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qui portaient leurs devifes et leurs boucliers; et fur ces boucliers étaient écrits en lettres d'or des vers compofés par Périgni et par Benferade. Ce dernier fur-tout avait un talent fingulier pour ces pièces galantes, dans lefquelles il fefait toujours des allufions délicates et piquantes aux caractères des perfonnes, aux perfonnages de l'antiquité ou de la fable qu'on repréfentait, et aux paffions qui animaient la cour. Le roi repréfentait Roger tous les diamans de la couronne brillaient fur fon habit et fur le cheval qu'il montait. Les reines et trois cents dames, fous des arcs de triomphe, voyaient cette entrée.

:

Le roi, parmi tous les regards attachés fur lui, ne diftinguait que ceux de Mlle de la Vallière. La fête était pour elle feule; elle en jouiffait confondue dans la foule.

La cavalcade était fuivie d'un char doré de dixhuit pieds de haut, de quinze de large, de vingtquatre de long, repréfentant le char du foleil. Les quatre âges. d'or, d'argent, d'airain et de fer, les fignes céleftes, fes Saifons, les Heures fuivaient à pied ce char. Tout était caractérisé. Des bergers portaient les pièces de la barrière, qu'on ajuftait au fon des trompettes, auxquelles fuccédaient par intervalle les mufettes et les violons. Quelques perfonnages, qui fuivaient le char d'Apollon, vinrent d'abord réciter aux reines des vers convenables au lieu, au temps, au roi et aux dames. Les courfes finies, et la nuit venue, quatre mille gros flambeaux éclairérent l'efpace où fe donnaient les fêtes. Des tables y

furent fervies par deux cents perfonnages, qui repréfentaient les Saifons, les Faunes, les Sylvains, les Dryades, avec des pasteurs, des vendangeurs, des moiffonneurs. Pan et Diane avançaient fur une montagne mouvante, et en defcendirent pour faire pofer fur les tables ce que les campagnes et les forêts produifent de plus délicieux. Derrière les tables en demi-cercle s'éleva tout d'un coup un théâtre chargé de concertans. Les arcades qui entouraient la table et le théâtre étaient ornées de cinq cents girandoles vertes et argent, qui portaient des bougies; et une balustrade dorée fermait cette vafte enceinte..

Ces fêtes, fi fupérieures à celles qu'on invente dans les romans, durèrent fept jours. Le roi remporta quatre fois le prix des jeux, et laiffa difputer enfuite aux autres chevaliers les prix qu'il avait gagnés, et qu'il leur abandonnait.

La comédie de la Princeffe d'Elide, quoiqu'elle ne foit pas une des meilleures de Molière, fut un des plus agréables ornemens de ces jeux, par une infinité d'allégories fines fur les mœurs du temps, et.par des à-propos qui font l'agrément de ces fêtes, mais qui font perdus pour la poftérité. On était encore très-entêté à la cour de l'aftrologie judiciaire: plufieurs princes penfaient, par une fuperftition orgueilleufe, que la nature les diftinguait jufqu'à écrire leur destinée dans les aîtres. Le duc de Savoie Victoire-Amédée, père de la ducheffe de Bourgogne, eut un aftrologue auprès de lui, même après fon abdication.

Molière ofa attaquer cette illufion dans les Amans magnifiques, joués dans une autre fête en 1670.

On y voit aussi un fou de cour, ainfi que dans la Princeffe d'Elide. Ces miférables étaient encore fort à la mode. C'était un refte de barbarie, qui a duré plus long-temps en Allemagne qu'ailleurs. Le besoin des amusemens, l'impuiffance de s'en procurer d'agréables et d'honnêtes dans les temps d'ignorance et de mauvais goût avaient fait imaginer ce trifte plaifir, qui dégrade l'efprit humain. Le fou qui était alors auprès de Louis XIV avait appartenu au prince de Condé il s'appelait l'Angeli. Le comte de Grammont difait que de tous les fous qui avaient fuivi M. le prince, il n'y avait que l'Angeli qui eût fait fortune. Ce bouffon ne manquait pas d'efprit. C'eft lui qui dit qu'il n'allait pas au fermon, parce qu'il n'aimait pas le brailler, et qu'il n'entendait pas le raifonner.

La farce du Mariage forcé fut auffi jouée à cette fête. Mais ce qu'il y eut de véritablement admirable, ce fut la première repréfentation des trois premiers actes du Tartuffe. Le roi voulut voir ce chef-d'œuvre, avant même qu'il fût achevé. Il le protégea depuis contre les faux dévots, qui voulurent intéreffer la terre et le ciel pour le fupprimer; et il fubfiftera, comme on l'a déjà dit ailleurs, tant qu'il y aura en France du goût et des hypocrites.

La plupart de ces folennités brillantes ne font

fouvent que pour les yeux et les oreilles. Ce qui n'eft que pompe et magnificence paffe en un jour; mais quand des chefs-d'œuvre de l'art, comme le Tartuffe, font l'ornement de ces fètes, elles laiffent après elles une éternelle mémoire.

On fe fouvient encore de plufieurs traits de ces allégories de Benferade, qui ornaient les ballets de ce temps-là. Je ne citerai que ces vers pour le roi repréfentant le foleil.

Je doute qu'on le prenne avec vous fur le ton
De Daphné ni de Phaëton.

Lui trop ambitieux, elle,trop inhumaine :
Il n'eft point là de piége où vous puiffiez donner;
Le moyen de s'imaginer,

Qu'une femme vous fuie; et qu'un homme vous mène?

La principale gloire de ces amufemens, qui perfectionnaient en France le goût, la politeffe et les talens, venait de ce qu'ils ne dérobaient rien aux travaux continuels du monarque. Sans ces travaux il n'aurait fu que tenir une cour, il n'aurait pas fu régner; et fi les plaifirs magnifiques de cette cour avaient infulté à la mifère du peuple, ils n'euffent été qu'odieux: mais le même homme qui avait donné ces fêtes avait donné du pain au peuple dans la difette de 1662. Il avait fait venir des grains, que les riches achetèrent à vil prix, et dont il fit des dons aux pauvres familles à la porte du louvre : il avait remis au peuple trois millions de tailles : nulle partie de l'adminiftration intérieure n'était négligée; fon gouvernement était refpecté au-dehors. Le roi d'Espagne obligé de lui céder la pré

féance, le pape forcé de lui faire fatisfaction Dunkerque ajouté à la France par un marché glorieux à l'acquéreur et honteux pour le vendeur; enfin toutes fes démarches depuis qu'il tenait les rènes avaient été ou nobles ou utiles: il était beau après cela de donner des fétes.

Le légat à latere, Chigi, neveu du pape Alexandre VII, venant au milieu de toutes les réjouiffances de Versailles faire fatisfaction au roi de l'attentat des gardes du pape, étala à la cour un fpectacle nouveau. Ces grandes cérémonies font des fêtes pour le public. Les honneurs qu'on lui fit rendaient la fatisfaction plus éclatante. Il reçut fous un dais les refpects des cours fupérieures, du corps de ville, du clergé Il entra dans Paris au bruit du canon, ayant le grand Condé à fa droite et le fils de ce prince à fa gauche, et vint dans cet appareil s'humilier, lui, Rome et le pape, devant un roi qui n'avait pas encore tiré l'épée. Il dina avec Louis XIV après l'audience; et on ne fut occupé que de le traiter avec magnificence, et de lui procurer A des plaifirs. On traita depuis le doge de Gènes avec moins d'honneurs, mais avec ce même empreffement de plaire, que le roi concilia toujours avec fes démarches altières.

Tout cela donnait à la cour de Louis XIV un air de grandeur qui effaçait toutes les autres cours de l'Europe. Il voulait que cet éclat attaché à fa perfonne rejaillit fur tout ce qui l'environnait ; que tous les grands fuffent honorés, et qu'aucun ne

† 1664.

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