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faible de cœur que de santé. La timidité qui le caractérise et qu'il porte même dans la société, sur le visage et dans son attitude, n'est pas seulement un vice de tempérament; elle semble inhérente à son ame, et ses lumières ne lui fournissent aucun moyen de la vaincre : aussi, après avoir bien déduit tel principe, démontré telle vérité, il opinait à l'Assemblée dans le sens contraire quand il s'agissait de se lever en présence des tribunes fulminantes, armées d'injures et prodigues de menaces. Il était à sa place au secrétariat de l'Académie. Il faut laisser écrire de tels hommes, et ne jamais les employer; heureux encore d'en tirer quelque utilité. On ne peut pas en dire autant de tous les hommes timides; la plus grande partie n'en est bonne à rien. Voyez tous ces poltrons de l'Assemblée, qui gémissaient dans le sénat; s'ils eussent eu l'assurance de se faire arrêter le 2 juin, en protestant contre l'injuste décret d'arrestation des vingt-deux, ils assuraient le salut de tous; car on n'eût osé toucher un cheveu à nul de deux ou trois cents représentans du peuple, et la chose publique était également sauvée; les départemens ne se fussent point endormis on s'apaisa sur la perte de vingt hommes, et l'on n'aurait pu regarder comme Convention, l'Assemblée dont la moitié se fût retirée.

Le premier soin de Roland en arrivant à son second ministère, fut d'opérer dans ses bureaux le

renouvellement dont il avait senti le besoin; il s'environna d'hommes laborieux, éclairés, attachés aux principes; et n'eût-il fait que cela seul, il aurait produit un grand bien.

Il se hâta d'écrire (1) à tous les départemens avec ce courage, cette force que donne la raison, cet empire qui appartient à la vérité, cette onction qui résulte du sentiment; il leur montrait, dans la révolution du 10 août, les nouvelles destinées de la France, la nécessité pour tous les partis de se réunir à la justice qui prévient tous les excès, à la liberté qui fait le bonheur de tous, au bon ordre seul qui peut l'assurer, et au Corps législatif comme chargé d'exprimer la volonté générale. Les corps administratifs qui parurent hésiter furent suspendus ou cassés. Une grande expédition dans les affaires, la correspondance la plus active et la plus étendue répandirent de toutes parts un même esprit, ranimèrent la confiance et vivifièrent l'intérieur.

:

Danton ne laissait guère passer de jours sans venir chez moi tantôt c'était pour le conseil; il arrivait un peu avant l'heure, et passait dans mon appartement, ou s'y arrêtait un peu après, ordinairement avec Fabre-d'Églantine : tantôt il venait

(1) La circulaire de Roland fait partie des Pièces officielles (A); elle appartient à l'histoire de cette époque. (Note des nouveaux éditeurs.)

me demander la soupe, d'autres jours que ceux où j'avais coutume de recevoir, pour s'entretenir de quelque affaire avec Roland.

On ne saurait faire montre de plus de zèle, d'un plus grand amour de la liberté, d'un plus vif désir de s'entendre avec ses collègues pour la servir efficacement. Je regardais cette figure repoussante et atroce; et quoique je me disse bien qu'il ne fallait juger personne sur parole, que je n'étais assurée de rien contre lui, que l'homme le plus honnête devait avoir deux réputations dans un temps de parti, qu'enfin il fallait se défier des apparences, je ne pouvais appliquer l'idée d'un homme de bien sur ce visage. Je n'ai jamais rien vu qui caractérisât si parfaitement l'emportement des passions brutales, et l'audace la plus étonnante, demi-voilée par l'air d'une grande jovialité, l'affectation de la franchise et d'une sorte de bonhomie. Mon imagination, assez vive, se représente toutes les personnes qui me frappent, dans l'action que je crois convenir à leur caractère; je ne vois pas durant une demiheure une physionomie un peu hors du vulgaire, sans la revêtir du costume d'une profession, ou lui donner un rôle, dont elle m'inspire ou me rappelle l'idée. Cette imagination m'a souvent figuré Danton un poignard à la main, excitant de la voix et du geste une troupe d'assassins plus timides ou moins féroces que lui; ou bien, content de ses forfaits, indiquant par le geste qui caractérise Sardanapale, ses habitudes et ses penchans. Assurément

je défie un peintre exercé de ne pas trouver dans la personne de Danton toutes les convenances désirables pour cette composition.

Si j'avais pu m'astreindre à une marche suivie au lieu d'abandonner ma plume à l'allure vagabonde d'un esprit qui se promène sur les événemens, j'aurais pris Danton au commencement de 1789, misérable avocat, chargé de dettes plus que de causes (1), et dont la femme disait que sans le secours d'un louis par semaine qu'elle recevait de son père, elle ne pourrait soutenir son ménage; je l'aurais montré naissant à la section, qu'on appelait alors un district, et s'y faisant remarquer par la force de ses poumons; grand sectateur des d'Orléans, acquérant une sorte d'aisance dans le cours de cette année, sans qu'on vît de travail qui dût la procurer, et une petite célébrité par des excès que Lafayette voulait punir, mais dont il

(1) Un ouvrage qui renferme sur les personna ges de la révolution une foule de particularités peu connues, la Galerie historique des contemporains, ou nouvelle Biographie, imprimée à Bruxelles, rapporte un fait arrivé plus tard, mais qui justifie l'assertion de madame Roland, et qui ajoute un nouveau trait à l'histoire de cette époque. On était en 1791. Danton qui, le 17 juillet, avait pris part au mouvement que réprima la proclamation de la loi martiale, venait de se dérober par la fuite au décret d'accusation lancé contre lui. « Ce qui doit éminemment servir, dit la Biographie, à >> faire connaître l'esprit qui commençait, dès ce temps-là, à » s'introduire dans les assemblées du peuple, c'est que déjà

sut se prévaloir avec art en se faisant protéger par la section qu'il avait rendue turbulente. Je l'observerais déclamant avec succès aux sociétés populaires, se faisant le défenseur des droits de tous, et annonçant qu'il ne prendrait de places appointées qu'après la révolution; passant néanmoins à celle de substitut du procureur de la commune, préparant son influence aux Jacobins sur les débris de celle des Lameth; passant au 10 août avec ceux qui revenaient du château, et arrivant au ministère comme un tribun agréable au peuple, à qui il fallait donner la satisfaction de le mettre dans le gouvernement. De cette époque, sa marche fut aussi rapide que hardie: il s'attache par des libéralités, ou protége de son crédit, ces hommes avides et misérables que stimulent le besoin et les vices; il désigne les gens redoutables dont il faudra opérer la perte ; il gage les écrivains ou inspire les

» sous les liens d'un décret de prise de corps pour dettes, » Danton, dont la liberté était doublement menacée, fut » nommé électeur à l'instant même où il était poursuivi ci» vilement et criminellement. Sa présence dans Paris sem» blait donc tout-à-fait impossible, lorsqu'on le vit tout-à» coup, au mépris de toutes les lois, paraître au milieu de » l'assemblée électorale et briguer les suffrages. Un huissier » nommé Damien, qui, son titre exécutoire à la main, » s'était introduit dans l'assemblée pour l'arrêter, fut arrêté » lui-même, comme ayant porté atteinte à la souveraineté » nationale, et n'échappa qu'avec peine à la fureur popu

>>laire. >>>

(Note des nouveaux éditeurs.)

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