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pas. Ceux qui leur fuccèdent ne peuvent guère dire que ce qu'on fait. Enfin, une espèce de dégoût eft venue de la multitude des chefs-d'œuvre. Le fiècle de Louis XIV a donc en tout la deftinée des fiècles de Léon X, d'Augufe, d'Alexan dre. Les terres qui firent naître dans ces temps illuftres tant de fruits du génie avaient été longtemps préparées auparavant. On a cherché en vain dans les caufes morales et dans les caufes phyfiques la raifon de cette tardive fécondité, fuivie d'une longue ftérilité. La véritable raifon eft que chez les peuples qui cultivent les beaux arts, il faut beaucoup d'années pour épurer la langue et le goût. Quand les premiers pas font faits, alors les génies fe développent; l'émulation, la faveur publique prodiguée à ces nouveaux efforts, excitent tous les talens. Chaque artifte faifit en fon genre les beautés naturelles que ce genre comporte. Quiconque approfondit la théorie des arts purement de génie doit, s'il a quelque génie lui-même, favoir que ces premières beautés, ces grands traits naturels qui appartiennent à ces arts, et qui conviennent à la nation pour laquelle on travaille, font en petit nombre. Les fujets et les embelliffemens propres aux fujets ont des bornes bien plus refferrées qu'on ne penfe.L'abbé du Bos, homme d'un très-grand fens, qui écrivait fon traité fur la poéfie et fur la peinture l'an 1714, trouva que dans toute l'hiftoire de France il n'y avait de vrai fujet de poëme épique que la deftruction de la ligue par Henri le grand. Il devait ajouter que les embelliffemens de l'épopée, convenables auxGrecs, aux Komains,

vers

aux Italiens du quinzième et du feizième fiècle, étant profcrits parmi les Français, les Dieux de la fable, les oracles, les héros invulnérables, les monftres, les fortiléges, les métamorphofes, les aventures romanefques n'étant plus de faifon, les beautés propres au poëme épique font renfermées dans un cercle très-étroit. Si donc il fe trouve jamais quelque artiste qui s'empare des feuls ornemens convenables au temps, au fujet, à la nation, et qui exécute ce qu'on a tenté, ceux qui viendront après lui trouveront la carrière remplie.

Il en eft de même dans l'art de la tragédie. Il ne faut pas croire que les grandes paffions tragiques et les grands fentimens puiffent se varier à l'infini d'une manière neuve et frappante. Tout a fes bornes.

La haute comédie à les fiennes. Il n'y a dans la nature humaine qu'une douzaine, tout au plus, de caractères vraiment comiques et marqués de grands traits. L'abbé du Bos, faute de génie, croit que les hommes de génie peuvent encore trouver une foule de nouveaux caractères; mais il faudrait que le nature en fit. Il s'imagine que ces petites différences, qui font dans les caractères des hommes, peuvent être maniées aufli heureufement que les grands fujets. Les nuances à la vérité font innombrables, mais les couleurs éclatantes font en petit nombre; et ce font ces couleurs primitives qu'un grand artiste ne manque pas d'employer.

L'éloquence de la chaire, et fur-tout celle des oraifons funèbres, font dans ce cas. Les vérités morales une fois annoncées avec éloquence, les

tableaux des mifères et des faibleffes humaines, des vanités de la grandeur, des ravages de la mort, étant faits par des mains habiles, tout cela devient lieu commun. On eft réduit ou à imiter ou à s'égarer. Un nombre fuffifant de fables étant compofé par un la Fontaine, tout ce qu'on y ajoute rentre dans la même morale, et prefque dans les mêmes aventures. Ainfi donc le génie n'a qu'un fiècle, après quoi il faut qu'il dégénère.

Les genres dont les fujets fe renouvellent fans ceffe,comme l'hiftoire, les obfervations phyfiques, et qui ne demandent que du travail, du jugement et un efprit commun, peuvent plus aisément se foutenir; et les arts de la main, comme la peinture, la sculpture, peuvent ne pas dégénérer, quand ceux qui gouvernent ont, à l'exemple de Louis XIV, l'attention de n'employer que les meilleurs artiftes. Car on peut en peinture et en fculpture traiter cent fois les mêmes fujets: on peint encore la fainte famille, quoique Raphaël ait déployé dans ce fujet toute la fupériorité de fon art: mais on ne ferait pas reçu à traiter Cinna, Andromaque, l'Art poëtique, le Tartuffe.

Il faut encore obferver que le fiècle paffé ayant inftruit le préfent, il est devenu fi facile d'écrire des chofes médiocres qu'on a été inondé de livres frivoles; et ce qui eft encore bien pis, de livres férieux inutiles mais parmi cette multitude de médiocres écrits, mal devenu néceffaire dans une ville immenfe, opulente et oifive, où une partie des citoyens s'occupe fans ceffe à amufer l'autre, il fe trouve de temps en temps d'excellens ouvra

ges, ou d'hiftoire, ou de réflexions, ou de cette littérature légère qui délaffe toutes fortes d'efprits.

La nation française eft de toutes les nations celle qui a produit le plus de ces ouvrages. Sa langue est devenue la langue de l'Europe : tout y a contribué; les grands auteurs du fiècle de Louis XIV, ceux qui les ont fuivis, les pafteurs calviniftes réfugiés, qui ont porté l'éloquence, la méthode dans les pays étrangers; un Bayle fur-tout, qui écrivant en Hollande, s'eft fait lire de toutes les nations; un Rapin de Thoyras, qui a donné en français la feule bonne hiftoire d'Angleterre; (*) un Saint-Evremond, dont toute la cour de Londres recherchait le commerce; la ducheffe de Mazarin, à qui l'on ambitionnait de plaire; Mme d'Olbreufe devenue ducheffe de Zell, qui porta en Allemagne toutes les grâces de fa patrie. L'efprit de fociété eft le partage naturel des Français: c'est un mérite et un plaifir dont les autres peuples ont fenti le befoin. La langue française eft de toutes les langues celle qui exprime avec le plus de facilité, de netteté et de délicateffe tous les objets de la conversation des honnêtes gens, et par-là elle contribue dans toute l'Europe à un des plus grands agrémens de la vie.

Celle de M. Hume n'avait pas encore paru.

CHAPITRE XXXIII.

Suite des arts.

A l'égard des arts qui ne dépendent pas uniquement de l'efprit, comme la mufique, la peinture, la fculpture, l'architecture, ils n'avaient fait que de faibles progrès en France avant le temps qu'on nomme le fiècle de Louis XIV. La mufique était au berceau : quelques chanfons languiffantes, quelques airs de violon, de guitare et de téorbe, la plupart même compofés en Espagne, étaient tout ce qu'on connaiffait. Lulli étonna par fon goût et par fa fcience. Il fut le premier en France qui fit des baffes, des milieux et des fugues. On avait d'abord quelque peine à exécuter fes compofitions, qui paraissent aujourd'hui fi fimples et fi aifées. Il y a de nos jours mille perfonnes qui favent la mufique, pour une qui la favait du temps de Louis XIII; et l'art s'eft perfectionné dans cette progreffion. Il n'y a point de grande ville qui n'ait des concerts publics; et Paris même alors n'en avait pas. Vingt-quatre violons du roi étaient toute la mufique de la France.

Les connaiffances qui appartiennent à la mufique et aux arts qui en dépendent, ont fait tant de progrès que fur la fin du règne de Louis XIV on a inventé l'art de noter la danfe; de forte qu'aujourd'hui il eft vrai de dire qu'on danfe à livre ouvert.

Nous

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