les avoir élevés au pinacle, nous les roulons dans la boue; puis nous y revenons, puis nous les méprisons de nouveau. Qui n'a vu vingt fois depuis quelques années les opinions varier sur le mème homme? Y a-t-il donc quelque chose de certain et de vrai sur la terre à présent? On ne sait que croire on hésite en tout, on doute de tout; les convictions les plus vives sont éteintes au bout de la journée. Nous ne pouvons souffrir de réputations; il semble qu'on nous vole ce qu'on admire nos vanités prennent ombrage du moindre succès, et s'il dure un peu, elles sont au supplice. On n'est pas trop fâché, à part soi, qu'un homme de mérite vienne à mourir : c'est un rival de moins; son bruit importun empêchoit d'entendre celui des sots, et le concert croassant des médiocrités. On se hâte d'empaqueter le célèbre défunt dans trois ou quatre articles de journal, puis on cesse d'en parler; on n'ouvre plus ses ouvrages; on plombe sa renommée dans ses livres, comme on scelle son cadavre dans son cercueil, expédiant le tout à l'éternité par l'entremise du temps et de la mort.

Aujourd'hui tout vieillit dans quelques heures: une réputation se flétrit, un ouvrage passe en un moment. La poésie a le sort de la musique; sa voix, fraîche à l'aube, est cassée au coucher

du soleil. Chacun écrit ; personne ne lit sérieusement. Un nom prononcé trois fois importune. Où sont ces illustres qui, en se réveillant un matin, il y a quelques années, déclarèrent que rien n'avoit existé avant eux; qu'ils avoient découvert des cieux et un monde ignorés; qu'ils étoient décidés à rendre pitoyables, par leur génie, les prétendus chefs-d'œuvre jusqu'alors si bêtement admirés? Ceux qui s'appeloient la jeunesse en 1830, où sont-ils? Voici venir des grands hommes de 1835, qui regardent ces vieux de 1830 comme des gens de mérite dans leur temps, mais aujourd'hui usés, passés, dépassés. Les maillots arriveront bientôt dans les bras de la nourrice; ils riront des octogénaires de seize ans, de ces dix mille poëtes, de ces cinquante mille prosateurs, lesquels se couvrent maintenant de gloire et de mélancolie dans les coins et recoins de la France. Si par hasard on ne s'aperçoit pas que ces écrivains existent ils se tuent pour attirer l'attention publique. Autre chimère! on n'entend pas même leur dernier soupir. Qui cause ce délire et ces ravages? l'absence du contre-poids des folies humaines, la religion.

A l'époque où nous vivons, chaque lustre vaut un siècle; la société meurt et se renouvelle tous les dix ans. Adieu donc toute gloire longue, universellement reconnue. Qui écrit dans l'espoir d'un nom sacrifie sa vie à la plus sotte comme à la plus vaine des chimères. Buonaparte sera la dernière existence isolée de ce monde ancien qui s'évanouit rien ne s'élèvera plus dans les sociétés nivelées, et la grandeur de l'individu sera désormais remplacée par la grandeur de l'espèce.

La jeunesse est ce qu'il y a de plus beau et de plus généreux; je me sens puissamment attiré vers elle comme à la source de mon ancienne vie ; je lui souhaite succès et bonheur : c'est pourquoi je me fais un devoir de ne pas la flatter. Par les fausses routes où elle s'égare, elle ne trouvera en dernier résultat que le dégoût et la misère. Je sais qu'elle manque aujourd'hui de carrière, qu'elle se débat au milieu d'une société obscure ; de là ces brillantes lueurs de talent qui percent subitement la nuit et s'éteignent; mais de longues et laborieuses études, poursuivies à l'écart et en silence, rempliroient bien les jours, et vaudroient mieux que cette multitude de vers trop vite faits, trop tôt oubliés.

En achevant ce chapitre il me prend des remords et il me vient des doutes; remords d'avoir

osé dire que Dante, Shakespeare, Tasse, Camoëns, Schiller, Milton, Racine, Bossuet, Corneille et quelques autres, pourroient bien ne pas vivre universellement comme Virgile et Homère; doutes d'avoir pensé que le temps des individualités universelles n'est plus.

britannique, les écrivains de Londres et de Paris s'engagèrent dans la querelle des princes et des guerriers: Boileau dit le passage du Rhin; Prior répond que le gérant du Parnasse occupe les neuf Muses à chanter que Louis n'a pas passé le Rhin; ce qui étoit vrai. Philips traduisoit le Pourquoi chercherois-je à ôter à l'homme le Pompée de Corneille, et Roscommon en écrivoit sentiment de l'infini, sans lequel il ne feroit rien le prologue; Addison célébroit les victoires de et ne s'élèveroit jamais à la hautenr qu'il peut | Marlborough, et rendoit hommage à Athalie; atteindre? Si je ne trouve pas en moi la faculté Pope publioit son Essai sur la critique dont d'exister, pourquoi mes voisins ne la trouve-l'Art poétique est le modèle: il donne à peu près roient-ils pas en eux? Un peu d'humeur contre les mêmes règles qu'Horace et Boileau; mais tout ma nature ne m'a-t-il pas fait juger d'une macoup, se souvenant de sa dignité, il déclare nière trop absolue les facultés possibles des au- fièrement que « les braves Bretons méprisent les tres? Eh bien! remettons le tout dans le premier « lois étrangères: But we, brave Britons, foétat rendons aux talents nés ou à naître l'espoir a reingn laws despis'd. » Foam traduisit l'Art d'une pérennité glorieuse, que quelques écri- poétique du poëte françois : Dryden en revit le vains, hommes et femmes, peuvent justement texte, et remplaça seulement les noms des aunourrir aujourd'hui : qu'ils aillent donc à l'ave- teurs françois par des noms d'auteurs anglois : nir universel, j'en serai charmé. Resté en route, il rend le hález-vous lentement par gently je ne me plaindrai pas, surtout je ne regretterai make haste. rien :

Si post fata venit gloria, non propero.

MARIE. GUILLAUME. LA REINE ANNE.

ECOLE CLASSIQUE.

L'invasion du goût françois, commencée au règne de Charles II, s'acheva sous Guillaume et la reine Anne. La grande aristocratie qui s'élevoit prit du caractère noble et imposant de la grande monarchie, sa voisine et sa rivale. La littérature angloise, jusqu'alors presque inconnue à la France, passa le détroit. Addison vit Boileau en 1701, et lui présenta un exemplaire de ses poésies latines. Voltaire, obligé de se réfugier en Angleterre au sujet de sa querelle avec le chevalier de Rohan-Chabot, dédia la Henriade à la reine Anne, et se gâta l'esprit par les idées philosophiques de Collins, de Chubb, de Tindal, de Wolston, de Tolland, de Bolingbrocke. Il nous fit connoître Shakespeare, Milton, Dryden, Shaftesbury, Swift, et les présenta à la France comme des hommes d'une nouvelle espèce, découverts par lui dans un nouveau monde. Racine le fils traduisit le Paradis perdu, et Rollin parla de ce poëme dans son Traité des études.

Guillaume III étant parvenu à la couronne

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à

La boucle de cheveux enlevée fut inspirée par le Lutrin, et la Dunciade, imitée des Satires de l'ami de Racine. Butler a traduit une de ces satires.

Le siècle littéraire de la reine Anne est un dernier reflet du siècle de Louis XIV. Et comme si le grand roi avoit eu pour destinée de rencontrer toujours Guillaume et de faire des conquêtes, ne pouvant envahir l'Angleterre avec des gens d'armes, il y pénétra avec des gens de lettres : le génie d'Albion, qui ne céda pas à nos soldats, céda à nos poëtes.

PRESSE PÉRIODIQUE. ADDISON. POPE, SWIFT. STEELE

Une autre révolution, dont les conséquences ont été et sont encore incalculables, s'opéra: la presse périodique, à la fois politique et littéraire, fut fondée aux bords de la Tamise. Steele composa, dans l'intérêt des wighs, le Tatler, le Spectator, le Mentor, l'English man, le Lover, le Reader, le Town-Talk, le Chit-Chat, le Plebeian; il combattoit l'Examiner, écrit par Swift dans l'esprit tory; Addison, Congrève, Walsh, Arbuthnot, Gay, Pope, King, se rangoient, selon leur opinion, sous les étendards de Swift et de Steele.

Jonatham Swift, né en Irlande le 30 novembre 1667, est fort mal à propos appelé par Voltaire le Rabelais de l'Angleterre. Voltaire n'étoit sensible qu'aux impiétés de Rabelais et à sa plai

santerie, quand elle est bonne; mais la profonde | l'heroïne une prostituée. Le Beggar est l'origi

satire de la société et de l'homme, la haute philosophie, le grand style du euré de Meudon, lui échappoient; comme il ne voyoit que le petit côté du christianisme, et ne se doutoit pas de la révolution intellectuelle et morale accomplie dans l'humanité par l'Evangile.

Le Tonneau, où le pape, Luther et Calvin, sont attaqués; Gulliver, où les institutions sociales sont stigmatisées, n'offrent que de pâles copies du Gargantua. Les siècles où vécurent les deux auteurs mettent d'ailleurs entre eux une immense différence : Rabelais commença sa langue; Swift acheva la sienne. Il n'est pas certain d'ailleurs que le Tonneau soit de Swift ou qu'il l'ait fait seal. Swift s'amusa à fabriquer des vers de vingt, trente et soixante syllabes. L'historien Velly a traduit la satire sur la paix d'Utrecht, intitulée : John Bull.

Guillaume III, qui fit tant de choses, instruisit Swift dans l'art de cultiver les asperges à la manière hollandoise. Jonatham aima Stella, l'emmena dans son doyenné de Saint-Patrick, et au bout de seize ans, quand il fut au bout de son amour, il l'épousa. Esther van Homrigh se prit d'une passion pour Swift, bien qu'il fût vieux, laid et dégoûtant lorsqu'elle sut qu'il étoit sérieusement marié avec Stella dont il ne se soucioit guère, elle mourut. Stella suivit de près Esther. Le vilain homme qui tua ces deux belles jeunes femmes n'a pu, à l'exemple des grands poëtes, leur donner une seconde vie.

Steele, compatriote de Swift, devint son rival en politique. Parvenu à la chambre des communes, il en fut expulsé comme auteur de libelles séditieux. A l'occasion de la création de douze pairs, sous l'administration d'Oxford et de Bolingbrocke, il écrivit une lettre mordante à sir Milhes Wharton sur les pairs de circonstance. La liaison de Steele avec le grand corrupteur Walpole ne l'enrichit pas; faisant trêve à ses pamphlets, il commença la littérature industrielle, et inventa une machine pour transporter du saumon frais à Londres.

On a su gré à Steele d'avoir purgé le théâtre des obscénités dont l'avoient infecté les écrivains de Charles II: le mérite étoit d'autant plus grand dans l'auteur des Conscious Lovers, qu'il avoit des mœurs très-peu régulières. Cependant son contemporain Gay, le fabuliste, faisoit représenter son Beggar, dont le héros est un voleur et

nal de nos mélodrames d'aujourd'hui.

PASSAGE DE LA LITTÉRATURE CLASSIQUE A LA LITTÉRATURE DIDACTIQUE, DESCRIPTIVE ET SENTIMENTALE. POEME DE DIFFÉRENTS AUTEURS.

La littérature angloise classique, qui ressembloit à la nôtre, à la différence près des mœurs nationales, dégénéra vite, et passa du classique à l'esprit du dix-huitième siècle. Alors nous devinmes à notre tour imitateurs; nous nous mêmes à copier nos voisins avec un engouement qui nous reprend encore par accès. Ici la matière est si connue et tellement épuisée qu'il seroit fastidieux de procéder dans un ordre chronologique et de répéter ce que chacun sait.

La poésie morale, technique, didactique, descriptive, compte Gay, Young, Akenside, Goldsmith, Gray, Bloomfield, Glover, Thomson, etc.; le roman rappelle Richardson et Fielding; l'histoire, Hume, Robertson et Gibbon, qu'ont suivis Smolett et Lingard.

En outre de tous ces poëtes, on a lu, dans leur temps, l'Art de conserver la santé, par Armstrong; la Chasse, par Somerville; l'Acteur, par Lloyd; l'Art poétique, de Roscommon; l'Art poétique, de Francis; l'Art de la politique, de Bramston; l'Art de la cuisine, de King.

L'Art de la politique a de la verve. L'exorde de ces poëmes divers est imité du début de l'Art poétique d'Horace : Bramston compare un homme à la fois whig et tory à une figure humaine, à sein de femme et à queue de morue.

A lady's bosom, and a tail of cod.

Delacourt, dans son Prospect of poetry, essaya l'harmonie imitative technique, comme en composa depuis, en France, M. Piis.

RR's jar untuneful v'er the quiv'ring tongue And serpent S with hissings spoils the song. Les plaisirs de l'Imagination, par Akenside, manquent d'imagination; et le poëme sur la Conversation, de Stilingfleel, n'a pu être composé que chez un peuple qui ne sait pas causer.

Il faut encore rappeler le Naufrage, par Falconer; le Voyageur, le Village abandonné, de Goldsmith; la Création, de Blackmoore; le Jugement d'Hercule, de Shenstone.

Je nomme Dyer et Denham. Il faut lire la Complainte du poëte, par l'infortuné Otway,

et le Wanderer, par le plus malheureux Savage: c'est là qu'il a peint la furie du suicide: « Le « sourcil à moitié brisé par l'agonie de la pensée, « elle crie à l'homme : « Pâle misérable, attends « de moi ton soulagement: née du Désespoir, le « Suicide est mon nom. »

Born on Despair, and Suicid my name.

YOUNG.

Young a fait une mauvaise école, et n'étoit pas lui-même un bon maître. Il dut une partie de sa première réputation au tableau que présente l'ouverture de ses Nuits. Un ministre du Tout-Puissant, un vieux père, qui a perdu sa fille unique, s'éveille au milieu de la nuit pour gémir sur des tombeaux; il associe à la mort, au temps et à l'éternité, la seule chose que l'homme ait de grand en soi-même, la douleur. Ce tableau frappe.

Mais avancez un peu; quand l'imagination, éveillée par le début du poëte, a déjà créé un monde de pleurs et de rêveries, vous ne trouvez rien de ce qu'on vous a promis. Vous voyez un homme qui tourmente son esprit pour enfanter des idées tendres et tristes, et qui n'arrive qu'à une philosophie morose. Young, que le fantôme du monde poursuit jusqu'au milieu des tombeaux, ne décèle, dans ses déclamations sur la mort, qu'une ambition trompée; il prend son humeur pour de la mélancolie. Point de naturel dans sa sensibilité, d'idéal dans sa douleur; c'est tou

Que du mui mure de ton eau.

Muses, qui dans ce lieu champêtre
Avec soin me fites nourrir;

Beaux arbres, qui m'avez vu naître,
Bientôt vous me verrez mourir.

La page la plus rêveuse d'Young ne peut être comparée à cette page de Rousseau :

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« Quand le soir approchoit, je descendois des <«< cimes de l'île, et j'allois volontiers m'asseoir « au bord du lac, sur la grève, dans quelque asile « caché; là, le bruit des vagues et l'agitation de l'eau, fixant mes sens et chassant de mon âme << toute agitation, la plongeoient dans une rêverie « délicieuse où la nuit me surprenoit souvent, << sans que je m'en fusse aperçu. Le flux et le reflux de cette eau, son bruit continu, mais « renflé par intervalle, frappant sans relâche « mon oreille et mes yeux, suppléoient aux mou«<vements internes que la rêverie éteignoit en moi, et suffisoient pour me faire sentir avec << plaisir mon existence, sans prendre la peine de « penser. De temps à autre naissoit quelque foible « et courte réflexion sur l'instabilité des choses du monde, dont la surface des eaux m'offroit l'image mais bientôt ces impressions légères s'effaçoient dans l'uniformité du mouvement continu qui me berçoit, et qui, sans aucun « concours actif de mon âme, ne laissoit pas de m'attacher au point qu'appelé par l'heure et le

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« signal convenu, je ne pouvois m'arracher de là << sans efforts. »

Young a mal profité des rêveries qu'inspirent

jours une main pesante qui se traîne sur la lyre. de pareilles scènes, parce que son génie manquoit

Young a cherché à donner à ses méditations

le caractère de la tristesse: ce caractère se tire de

ces trois sources : les scènes de la nature, le vague des souvenirs, les pensées de la religion.

Quant aux scènes de la nature, Young a voulu les faire servir à ses plaintes : il apostrophe la

lune, il parle aux étoiles, et l'on ne se sent point ému. Je ne pourrois dire où gît cette tristesse qu'un poëte fait sortir des tableaux de la nature; elle est cachée dans les déserts; c'est l'écho de la Fable desséchée par la douleur, et habitante invisible de la montagne.

Ceux de nos bons écrivains qui ont connu le charme de la rêverie ont surpassé le docteur anglois. Chaulieu a mêlé, comme Horace, les pensées de la mort aux illusions de la vie :

Grotte, d'où sort ce clair ruisseau, De mousse et de fleurs tapissée, "N'entretiens jamais ma pensée

de tendresse.

breux dans le poëte, mais sans vérité, comme le Quant aux souvenirs du malheur, ils sont nomreste. Ils n'ont rien de ces accents de Gilbert, ex,

pirant à la fleur de l'âge, dans un hôpital, et pirant à la fleur de l'âge, dans un hôpital, et abandonné de ses amis :

Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs!

Je meurs, et sur ma tombe où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Adieu, champs fortunés; adieu, douce verdure;
Adieu, riant exil des bois;

Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Adieu pour la dernière fois!

Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée
Tant d'amis sourds à mes adieux!
Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée,
Qu'un ami leur ferme les yeux !

Dans plusieurs endroits Young déclame contre la solitude: l'habitude de son cœur n'étoit donc

ni du prêtre ni du-poëte. Les saints nourrissent leurs méditations au désert, et le Parnasse est aussi une montagne solitaire. Bourdaloue supplioit le chef de son ordre de lui permettre de se retirer du monde. « Je sens que mon corps s'affoiblit ⚫ et tend à sa fin, écrivoit-il. J'ai achevé ma • course, et plût à Dieu que je pusse ajouter, J'ai été fidèle!... Qu'il me soit permis d'employer uniquement pour Dieu et pour moi-même ce qui me reste de vie.... Là, oubliant toutes les cho⚫ses du monde, je passerai devant Dieu toutes les années de ma vie dans l'amertume de mon ⚫âme. »> Si Bossuet, vivant au milieu des pompes de Versailles, a su partout répandre dans ses écrits une sainte et majestueuse tristesse, c'est qu'il avoit trouvé dans la religion toute une solitude.

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Au surplus, dans ce genre descriptif élégiaque, notre siècle a surpassé le précédent. Ce n'est plus comme autrefois des descriptions vagues, mais des observations précises qui s'harmonient aux sentiments, qui charment par leur vérité et laissent dans l'âme comme une sorte de plainte.

Regretter ce qu'il a perdu, habiter dans ses souvenirs, marcher vers la tombe en s'isolant, c'est l'homme. Les images prises dans la nature ont mille rapports avec nos fortunes : celui-ci passe en silence, comme l'épanchement d'une source; celui-ci attache un bruit à son cours, comme un torrent; celui-ci jette sa vie, comme une cataracte elle épouvante et disparoît.

Young pleure donc sur les cendres de Narcissa sans attendrir le lecteur. Une mère étoit aveugle; on lui avoit caché que sa fille alloit mourir : elle ne s'aperçut de son malheur qu'en embrassant cette fille, et en trouvant sous ses lèvres maternelles l'huile sainte dont le prêtre avoit touché un front virginal. Voilà ce qui saisit le cœur plus que toutes les pensées des Nuits du père de Nar

cissa.

GRAY. THOMSON. DELILLE. FONTANES.

De l'auteur des Nuits je passe au chantre des morts champêtres. Gray a trouvé sur la lyre une série d'accords et d'inspirations inconnus de l'antiquité. A lui commence cette école de poëtes melancoliques, qui s'est transformée de nos jours dans l'école des poëtes désespérés. Le premier vers de la célèbre élégie de Gray est une traduction presque littérale du dernier vers de ces délicieux tercets du Dante :

Era già l'ora che volge 'I disio
A' naviganti e 'ntenerisce il cuore
Lo di ch' han detto a' dolci amici addio,

E che lo nuovo peregrin d'amore
Punge, se ode squilla di lontana
Che paja 'l giorno pianger che si muore.

Gray dit :

The carfew tolls the knell of parting day.

Dans mon temps, j'ai aussi imité le Cimetière de campagne. (Qui ne l'a pas pas imité?)

Eh! que sont les honneurs : l'enfant de la victoire,
Le paisible mortel qui conduit un troupeau,
Meurent également; et les pas de la gloire,
Comme ceux du plaisir, ne mènent qu'au tombeau.
Peut-être ici la mort enchaîne en son empire
De rustiques Newton de la terre ignorés,
D'illustres inconnus dont les talents sacrés
Eussent charmé les dieux sur le luth qui respire:
Ainsi brille la perle au fond des vastes mers;
Ainsi meurent aux champs des roses passagères,
Qu'on ne voit point rougir, et qui, loin des bergères,
D'inutiles parfums embaument les déserts.

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