Page images
PDF
EPUB

ceux qui en d'autres temps auraient paffé pour des prodiges, ont été confondus dans la foule. Leur gloire eft peu de chofe, à caufe de leur nombre; et la gloire du fiècle en eft plus grande.

CHAPITRE XXX I I,

Des beaux arts.

La faine philofophie ne fit pas en France d'auffi grands progrès qu'en Angleterre et à Florence; et fi l'académie des fciences rendit des fervices à l'efprit humain, elle ne mit pas la France au-deffus des autres nations. Toutes les grandes inventions et les grandes vérités vinrent d'ailleurs.

Mais dans l'éloquence, dans la poéfie, dans la littérature, dans les livres de morale et d'agrément, les Français furent les légiflateurs de l'Europe. Il n'y avait plus de goût en Italie. La véritable éloquence était par-tout ignorée, la religion enfeigné ridiculement en chaire, et les caufes plaidées de même dans le barreau. Les prédicateurs citaient Virgile et Ovide; les avocats St Auguftin et St Jérôme. Il ne s'était point encore trouvé de génie qui eût donné à la langue française le tour, le nombre, la propriété du · ftyle et la dignité. Quelques vers de Malherbe fefaient fentir feulement qu'elle était capable de grandeur et de force; mais c'était tout. Les mêmes génies qui avaient écrit très-bien en latin, comme un président de Thon, un chancelier de l'Hospital

l'Hospital, n'étaient plus les mêmes, quand ils maniaient leur propre langage, rebelle entre leurs mains. Le Français n'était encore recommandable que par une certaine naïveté, qui avait fait le feul mérite de Joinville, d'Amiot, de Marot, de Montagne, de Régnier, de la Satire Ménippée. Cette naïveté tenait beaucoup à l'irrégularité, à la groffièreté. ·

Jean de Lingendes, évêque de Mâcon, aujourd'hui inconnu parce qu'il ne fit point imprimer fes ouvrages, fut le premier orateur qui parla dans le grand goût. Ses fermons et fes oraifons. funèbres, quoique mêlées encore de la rouille de fon temps, furent le modèle des orateurs qui l'imitèrent et le furpaffèrent. L'oraifon funèbre de Charles - Emanuel duc de Savoie furnommé le grand dans fon pays, prohoncée par Lingendes en 1630, était pleine de fi grands traits d'éloquence, que Fléchier long-temps après en prit l'exorde tout entier auffi-bien que le texte et plufieurs paffages confidérables, pour en orner fa fameufe oraifon funèbre du vicomte de Turenne.

Balzac en ce temps-là donnait du nombre et de l'harmonie à la profe. Il eft vrai que fes lettres étaient des harangues ampoulées; il écrivait au premier cardinal de Retz: " Vous venez de » prendre le fceptre des rois et la livrée des rofes." Il écrivait de Rome à Bois-Robert, parlant des eaux de fenteur: "Je me fauve à la nage dans ma chambre au milieu des parfums. Avec tous ces défauts, il charmait T. 20. Siècle. Tome III.

دو

"

[ocr errors]
[ocr errors]

Q

en

[ocr errors]

l'oreille. L'éloquence a tant de pouvoir fur les hommes qu'on admira Balzac dans fon temps, pour avoir trouvé cette petite partie de l'art ignorée et néceffaire, qui confifte dans le choix harmonieux des paroles; et même pour l'avoir employée fouvent hors de fa place.

Voiture donna quelque idée des grâces légères de ce ftyle épiftolaire, qui n'eft pas le meilleur, puifqu'il ne confifte que dans la plaifanterie. C'eft un baladinage, que deux tomes de lettres dans lefquelles il n'y en a pas une feule instructive, pas une qui parte du cœur, qui peigne les mœurs du temps et les caractères des hommes; c'est plutôt un abus qu'un ufage de l'efprit.

La langue commençait à s'épurer et à prendre une forme conftante. On en était redevable à l'académie française, et fur-tout à Vaugelas. Sa traduction de Quinte-Curce, qui parut en 1646, fut le premier bon livre écrit purement; et il s'y trouve peu d'expreffions et de tours qui aient vieilli.

Olivier Patru, qui le fuivit de près, contribua beaucoup à régler, à épurer le langage; et quoiqu'il ne paffât pas pour un avocat profond, on lui dut néanmoins l'ordre, la clarté, la bienféance, l'élégance du difcours; mérites abfolument inconnus, avant lui au barreau.

Un des ouvrages qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation, et à lui donner un efprit de jufteffe et de précision, fut le petit. recueil des Maximes de François duc de la Rochefoucauld. Quoiqu'il n'y ait prefque qu'une vérité

dans ce livre, qui eft que l'amour-propre est le mobile de tout, cependant cette pensée fe préfente fous tant d'afpects variés qu'elle eft prefque toujours piquante. C'eft moins un livre que des matériaux pour orner un livre. On lut avidement ce petit recueil; il accoutuma à penfer et à renfermer fes penfées dans un tour vif, précis et délicat. C'était un mérite que perfonne n'avait eu avant lui en Europe, depuis la renaiffance des lettres.

Mais le premier livre de génie, qu'on vit en profe, fut le recueil des Lettres provinciales en 1654. Toutes les fortes d'éloquence y font renfer mées. Il n'y a pas un feul mot, qui depuis cent ans fe foit reffenti du changement qui altère fouvent les langues vivantes. Il faut rapporter à cet ouvrage l'époque de la fixation du langage. L'évêque de Luçon fils du célèbre Buffy m'a dit qu'ayant demandé à monfieur de Meaux quel ouvrage il eût mieux aimé avoir fait, s'il n'avait pas fait les fiens, Baffuet lui répondit: Les lettres provin ciales. Elles ont beauoup perdu de leur piquant, lorfque les jéfuites ont été abolis et les objets de leurs difputes méprifés.

Le bon goût qui règne d'un bout à l'autre dans ce livre, et la vigueur des dernières lettres, ne corrigèrent pas d'abord le ftyle lâche, diffus, incorrect et découfu, qui depuis long-temps était celui de prefque tous les écrivains, des prédica teurs et des avocats..

Un des premiers, qui étala dans la chaire une raifon toujours éloquente, fut le père

Fourdalone vers l'an 1668. Ce fut une lumière nouvelle. Il y a eu après lui d'autres orateurs de la chaire, comme le père Maillon, évêque de Clermont, qui ont répandu dans leurs difcours plus de grâces, des peintures plus fines et plus pénétrantes des mœurs du fiècle; mais aucun ne l'a fait oublier. Dans fon ftyle plus nerveux que fleuri, fans aucune imagination dans l'expreffion, il paraît vouloir plutôt convaincre que toucher; et jamais il ne fonge à plaire.

Peut-être ferait-il à fouhaiter qu'en bannissant de la chaire le mauvais goût qui l'aviliffait, il en eût banni auffi cette coutume de prêcher fur un texte. En effet, parler long-temps fur une citation d'une ligne ou deux, fe fatiguer à compaffer tout fon difcours fur cette ligne, un tel travail paraît un jeu peu digne de la gravité de ce miniftère. Le texte devient une espèce de devise, ou plutôt d'énigme, que le difcours développe. Jamais les Grecs et les Romains ne connurent cet ufage. C'eft dans la décadence des lettres qu'il commença, et le temps l'a confacré.

L'habitude de divifer toujours en deux ou trois points des chofes qui, comme la morale, n'exigent aucune divifion, ou qui en demanderaient davantage, comme la controverfe, eft encore une coutume gênante, que le père Bourdaloue trouva introduite, et à laquelle il fe conforma.

Il avait été précédé par Boffuet, depuis évêque de Meaux. Celui-ci, qui devint un fi grandhomme, s'était engagé dans fa grande jeuneffe à époufer mademoiselle Des-Vieux, fille d'un

« PreviousContinue »