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écrits et quelques malheureufes hiftoires de Louis XIV éterniferaient les foupçons, fi des hommes inftruits ne prenaient foin de les détruire. J'ofe dire que, frappé de tout temps de l'injustice des hommes, j'ai fait bien des recherches pour favoir la vérité. Voici ce que m'a répété plufieurs fois le marquis de Canillac, l'un des plus honnêtes hommes du royaume, intimement attaché à ce prince foup. çonné, dont il eut depuis beaucoup à fe plaindre. Le marquis de Canillac, au milieu de cette clameur publique, va le voir dans fon palais. Il le trouve étendu à terre, verfant des larmes, aliéné par le défefpoir. Son chimiste Homberg court fe rendre à la baftille pour fe conftituer prifonnier: mais on n'avait point d'ordre de le recevoir; on le refufe. Le prince (qui le croirait?) demande lui-même, dans l'excès de fa douleur, à être mis en prifon, il veut que des formes juridiques éclairciffent fon innocence; fa mère demande avec lui cette juftification cruelle. La lettre de cachet s'expédie; mais elle n'eft point fignée : et le marquis de Canillac, dans cette émotion d'efprit, conferva feul affez de fang-froid pour fentir les conféquences d'une démarche fi défefpérée. Il fit que la mère du prince s'oppofa à cette lettre de cachet ignominieufe. Le monarque qui l'accordait, et fon neveu qui la demandait, étaient également malheureux. (k)

(k) L'auteur de la vie du duc d'Orléans eft le premier qui ait parlé de ces foupons atroces: c'était un jéfuite nommé la Morte, le même qui prêcha à Rouen contre ce prince pendant fa régence, et qui fe réfugia enfuite en Hollande fous le nom de la Hode. Il était inftruit de quelques faits T. 20. Siècle. Tome III.

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publics. Il dit, tom. I, pag. 112, que le prince fi injuftement foupçonné demanda à fe conftituer prifonnier; et ce fait est très-vrai. Ce jéfvite n'était pas à portée de favoir comment M. de Canillac s'oppofa à cette démarche trop injurieuse à Finnocence du prince. Toutes les autres anecdotes qu'il rapporte font fauffes. Reboulet, qui l'a copié, dit d'après lui, pag. 143, tom. VIII, que le dernier enfant du duc et de la ducheffe de Bourgogne fut fauvé par du contre-poifon de Venife. Il n'y a point de contrepoifon de Venife qu'on donne ainfi au hafard. La médecine ne connaît point d'antidotes généraux qui piffent guérir un mal dont on ne connaît point la fource. Tous les contes qu'on a répandus dans le public en ces temps malheureux ne font qu'un amas d'erreurs populaires.

C'eft une fauffeté de peu de conféquence, dans le com. pilateur des mémoires de madame de Maintenon, de dire que le duc du Maine fút alors à Pagonie; c'eft une calomnie puérile de dire que l'auteur du Siècle de Louis XIV accré. dite ces bruits plus qu'il ne les détruit.

Jamais l'hiftoire n'a été déshonorée par de plus abfurdes menfonges que dans ces prétendus mémoires. L'auteur teint de les écrire en 1753. Il s'avife d'imaginer que le duc et la ducheffe de Bourgogne, et leur fils aîné, moururent de la petite vérole; il avance cette fauffeté pour fe donner un prétexte de parler de l'inoculation qu'on a faite au mois de mai 1756. Ainfi dans la même page il fe trouve qu'il parle en 1753 de ce qui eft arrivé en 1756.

La littérature a été infectée de tant de fortes d'écrits calomnieux, on a débité en Hollande tant de faux mé. moires, tant d'impoftures fur le gouvernement et fur les citoyens, que c'est un devoir de précautionner les lecteurs contre cette foule de libelles.

CHAPITRE XXVIII.

Suite des anecdotes.

LOUIS XIV dévorait fa douleur en public; il fe

laiffa voir à l'ordinaire; mais en fecret les reffentimens de tant de malheurs le pénétraient et lui donnaient des convulfions. Il éprouvait toutes ces pertes domeftiques à la fuite d'une guerre malheureuse, avant qu'il fût affuré de la paix, et dans un temps où la mifère défolait le royaume. On ne le vit pas fuccomber un moment à fes afflictions.

Le refte de fa vie fut trifte. Le dérangement des finances, auquel il ne put remédier, aliéna les cœurs. Sa confiance entière pour le jéfuite le Tellier homme trop violent, acheva de les révolter. C'est une chofe très-remarquable que le public, qui lui pardonna toutes fes maitreffes, ne lui pardonna pas fon confeffeur. Il perdit les trois dernières années de fa vie, dans l'efprit de la plupart de fes fujets, tout ce qu'il avait fait de grand et de mémorable.

Privé de prefque tous fes enfans, fa tendreffe, qui redoublait pour le duc du Maine et pour le comte de Touloufe fes fils légitimés, le porta à les déclarer héritiers de la couronne, eux et leurs defcendans, au défaut des princes du fang, par un édit qui fut enregistré fans aucune remontrance en 1714. Il tempérait ainfi, par la loi naturelle, la févérité des lois de convention, qui privent les enfans nés hors du mariage de tous

droits à la fucceffion paternelle. Les rois difpenfent de cette loi. Il crut pouvoir faire pour fon fang ce qu'il avait fait en faveur de plufieurs de fes fujets. Il crut fur-tout pouvoir établir pour deux de fes enfans ce qu'il avait fait paffer au parlement fans oppofition pour les princes de la maison de Lorraine. Il égala enfuite le rang de fes bâtards à celui des princes du fang en 1715. Le procès que les princes du fang intentèrent depuis aux princes légitimés eft connu. Ceux-ci ont confervé pour leurs perfonnes et pour leurs enfans les honneurs donnés par Louis XIV. Ce qui regarde leur poftérité dépendra du temps, du mérite et de la fortune.

Louis XIV fut attaqué vers le milieu du mois d'août 1715, au retour de Marli, de la maladie qui termina fes jours. Ses jambes s'enflèrent; la gangrène commença à fe manifefter. Le comte de Stair ambaffadeur d'Angleterre paria, felon le génie de fa nation, que le roi ne pafferait pas le mois de feptembre. Le duc d'Orléans, qui au voyage de Marli avait été absolument feul, eut alors toute la cour auprès de fa perfonne. Un empirique, dans les derniers jours de la maladie du roi, lui donna un élixir qui ranima fes forces. Il mangea, et l'empirique affura qu'il guérirait. La' foule qui entourait le duc d'Orléans diminua dans le moment. CC Si le roi mange une feconde fois, ,, dit le duc d'Orléans, nous n'aurons plus perfonne." Mais la maladie était mortelle. Les mefures étaient prifes pour donner la régence abfolue au duc d'Orléans. Le roi ne la lui avait laiffée que

très-limitée par fon teftament dépofé au parlement, ou plutôt il ne l'avait établi que chef d'un confeil de régence, dans lequel il n'aurait eu que la voix prépondérante. Cependant il lui dit: Je vous ai confervé tous les droits que vous donne votre naiffance. (1) C'eft qu'il ne croyait pas qu'il y eût de loi fondamentale qui donnât dans une minorité un pouvoir fans bornes à l'héritier préfomptif du royaume. Cette autorité fuprême, dont on peut abufer, eft dangereufe; mais l'autorité partagée l'eft encore davantage. Il crut qu'ayant été fi bien obéi pendant fa vie, il le ferait après fa mort, et ne fe fouvenait pas qu'on avait caffé le testament de fon père. ( 15 )

D'ailleurs perfonne n'ignore avec quelle grandeur d'ame il vit approcher la mort, difant à madame de Maintenon: J'avais cru qu'il était plus difficile de mourir, et à fes domestiques: Pourquoi pleurez-vous ? m'avez-vous cru immortel? donnant tranquillement fes ordres fur beaucoup de chofes †, et même fur fa pompe funèbre. Quiconque a beaucoup de témoins de fa mort meurt

(7) Les mémoires de madame de Maintenon, tom. V, pag. 194, difent que Louis XIV voulut faire le duc du Maine lieutenant-général du royaume. Il faut avoir des garans authentiques pour avancer une chofe auffi extraordinaire et auffi importante. Le duc du Maine eût été au-deffus do duc d'Orléans: c'eût été tout bouleverfer: auffi le fait eft-il faux.

(15) Le maréchal de Berwick dit dans fes mémoires qu'il tient de la reine d'Angleterre, que cette princeffe ayant félicité Louis XIV fur la fageffe de fon teftament: On a voulu abfolument que je le fiffe, répondit-il, mais dès que je ferai mort, il n'en fera ni plus ni moins.

I feptembre 1715.

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