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fauffes. Prefque toutes les dates de ces lettres imprimées font erronées. Cette infidélité pourrait donner de violens foupçons fur l'authenticité de ces lettres, fi d'ailleurs on n'y reconnaiffait pas un caractère de naturel et de vérité qu'il eft prefque impoffible de contrefaire.

Il n'eft pas fort important de favoir en quelle année cette dame fut chargée du foin des enfans naturels de Louis XIV; mais l'attention à ces petites vérités fait voir avec quel fcrupule on a écrit les faits principaux de cette histoire.

Le duc du Maine était né avec un pied dif. forme. Le premier médecin d'Aquin, qui était dans la confidence, jugea qu'il fallait envoyer l'enfant aux eaux de Barège. On chercha une perfonne de confiance, qui pût fe charger de ce dépôt. (a) Le roi fe fouvint de Mme Scarren. M. de Louvois alla fecrétement à Paris lui pro pofer ce voyage. Elle eut foin depuis ce tempslà de l'éducation du duc du Maine, nommée à cet emploi par le roi, et non point par Mme de Montefpan, comme on l'a dit. Elle écrivait au roi directement; fes lettres plurent beaucoup. Voilà l'origine de fa fortune: fon mérite fit tout le refte.

Le roi, qui ne pouvait d'abord s'accoutumer à elle, paffa de l'averfion à la confiance et de la confiance à l'amour. Les lettres que nous avons d'elle font un monument bien plus précieux qu'on ne penfe: elles découvrent ce mélange

(a) L'auteur du roman des mémoires de madame de Maintenon lui fait dire, à la vue du château Trompette: Voilà où j'ai été élevée, etc. Cela eft évidemment faux; elle avait été élevée à Niort.

de religion et de galanterie, de dignité et de faibleffe, qui fe trouve fi fouvent dans le coeur humain, et qui était dans celui de Louis XIV. Celui de Mme de Maintenon paraît à la fois plein d'une ambition et d'une dévotion qui ne fe combattent jamais. Son confeffeur Gobelin approuve également l'une et l'autre ; il eft directeur et courtisan; fa pénitente, devenue ingrate envers Mme de Montespan, se diffimule toujours fon tort. Le confeffeur nourrit cette illufion; elle fait venir de bonne foi la religion au fecours de fes charmes ufés, pour fupplanter fa bien. faitrice devenue fa rivale.

Ce commerce étrange de tendreffe et de fcru pule de la part du roi, d'ambition et de dévotion de la part de la nouvelle maîtreffe, paraît durer depuis 1681 jusqu'à 1686 qui fut l'époque de leur mariage.

Son élévation ne fut pour elle qu'une retraite. Renfermée dans fon appartement qui était de plain-pied à celui du roi, elle fe bornait à une fociété de deux ou trois dames retirées comme elle; encore les voyait-elle rarement. Le roi venait tous les jours chez elle après fon dîner, avant et après le fouper, et y demeurait jufqu'à minuit. Il y travaillait avec fes miniftres, pendant que Mme de Maintenon s'occupait à la lecture, ou à quelque ouvrage des mains; ne s'empressant jamais de parler d'affaires d'Etat, paraiffant fouvent les ignorer; rejetant bien loin tout ce qui avait la plus légère apparence d'intrigue et de cabale; beaucoup plus occupée de complaire

à celui qui gouvernait que de gouverner, et ménageant fon crédit en ne l'employant qu'avec une circonfpection extrême. Elle ne profita point de fa place pour faire tomber toutes les dignités et tous les grands emplois dans fa famille. Son frère, le comte d'Aubigné, ancien lieutenant-général, ne fut pas même maréchal de France. Un cordon bleu, et quelques parts fecrètes (b) dans les fermes générales furent fa feule fortune; auffi difait-il au maréchal de Vivonne, frère de Mme de Montefpan, qu'il avait eu fon bâton de maréchal en argent comptant.

Le marquis de Villette fon neveu, ou fon coufin, ne fut que chef-d'efcadre. Mme de Cailus, fille de ce marquis de Villette, n'eut en mariage qu'une penfion modique donnée par Louis XIV. Mme de Maintenon, en mariant fa nièce d'Aubigné au fils du premier maréchal de Noailles, (c) ne lui donna que deux cents mille francs : le roi fit le refte. Elle n'avait elle-même que la terre de Maintenon qu'elle avait achetée des bienfaits du roi. Elle voulut que le public lui pardonnât fon élévation en faveur de fon défintéreffement. La feconde femme du marquis de Villette depuis

(b) Voyez les lettres à fon frère. "Je vous conjure de ,, vivre commodément, et de manger les dix-huit mille francs de l'affaire que nous avons faite : nous en ferons ,, d'autres."

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(c) Le compilateur des mémoires de madame de Maintenon dit, tom. IV, pag. 200. Rousseau, vipère acharnée contre fes bienfaiteurs, fit des couplets fatiriques contre le maréchal de Noailles. Cela n'eft pas vrai : il ne faut calom. nier perfonne. Rousseau, très-jeune alors, ne connaiffait pas le premier maréchal de Noailles. Les chanfons fatiriques dont il parle étaient d'un gentilhomme nommé de Cabay nac, qui les avouait hautement.

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Mme de Bolingbroke, ne put jamais rien obtenir d'elle. Je lui ai souvent entendu dire qu'elle avait reproché à fa coufine le peu qu'elle fefait pour fa famille; et qu'elle lui avait dit en colère: "Vous » voulez jouir de votre modération, et que votre famille en foit la victime." Mme de Maintenon oubliait tout, quand elle craignait de choquer les fentimens de Louis XIV. Elle n'ofa pas même foutenir le cardinal de Noailles contre le père le Tellier. Elle avait beaucoup d'amitié pour Racine ; mais cette amitié ne fut pas affez courageufe pour le protéger contr'un léger reffentiment du roi. Un jour, touchée de l'éloquence avec laquelle il lui avait parlé de la mifère du peuple en 1698, mifère toujours exagérée, mais qui fut portée réellement depuis jufqu'à une extrémité déplorable, elle engagea fon ami à faire un mémoire, qui montrât le mal et le remède. Le roi le lut; et en ayant témoigné du chagrin, elle eut la faibleffe d'en nommer l'auteur, et celle de ne le pas défendre. Racine, plus faible encore, fut pénétré d'une douleur qui le mit depuis au tombeau (d).

Du même fonds de caractère dont elle était incapable de rendre fervice, elle l'était auffi de nuire. L'abbé de Choifi rapporte que le ministre Louvois s'était jeté aux pieds de Louis XIV pour l'empêcher d'époufer la veuve Scarron. Si l'abbé de Choifi favait ce fait, Mme de Maintenon en était inftruite; et non-feulement elle pardonna

(d) Ce fait a été rapporté par le fils de l'illuftre Racine dans la vie de fon père.

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à ce ministre, mais elle appaifa le roi dans les mouvemens de colère que l'humeur brufque du marquis de Louvois infpirait quelquefois à fon maître (e).

(e) Qui croirait que dans les mémoires de madame de Maintenon, tom. III, pag 273, il eft dir que ce ministre craignait que le roi ne l'empoisonnât. Ieft bien étrange qu'on débite à Paris des horreurs fi infenfées, à la fuite de tant de contes ridicules.

Cette fottife atroce eft fondée fur un bruit populaire qui courut à la mort du marquis de Louvois. Ce ministre prenait des eaux que Séron fon médecin lui avait ordonnées, et que la Ligerie fon chirurgien lui fefait boire. C'eft ce même la Ligerie qui a donné au public le remède qu'on nomme aujourd'hui la poudre des chartreux. Ce la Ligerie m'a souvent dit qu'il avait averti M. de Louvois qu'il risquait fa vie s'il travaillait en prenant des eaux. Le miniftre continua fon travail: il mourut prefque fubitement le 16 juillet 1691, et non pas en 1692, comme le dit l'auteur des faux mémoires. La Ligerie l'ouvrit, et ne trouva d'autre cause de sa mort que celle qu'il avait prédite. On s'avifa de foupçonner le médecin Séron d'avoir empoisonné une bouteille de ces eaux. Nous avons vu combien ces funeftes foupçons étaient alors communs. On prétendit qu'un prince voifin, que Louvois avait extrêmement irrité et maltraité, avait gagné le médecin Séron. On trouve une partie de ces anecdotes dans les mémoires du marquis de la Fare, pag 249. La famille même de Louvois fit mettre en prifon un favoyard qui frottait dans la maison; mais ce pauvre homme très innocent fut bientôt relâché. Or fi l'on foupçonna, quoique très mal-à propos, un prince ennemi de la France d'avoir voulu attenter à la vie d'un miniftre de Louis XIV, ce n'était pas certainement une raison pour en foupçonner Louis XIV lui même.

Le même auteur, qui dans les mémoires de Maintenon a raffemblé tant de fauffetés, prétend, au même endroit, que le roi dit qu'il avait été défa ́t la même année de trois hommes qu'il ne pouvait fouffrir, le maréchal de la Fenillade, le marquis de Seignelai et le marquis de Louvois. Premièrement,

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