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Les livres ne pouvaient être exposés en vente qu'après que l'exactitude de chaque copie avait été certifiée par les docteurs de la faculté que concernaient les matières qui s'y trouvaient traitées (1). La beauté des miniatures eu égard aux arts du temps; la facilité de connaître les auteurs anciens par le moyen des traductions qu'on en faisait en langue romane; enfin les compositions en cette langue qui commençaient à se multiplier et à étendre le crédit des lettres françaises, favorisèrent le commerce de leurs productions nouvelles.

Quant aux miniatures, elles offraient quelque attrait à la curiosité, par la bizarrerie des arabesques dont les titres et les lettres initiales étaient formés. On ne teignait plus les peaux de vélin en pourpre comme aux temps plus anciens. On n'écrivait plus guère tout un livre en lettres d'or, comme le faisaient encore au huitième siècle les religieuses

(1) Dubreul, Antiquités de Paris, p. 118.

d'Eike (1) dans la Gaule Belgique. Mais ce luxe était remplacé par des miniatures brillantes d'or poli et de bleu d'outre-mer, qui n'ont encore rien perdu de leur éclat.

Ne reprochait-on pas alors aux religieux de l'abbaye de Clugny de moudre l'or pour l'employer à l'ornement de leurs livres (2)?

(1) Hist. litt. de la France, tom. IV, p. 5.

(2) Ces reproches se lisent dans un dialogue écrit vers l'an 1153, où parmi l'énumération d'objets de luxe on remarque la peinture des vitraux:

«Pulchræ picturæ, variæ cælaturæ, utræque auro decoratæ, pulchra et pretiosa pallia, pulchra tapetia variis coloribus depicta, pulchræ et pretiosæ fenestræ, vitree saphiratæ, cappæ et casula aurifrigiatæ, calices aurei et gemmati, in libris aureæ litteræ.

*

» Aurum molere et cum illo molito magnas capitales pingere litteras. »

**

On trouve dans ces inculpations le témoignage des arts divers qu'encourageaient les grandes abbayes et surtout l'origine des manufactures de Lyon auxquelles on est obligé de recourir aujourd'hui du fond de la Russie; branche d'industrie que l'état actuel de nos églises ne

* Ed. Martenne, Thesaur. anecd. tom. V, p. 1584, 1623. ** Ibid. p. 1623.

Quel reproche ne dut pas s'attirer, au dixième siècle, l'abbé d'Altona qui s'était fait représenter en tête d'un manuscrit, consacrant à saint Étienne les ouvrages d'Horace et de Virgile dont il avait sans doute enrichi la bibliothèque de son abbaye (1)? Nous lisons encore une semblable dédicace adressée en quatre vers à saint Benoît, patron de l'abbaye de Fleuri, sur un autre manuscrit du dixième siècle (2). Ce genre d'offrande se faisait en déposant sur un autel le livre qu'on donnait à la bibliothèque de l'abbaye (3).

Parmi les traductions en langue romane qui durent accroître le goût des livres chez

permet pas de soutenir, non plus que nos beaux-arts qu'elles ont si long-temps alimentés.

(1) Pezii Thesaur. anecd. Dissert. Isag. p. XXV. (2) Hic liber est Benedicte tuus venerande per ævum Obtulit Herbertus servus et ipse tuus

Quem tibi sancte Pater tali pro munere poscens

Liber ut æternam possideat patriam.

(3) Mabillon, Opusc. tom. II, p. 22.

*

* Vanderbourg, Q. Horatii opera, gallicis versibus, tom. I,

p. 392.

les séculiers, en multiplier par conséquent les collections et le commerce, il faut distinguer la traduction des institutes de Justinien dont un manuscrit du douzième siècle existait à la bibliothèque de Sorbonne (1); celle de la Bible qui fut l'ouvrage de Grimoald à la fin du onzième (2); l'autre version que Valdo, marchand de Lyon et chef de la secte des Vaudois, fit faire vers l'an 1180 (3); les

(1) Menagiana, tom. IV, p. 130. de France, tom. VII, p. LV.

(2) Histoire littér.

(3) Les détails que les savans auteurs de l'Histoire littéraire de la France nous donnent sur les traductions en langue romane qui ont été faites en Italie, au MontCassin, par Alton, probablement originaire du Poitou, et qui écrivait à la fin du onzième siècle; par Grimoald, Français qui s'était fixé en Espagne, dans un temps où la langue castillanne ne pouvait se former, à raison de ce que ce pays était alors subjugué par les Musulmans, montrent que la France était le centre des divers rayons que projetait la langue romane. On voit de nouveau combien est juste la distinction que Paschase Radbert établis sait dans ce vers déjà cité :

Rustica concelebret romana, latinaque lingua,

quand on lit dans Pierre, diacre, l'éloge du moine Atton,

traductions enfin que fit exécuter le comte de Guignes de plusieurs livres de piété, d'histoire et de physique (1), c'est-à-dire de médecine. Ce comte occupait continuellement trois traducteurs. Telle est la source des premières tentatives faites pour favoriser l'instruction du vulgaire dans sa propre langue, et c'est par ce moyen que la Romane s'est polie peu à peu entre le onzième et le quatorzième siècle.

Deux genres d'ouvrages y contribuèrent surtout les poësies des troubadours et les traductions de l'Ecriture-Sainte. Il a été donné récemment des développemens très-suivis sur

pour avoir traduit cothurnato sermone in linguam Romanam, vingt volumes sur plusieurs parties de la médecine, traduits auparavant en latin par son maître Constantin, l'Hippocrate du XIe siècle*; quand enfin le savant moine Gunzon s'exprimait ainsi vers l'an 960: licet aliquando retarder usu nostræ vulgaris linguæ quæ latinitati vicina est**.

(1) Lebeuf, Dissert. tom. II, part. II, p. 38,

39.

* Petrus Diac. De Scriptoribus, cap. XXIV, Joan. Fabricius,

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** Ed. Martenne, Ampliss. collect. tom. I, p. 298.

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