Page images
PDF
EPUB

vous pas que, pour peu que la chose eût été feulement douteufe, tous ces meffieurs vous auraient donné gain de cause?

Le duc d'Antin fe diftingua dans ce fiècle par un art fingulier, non pas de dire des chofes flatteufes, mais d'en faire. Le roi va coucher à Petitbourg; il y critique une grande allée d'arbres qui cachait la vue de la rivière. Le duc d'Antin la fait abattre pendant la nuit. Le roi, à fon réveil, eft étonné de ne plus voir ces arbres qu'il avait condamnés. C'est parce que votre majesté les a condamnés, qu'elle ne les voit plus, répond le duc. Nous avons auffi rapporté ailleurs que le même homme ayant remarqué qu'un bois affez grand au bout du canal de Fontainebleau dé. plaifait au roi, prit le moment d'une promenade, et tout étant préparé, il se fit donner un ordre de couper ce bois, et on le vit dans l'instant abattu tout entier. Ces traits font d'un courtifan ingénieux, et non pas d'un flatteur.

.

On a accufé Louis XIV d'un orgueil infuppor table, parce que la bafe de fa ftatue à la place des Victoires eft entourée d'efclaves enchaînés. Mais ce n'eft point lui qui fit ériger cette ftatue, ni celle qu'on voit à la place de Vendôme. Celle de la place des Victoires eft le monument de la grandeur d'ame et de la reconnaiffance du premier maréchal de la Feuillade pour fon fouverain. Il y dépenfa cinq cents mille livres, qui font près d'un million aujourd'hui; et la ville en ajouta autant pour rendre la place régulière. Il paraît qu'on a eu également tort d'imputer à

Louis

Louis XIV le fafte de cette ftatue, et de ne voir que de la vanité et de la flatterie dans la magnanimité du maréchal.

On ne parlait que de ces quatre efclaves; mais ils figurent des vices domptés, aufli bien que des nations vaincues; le duel aboli, l'héréfie détruite; les infcriptions le témoignent affez. Elies célèbrent auffi la jonction des mers, la paix de Nimègue; elles parlent de bienfaits plus que d'exploits guerriers. D'ailleurs c'eft un ancien ufage des fculpteurs, de mettre des efclaves aux pieds des ftatues des rois. Il vaudrait mieux y repréfenter des citoyens libres et heureux. Mais enfin on voit des efclaves aux pieds du clément Henri IV et de Louis XIII à Paris; on en voit à Livourne fous la ftatue de Ferdinand de Médicis, qui n'enchaîna affurément aucune nation; on en voit à Berlin fous la ftatue d'un électeur, qui repouffa les Suédois, mais qui ne fit point de conquêtes..

Les voifins de la France, et les Français euxmêmes, ont rendu tres-injuftement Louis XIV refponfable de cet ufage. L'infcription Viro immortali, A l'homme immortel, a été traitée d'idolâtrie; comme fi ce mot fignifiait autre chofe que l'immortalité de fa gloire. L'infcription de Viviani à fa maifon de Florence, Edes à Deo data, Maifon donnée par un Dieu, ferait bien plus idolâtre elle n'eft pourtant qu'une allufion au furnom de Dieu-donne, et au vers de Virgile, Deus nobis bac otia fecit.

A l'égard de la ftatue de la place de Vendôme c'eft la ville qui l'a érigée. Les infcriptions latines, T. 20. Siècle. Tome III. K

[ocr errors]

دو

prend une dame de votre élévation, de venir exprès ici me dire que je ne fuis pas fille du roi, ,, me perfuade que je le fuis. "Le couvent de Moret fe fouvient encore de cette anecdote.

Tant de détails pourraient rebuter un philofophe: mais la curiofité, cette faibleffe fi commune aux hommes, ceffe prefque d'en être une, quand elle a pour objet des temps et des hommes qui attirent les regards de la poftérité.

CHAPITRE XXIX.

Gouvernement intérieur. Juftice. Commerce. Police. Lois. Difcipline militaire. Marine, etc.

On doitcette juftice aux hommes publics qui

ont fait du bien à leur fiècle, de regarder le point dont ils font partis, pour mieux voir les changemens qu'ils ont faits dans leur patrie. La poftérité leur doit une éternelle reconnaiffance des exemples qu'ils ont donnés; lors même qu'ils font furpaffés. Cette jufte gloire eft leur unique récompenfe. 11 eft certain que l'amour de cette gloire anima Louis XIV, lorfque, conmençant à gouverner par lui-même, il voulut réformer fon royaume, embellir fa cour et perfectionner les arts.

Non-feulement il s'impofa la loi de travailler régulièrement avec chacun de fes miniftres, mais tout homme connu pouvait obtenir de lui une audience particulière, et tout citoyen avait la

liberté de lui préfenter des requêtes et des projets. Les placets étaient reçus d'abord par un maître des requêtes, qui les rendait apoftillés; ils furent dans la fuite renvoyés aux bureaux des miniftres. Les projets étaient examinés dans le confeil quand ils méritaient de l'être et leurs auteurs furent admis plus d'une fois à difcuter leurs propofitions avec les miniftres en préfence du roi. Ainfi on vit entre le trône et la nation une correfpondance qui fubfifta, malgré le pouvoir abfolu.

Louis XIV fe forma et s'accoutuma lui-méme au travail; et ce travail était d'autant plus pénible qu'il était nouveau pour lui, et que la féduction des plaifirs pouvait aifément le diftraire. Il écrivit les premières dépêches à fes ambaffadeurs. Les lettres les plus importantes furent fouvent depuis minutées de fa main et il n'y en eut aucune écrite en fon nom, qu'il ne fe fit lire.

A peine Colbert, après la chute de Fouquet, eut-il rétabli l'ordre dans les finances, que le roi remit aux peuples tout ce qui était dû d'impôts, depuis 1647 jufqu'en 1656, et fur-tout trois millions de tailles (17). On abolit pour cinq cents mille écus par an de droits onéreux. Ainfi l'abbé de Choifi paraît, ou bien mal inftruit, ou bien injufte, quand il dit qu'on ne diminua

(17) Ces arrérages des tailles n'étaient dûs que par des gens qu'il était impoffible de faire payer. Si le retranche. ment de soccoo écus de droits ne fut pas remplacé fur le champ par un autre impôt, ce qui eft très douteux, il ne tarda point à l'être.

point la recette. Il eft certain qu'elle fut diminuée par ces remifes et augmentée par le bon ordre.

Les foins du premier président de Bellièvre, aidés des libéralités de la ducheffe d'Aiguillon, et de plufieurs citoyens, avaient établi l'hôpitalgénéral. Le roi l'augmenta, et en fit élever dans toutes les villes principales du royaume.

Les grands chemins, jufqu'alors impraticables, ne furent plus négligés, et peu à peu devinrent ce qu'ils font aujourd'hui fous Louis XV, ladmiration des étrangers. De quelque côté qu'on forte de Paris, on voyage à préfent environ cinquante à foixante lieues, à quelques endroits près, dans des allées fermes, bordées d'arbres. Les chemins conftruits par les anciens Romains étaient plus durables, mais non pas fi fpacieux et fi beaux (18).

Le génie de Colbert fe tourna principalement vers le commerce, qui était faiblement cultivé, et dont les grands principes n'étaient pas connus. Les Anglais, et encore plus les Hollandais, fefaient par leurs vaiffeaux prefque tout le com. merce de la France. Les Hollandais fur-tout chargaient dans nos ports nos denrées, et les diftribuaient dans l'Europe. Le roi commença, dès 1662, à exempter fes fujets d'une impofition nommée le droit de fret, que payaient tous

(18) La véritable beauté des grands chemins confifte, non dans leur largeur, qui nuit à l'agriculture, mais dans leur folidité, et fur-tout dans l'art de les diriger à travers les montagnes, en conciliant la commodité avec l'économie. Cet art s'eft perfectionné de nos jours, fur-tout dans les pays où la corvée a été abolie.

« PreviousContinue »