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nie, un toit de chaume ouvert à l'indigent, un seul épi même nous fassent dire aussi : « voilà des pas d'homme ! »

La Grèce vaincue s'enorgueillissait d'avoir apprivoisé ses sauvages vainqueurs, en les soumettant au charme des lettres (1); et nous qui n'avons point été asservis, il ne nous serait pas permis de rappeler que nous avons enseigné à l'univers les deux choses sur lesquelles repose surtout sa prospérité, la liberté et le commerce! Oui, tels sont nos titres de gloire demandez-le à ces fiers Bretons qui, les yeux fixés sur nous, tremblent que nous ne ressaisissions le trident de Neptune, ce sceptre du monde (2); demandez-le au Nord que nous avons enrichi et civilisé; demandez-le à la France dont nous avons partagé longtemps les destinées. Tous rendront hommage à la noble Belgique. O mes concitoyens! ce que vous avez été, vous pouvez l'être aujourd'hui : n'abandonnez point à l'étranger

(1)

Græcia capta ferum victorem cepit, et artes
Intulit agresti Latio.

HOR. Ep. I, lib. II, V. 156.

(2)

Le Trident de Neptune est le sceptre du Monde.

On sait que Lemierre appelait ce vers, le vers du siècle.

Idée de la Belgique au com

une gloire qui vous appartient; que les leçons du passé vous instruisent. Ces leçons dans ma bouche seraient bien faibles homme obscur, voué à des études paisibles, je n'ai point étudié l'éloquence qui a besoin d'un grand théâtre; mon sujet même me défend d'être éloquent; on me demande des détails précis, des citations exactes; je ne m'écarterai point de la route qui m'est tracée. On m'impose aussi l'obligation d'être court; je sens que le sujet qui ne doit me fournir qu'un mémoire, produirait facilement un livre; la variété des objets où je vais entrer semble donc m'autoriser à adopter les termes de l'immortel auteur de l'Esprit des Lois, lorsqu'il commence à parler du commerce : « Les matières qui suivent demanderaient » d'être traitées avec plus d'étendue, mais la nature de cet » ouvrage ne le permet pas; je voudrais couler sur une » rivière tranquille; je suis entraîné par un torrent (1). :

Au moment où j'entre en matière, l'Europe entière était mencementda gouvernée par un système, sorti tout armé des ténèbres de la barbarie. La féodalité qui, faute d'être raisonnable

XVme siècle.

(1) Esprit des Lois, liv. XX, ch. I.

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sur la terre va chercher des droits dans le ciel, régnait alors en despote; mais la Belgique est peut-être le pays où le joug féodal fut le moins pesant. L'orgueil des grands était moins de l'arrogance qu'une sorte de bonhomie de fierté; c'est que les fortunes étaient plus égales, que toutes les classes de la société jouissaient de l'aisance et que le vilain comptait pour quelque chose, parce qu'il possédait quelque chose. D'ailleurs les Belges avaient obtenu de leurs souverains ou leur avaient arraché un grand nombre de priviléges qui assuraient jusqu'à un certain point l'indépendance des petits. Il est vrai que, sous le bon duc, la féodalité qui s'affaiblissait, conservait encore un caractère marqué d'oppression. « En ce temps, dit » Du Clercq, partout le pays du duc de Bourgogne, sitost qu'il advenait quaulcun marchand, laboureur et aulcune » fois bourgeois d'une bonne ville, ou officier trespassoit, » s'il estoit riche ou s'il delaissoit femme riche, le duc, » son fils ou aultres de leurs gens vouloient marier les » dictes veufves à leurs archiers et à leurs serviteurs : il » falloit que les dictes veufves si elles se vouloient ma» rier, quelles prinssent ceulx que les dicts sieurs leur

>> vouloient bailler; ou donnassent de l'argent soit à ceulx » qui les vouloient avoir, soit à ceulx qui gouvernoient » les seigneurs, et aulcune fois au seigneur mesme, en>> core estoient-ce les plus heureuses, celles quy par force » d'amis et d'argent en pouvoient estre délivrées; car le >> plus souvent de gré ou non, si elles songeaient à ma>> riage, il falloit prendre ceulx que leurs seigneurs leur » bailloient, et pareillement quand un homme estoit riche, » avoit-il fille à marier, s'il ne la marioit bien jeune, » il estoit travaillé comme ay dict ci-dessus (1). » Tout était privilége: la justice cessait d'être un droit établi par le code de la nature c'était une concession, un octroi du suzerain. Mais les abus que nous signalons n'étaient qu'innocens en comparaison des excès commis dans les

autres contrées.

Tandis que les vengeances particulières armaient les uns contre les autres les membres des mêmes communautés et perpétuaient les haines et les rapines, une police plus

(1) Mémoires de Jacques Du Clercq, escuyer, liv. 3, ch. VI, dans la collection univ. des mém. part. pour servir à l'histoire de France. Londres et Paris, 1785, etc., tom. IX.

sage, des mœurs plus douces prévenaient une partie de
ces désordres en Belgique. Une loi de l'empereur Maximi-
lien I, de l'an 1495 remédia à la licence, mais ce fut plus
de trois siècles après l'établissement de Philippe d'Alsace,
comte de Flandre, donné à la commune d'Aire en Artois
sous le nom de LEX PACIS, et que M. de Nélis regardait,
avec raison, comme digne de l'école de Platon ou plutôt
de l'évangile (1). Quoique les villes, divisées d'intérêt,
oubliassent souvent qu'elles ne formaient qu'un même peu-
ple; que le patriotisme enfin ne fût
ne fût que municipal,
égoïsme politique que le temps et les révolutions n'ont pu
totalement corriger, la Belgique était assez heureuse pour
laisser plus d'un regret à ceux qui sont venus plus tard,
et un écrivain contemporain ne s'abandonnait point à une
simple hyperbole poétique en l'appelant le jardin de la
terre promise.

Presque toute la terre, excepté l'Italie, quelques marchands du nord et les Pays-Bas, ignorait le commerce. Les nations occupées de meurtres et de superstitions n'avaient

(1) Mémoires de l'Académie Royale de Brux., tom. II, p. 668-669.

Coup-d'œil général sur l'Europe,etc.

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