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l'un de l'autre, confirment le même fait dans leurs mémoires, ce fait eft indubitable; quand ils fe contredifent, il faut douter: ce qui n'eft point vraifeniblable ne doit point être cru, à moins que plufieurs contemporains dignes de foi ne dépofent unanimement.

Les anecdotes les plus utiles et les plus précieufes font les écrits fecrets que laiffent les grands princes, quand la candeur de leur ame fe manifefte dans ces monumens; tels font ceux que je rapporte de Louis XIV (*).

Les détails domeftiques amufent feulement la curiofité; les faibleffes qu'on met au grand jour ne plaifent qu'à la malignité, à moins que ces mêmes faibleffes n'inftruifent, ou par les malheurs qui les ont fuivies, ou par les vertus qui les ont réparées.

Les mémoires fecrets des contemporains font fufpects de partialité; ceux qui écrivent une ou deux générations après doivent user de la plus grande circonfpection, écarter le frivole, réduire l'exagéré et combattre la fatire.

Louis XIV mit dans fa cour, comme dans fon règne, tant d'éclat et de magnificence que les moindres détails de fa vie femblent intéreffer la poftérité, ainfi qu'ils étaient l'objet de la curiofité de toutes les cours de l'Europe et de tous les contemporains. La fplendeur de fon gouvernement s'eft répandue fur fes moindres actions. On eft plus avide, fur-tout en France, de favoir les particula rités de fa cour que les révolutions de quelques

(*) Chapitre XXVIII de cette hiftoire.

autres Etats. Tel eft l'effet de la grande réputation. On aime mieux apprendre ce qui fe paffait dans le cabinet et dans la cour d'Augufte que le détail des conquêtes d'Attila ou de Tamerlan.

Voilà pourquoi il n'y a guère d'hiftoriens qui n'aient publié les premiers goûts de Louis XIV pour la baronne de Beauvais, pour mademoifelle d'Argencourt, pour la nièce du cardinal Mazarin, qui fut mariée au comte de Soiffons, père du prince Eugène; fur-tout pour Marie Mancini, fa fœur, qui épousa ensuite le connétable Colonne.

Il ne régnait pas encore, quand ces amusemens occupaient l'oifiveté où le cardinal Mazarin, qui gouvernait defpotiquement, le laiffait languir. L'attachement feul pour Marie Mancini fut une affaire importante, parce qu'il l'aima affez pour être tenté de l'époufer, et fut affez maître de lui-même pour s'en féparer. Cette victoire qu'il remporta fur fa paffion commença à faire connaitre qu'il était né avec une grande ame. Il en remporta une plus forte et plus difficile, en laiffant le cardinal Mazarin maître abfolu. La reconnaiffance l'empêcha de fecouer le joug qui commençait à lui pefer. C'était une anecdote très-connue à la cour, qu'il avait dit après la mort du cardinal: "Je ne fais pas » ce que j'aurais fait, s'il avait vécu plus longtemps." (dd)

(dd) Cette anecdote eft accréditée par les mémoires de la Porte, pag. 255 et fuivantes. On y voit que le roi avait de l'averfion pour le cardinal; que ce miniftre, fon parrain et furintendant de fon éducation, l'avait très mal élevé, etqu'il le laiffa fouvent manquer du néceflaire. Il ajoute

Il s'occupait à lire des livres d'agrément dans ce loifir; il lifait fur- tout avec la connétable Colonne, qui avait de l'efprit ainfi que toutes fes foeurs. Il fe plaifait aux vers et aux romans qui, en peignant la galanterie et la grandeur, flattaient en fecret fon caractère. Il lifait les tragédies de Corneille, et fe formait le goût, qui n'eft que la fuite d'un fens droit et le fentiment prompt d'un efprit bien fait. La converfation de fa mère et des dames de fa cour ne contribua pas peu à lui faire goûter cette fleur d'efprit,.et à le former à cette politeffe fingulière, qui commençaient dès lors à caractérifer la cour. Anne d'Autriche y avait apporté une certaine galan. terie noble et fière, qui tenait du génie efpagnol de ces temps-là, et y avait joint les grâces, la douceur et une liberté décente, qui n'étaient qu'en France. (10) Le roi fit plus de progrès dans cette école d'agrémens, depuis dix-huit ans jusqu'à vingt, qu'il n'en avait fait dans les sciences, fous fon précepteur, l'abbé de Beaumont, depuis archevêque de Paris. On ne lui avait prefque rien même des accufations beaucoup plus graves, et qui rendraient la mémoire du cardinal bien infame; mais elles ne paraiffent pas prouvées, et toute accufation doit l'être.

(10) Cette galanterie et quelques imprudences dans fa conduite furent la caufe et des malheurs qu'elle éprouva fous le gouvernement de Richelieu, et des bruits injurieux répandus contr'elle par les frondeurs. Richelieu voulait la perdre, et il eût réuffi fans la fidélité et le courage de fes amis et de quelques-uns de fes domestiques. On trouve dans des mémoires non imprimés du duc de la Rochefoucauld qu'elle avait formé le projet de fe retirer à Bruxelles : quoique trèsjeune il était à la tête de ce complot, et s'était chargé de l'enlever et de la conduire.

appris. Il eût été à défirer qu'au moins on l'eût inftruit de l'hiftoire, et fur-tout de l'hiftoire moderne; mais ce qu'on en avait alors était trop mal écrit. Il était trifte qu'on n'eût encore réuffi que dans les romans inutiles, et que ce qui était néceffaire fût rebutant. On fit imprimer fous fon nom une traduction des commentaires de César, et une de Florus fous le nom de fon frère: mais ces princes n'y eurent d'autre part, que celle d'avoir eu inutilement pour leurs thèmes quelques endroits de ces auteurs.

Celui qui préfidait à l'éducation du roi, fous le premier maréchal de Villeroi fon gouverneur, était tel qu'il le fallait, favant et aimable: mais les guerres civiles nuifirent à cette éducation, et le cardinal Mazarin fouffrait volontiers qu'on donnât au roi peu de lumières. Lorfqu'il s'attacha à Marie Mancini, il apprit aisément l'italien pour elle; et dans le temps de fon mariage il s'appliqua à l'efpagnol moins heureufement. L'étude qu'il avait trop négligée avec fes précepteurs au fortir de l'enfance, une timidité qui venait de la crainte de fe compromettre, et l'ignorance où le tenait le cardinal Mazurin, firent penfer à toute la cour qu'il ferait toujours gou verné comme Louis XIII fon père.

Il n'y eut qu'une occafion, où ceux qui favent juger de loin prévirent ce qu'il devait être; ce fut lorsqu'en 1655, après l'extinction des guerres civiles, après fa première campagne et fon facre, le parlement voulut encore s'affembler au fujet de quelques édits; le roi partit de Vincennes en habit de chaffe, fuivi de toute fa cour; entra au

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parlement en groffes bottes, le fouet à la main; ́et prononça ces propres mots : "On fait les malheurs qu'ont produits, vos affemblées; j'ordonne » qu'on ceffe celles qui font commencées fur mes édits. Monfieur le premier préfident, je vous défends de fouffrir des affemblées, et à pas » un de vous de les demander." (ee)

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Sa taille déjà majeftueuse, la nobleffe de fes traits, le ton et l'air de maître dont il parla impofèrent plus que l'autorité de fon rang, qu'on avait jufque-là peu refpectée: Mais ces prémices de fa grandeur femblèrent fe perdre le moment d'après; et les fruits n'en parurent qu'après la mort du cardinal.

La cour, depuis le retour triomphant de Mazarin, s'occupait de jeu, de ballets, de la comédie qui à peine née en France n'était pas encore un art, et de la tragédie qui était devenue un art fublime entre les mains de Pierre Corneille. Un curé de St Germain-l'Auxerrois, qui penchait vers les idées rigoureuses des janfénistes, avait écrit fouvent à la reine contre ces fpectacles, dès les premières années de la régence. Il prétendit que l'on était damné pour y affifter; il fit même figner cet

(ee) Ces paroles, fidellement recueillies, font dans les mémoires authentiques de ce temps-là: il n'eft permis ni de les omettre, ni d'y rien changer dans aucune hiftoire de France.

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L'auteur des mémoires de Maintenon s'avife de dire au hafard dans fa note: 66 Son difcours ne fut pas tout à-fait fi beau, et fes yeux en dirent plus que fa bouche." Où at il pris que le difcours de Louis XIV ne fut pas tout à fait fi beau, puifque ce furent-là fes propres paroles? Il ne fut ni plus ni moins beau: il fut tel qu'on le rapporte

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