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Il obéiffait aux ordres du roi, en demandant la condamnation de quelques maximes pieufement ridicules des myftiques, qui font les alchimistes de la religion: mais il était fidelle à l'amitié, en éludant les coups qu'on voulait porter à la perfonne de Fénélon. Suppofé qu'il importât à l'Eglife qu'on n'aimât pas DIEU pour lui-même, il n'importait pas que l'archevêque de Cambrai fût flétri. Mais le roi malheureusement voulut que Fénelon fût condamné; foit aigreur contre lui, ce qui femblait au-deffous d'un grand roi; foit afferviffement au parti contraire, ce qui femble encore plus au- deffous de la dignité du trône. Quoi qu'il en foit, il écrivit au cardinal de Bouillon le 16 mars 1699 une lettre de reproches trèsmortifiante. Il déclare dans cette lettre qu'il veut la condamnation de l'archevêque de Cambrai: elle eft d'un homme piqué. Le Télémaque fefait alors un grand bruit dans toute l'Europe; et les Maximes des faints, que le roi n'avait point lues, étaient punies des maximes répandues dans le Télémaque qu'il avait lues.

On rappela auffi tôt le cardinal de Bouillon. Il partit ; mais ayant appris, à quelques milles de Rome, que le cardinal doyen était mort, il fut obligé de revenir fur fes pas pour prendre poffeffion de cette dignité qui lui appartenait de droit, étant, quoique jeune encore, le plus ancien des cardinaux.

La place de doyen du facré collége donne à Rome de très grandes prérogatives; et felon la manière de penfer de ce temps- là, c'était une T. 20. Siècle. Tome III. Ff

chofe agréable pour la France qu'elle fût occupée par un français.

Ce n'était point d'ailleurs manquer au roi que de fe mettre en poffeffion de fon bien, et de partir enfuite. Cependant cette démarche aigrit le roi fans retour. Le cardinal en arrivant en France fut exilé, et cet exil dura dix années entières.

Enfin laffé d'une fi longue difgrâce, il prit le parti de fortir de France pour jamais en 1710, dans le temps que Louis XIV semblait accablé par les alliés, et que le royaume était menacé de tous côtés.

Le prince Eugène, et le prince d'Auvergne fes parens, le recurent fur les frontières de Flan. dre où ils étaient victorieux. Il envoya au roi la croix de l'ordre du 5* Esprit, et la démission de fa charge de grand-aumônier de France, en lui écrivant ces propres paroles: "Je reprends 33 la liberté que me donnaient ma naissance de » prince étranger fils d'un fouverain ne dépen dant que de DIEU, et ma dignité de cardinal de la fainte Eglife romaine et de doyen " du facré collége.... Je tâcherai de travail», ler le refte de mes jours à fervir DIEU et l'Eglife dans la première place après la » fuprême, etc.

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Sa prétention de prince indépendant lui paraiffait fondée non-feulement fur l'axiome de plufieurs jurifconfultes, qui affurent que qui renonce à tout n'eft plus tenu à rien, et que tout homme eft libre de choifir fon féjour, mais fur ce qu'en effet le cardinal était né à Sédan dans le temps

que fon père était encore fouverain de Sédan: il regardait fa qualité de prince indépendant comme un caractère ineffaçable. Et quant au titre de cardinal doyen, qu'il appelle la première place après la fuprême, il fe juftifiait par l'exemple de tous fes prédéceffeurs, qui ont paffé inconteftablement devant les rois à toutes les cérémonies de Rome.

La cour de France et le parlement de Paris avaient des maximes entièrement différentes. Le procureur-général d'Agueffeau, depuis chancelier, l'accufa devant les chambres affemblées, qui rendirent contre lui un décret de prife de corps, et confifquèrent tous fes biens. Il vécut à Rome honoré quoique pauvre, et mourut victime du quiétifme qu'il méprifait, et de l'amitié qu'il avait noblement conciliée avec fon devoir.

Il ne faut pas omettre que, lorfqu'il se retira des Pays-Bas à Rome, on fembla craindre à la cour qu'il ne devint pape. J'ai entre les mains la lettre du roi au cardinal de la Trimouille du 26 mai 1710, dans laquelle il manifeste cette crainte: "On peut tout préfumer, dit-il, d'un sujet pré" venu de l'opinion qu'il ne dépend que de lui feul. Il fuffira que la place dont le cardinal de " Bouillon eft préfentement ébloui lui paraiffe inférieure à fa naiffance et à fes talens: il fe "croira toute voie permife pour parvenir à la » première place de l'Eglife, lorfqu'il en aura » contemplé la fplendeur de p. près. "

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Ainfi en décrétant le cardinal de Bouillon, et en donnant ordre qu'on le mit dans les prifons de

la conciergerie, fi on pouvait fe faifir de lui, on craignit qu'il ne montât fur un trône qui eft regardé comme le premier de la terre par tous ceux de la religion catholique; et qu'alors en s'uniffant avec les ennemis de Louis XIV, il ne fe vengeât encore plus que le prince Eugène; les armes de P'Eglife ne pouvant rien par elles-mêmes, mais pouvant alors beaucoup par celles d'Autriche.

CHAPITRE XXXIX.

Difputes fur les cérémonies chinoises. Comment ces querelles contribuèrent à faire profcrire le chriftianifme à la Chine,

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E n'était pas affez, pour l'inquiétude de notre efprit, que nous difputaffions au bout de dix-fept cents ans fur des points de notre religion, il fallut encore que celle des Chinois entrât dans nos querelles. Cette difpute ne produifit pas de grands mouvemens; mais elle caractérifa, plus qu'aucune autre, cet efprit actif, contentieux et querelleur qui règne dans nos climats.

Le jésuite Matthieu Ricci, fur la fin du dixfeptième fiècle, avait été un des premiers miffionnaires de la Chine. Les Chinois étaient et font encore, en philofophie et en littérature, à peuprès ce que nous étions il y a deux cents ans. Le refpect pour leurs anciens maîtres leur prescrit des bornes qu'ils n'ofent paffer. Le progrès dans les fciences eft l'ouvrage du temps et de la

hardieffe de l'efprit. Mais la morale et la police étant plus aifées à comprendre que les fciences, et s'étant perfectionnées chez eux quand les autres arts ne l'étaient pas encore, il eft arrivé que les Chinois, demeurés depuis plus de deux mille ans à tous les termes où ils étaient parvenus, font restés médiocres dans les fciences, et le premier peuple de la terre dans la morale et dans la police, comme le plus ancien.

Après Ricci, beaucoup d'autres jéfuites pénétrèrent dans ce vaste empire, et à la faveur des fciences de l'Europe, ils parvinrent à jeter fecré tement quelques femences de la religion chrétienne parmi les enfans du peuple, qu'ils inftruifirent comme ils purent. Des dominicains, qui partageaient la miffion, accufèrent les jéfuites de permettre l'idolâtrie en prêchant le chriftianifme. La queftion était délicate, ainfi que la conduite qu'il fallait tenir à la Chine.

Les lois et la tranquillité de ce grand empire font fondées fur le droit le plus naturel ensemble et le plus facré, le refpect des enfans pour les pères. A ce refpect ils joignent celui qu'ils doivent à leurs premiers maîtres de morale, et fur-toutà Confutzée, nommé par nous Confucius, ancien fage qui, près de fix cents ans avant la fondation du chriftianifme, leur enfeigna la vertu.

Les familles s'affemblen ten particulier à certains jours, pour honorer leurs ancêtres; les lettrés en public, pour honorer Confutzée. On fe profterne, fuivant leur manière de faluer les fu périeurs, ce que les Romains, qui trouvèrent

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