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Il eut voulu rendre la terre esclave.

Lorsque affaissé sous le poids d'un grand nom,
Entre un jésuite et sa vieille maîtresse,
Amant blasé de la veuve Scarron,

Il se traînait du boudoir à confesse,
Feux, allumés par son ordre inhumain,
Étincelaient dans les cités germaines;
Dragons dévots prêchaient dans les Cévennes
De par le roi, le cimeterre en main;
Les carrousels, les monuments, les fêtes,
Et les revers, et même les conquêtes,
Appauvrissaient un peuple désolé,
D'enfants de France et d'impôts accablé !
En gémissant ce peuple était docile;
Mais, quand il vit son monarque enterré,
Pourquoi rit-il? La réponse est facile :
Sous le grand homme il avait trop pleuré.

L'Anglais Cromwel, tartufe heureux et brave,
Et l'Anglais Monk, ambitieux esclave,
Fous déguisés sous des masques divers,
A d'autres fous ont su donner des fers.
Bref, usurper ou vendre la puissance,
Courber le front sous d'insolentes lois,
C'est, n'en déplaise aux Anglais d'autrefois,
Ou despotique ou servile démence.
Qui que tu sois, ami de la raison,
Aperçois-tu sottise qui s'élève,

Marchands d'erreurs débitant leur poison,
Lois sans égide, or allié du glaive,
Noirs espions de richesses gorgés,
Chargés d'honneurs, de honte surchargés;
Art de ramper, devenant habitude;
Gens à placet, briguant la servitude;
Gens à pouvoir, commandant à genoux;
Tyrans valets sous le tyran suprême;
Dis hardiment: Tous ces gens-là sont fous;
Et le plus fou, c'est le tyran lui-même.

Tartufe arrive, et, d'un ton nasillard,

Me dit : « Mon fils, craignez les anathèmes : « Concile aucun n'approuva ces systèmes;

« Chiens de saint Roch et chiens de saint Médard

« Vont aboyer: c'est peut-être un peu tard; << Mais du vieux temps nous aimons les usages; « Et notre siècle est dégoûté des sages. « Gille-Esménard fait contre ces pervers « Un long poëme, et dit qu'il est en vers; D'esprits divins une épaisse couvée : Geoffroy, Nisas, et le docte Fiévée,

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"

« Châteaubriand, sauvage par accès,

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Toujours chrétien, mais pas toujours Français, « Dans les élans de leur pieux délire,

« Fouettent Rousseau, Voltaire, Montesquieu : « Méchants auteurs que l'on s'obstine à lire, « Que Dieu punit d'avoir adoré Dieu. »

Et, selon vous, notre cause est perdue!
Des vils Geoffroy qu'importe la cohue?
Que parlez-vous de cinq ou si grimauds,
Plats barbouilleurs de cinq ou six journaux?
Dans le néant, où leurs feuilles descendent,
Fréron, Zoïle et Cotin les attendent;
Châteaubriand, pour avoir un peu nui,
S'est trop souvent réfuté par l'ennui;
Gille-Esménard, corsaire du Parnasse,
A disparu, submergé dans la glace;
Et le sifflet, courant après Nisas,
Trouve un écho jusque dans Pézenas.
Ils ont vieilli les contes de grand'mères !
Si le présent paraît les rajeunir,
Faibles succès! triomphes éphémères !
Loin du présent, savourons l'avenir,
Car c'est demain que l'avenir commence ;
Et le présent n'est jamais qu'aujourd'hui.
Sur le présent ne fondez point d'appui :
Il est étroit; l'avenir est immense.

Homère a peint les coursiers d'Apollon:
En quatre pas ils traversaient la terre;
Dans le grand siècle, élève de Voltaire,
Ainsi marcha la publique raison.

Les esprits lourds sont restés sur la route;
Des vrais talents elle a guidé les pas;
Par son courage, après de longs combats,
Les préjugés furent mis en déroute.
Ils ont péri; mais elle a survécu.
Elle est aux bords où serpente la Seine,
Où la Newa roule sous des glaçons,
Où dans l'Euxin mugit le Borysthène,
Où le Tésin rit dans l'or des moissons.
Elle est aux bords où l'altière Tamise
S'enorgueillit de Locke et de Newton;
A ses décrets l'Amérique soumise
A vu les lois régner sur Washington.
C'est son regard qui fait rougir l'esclave;
C'est à sa voix que le tyran pâlit;

Elle est partout où l'homme pense et lit.
Pour l'Esprit-Saint prise un jour au conclave,
Elle y créa certaine sainteté :

Lambertini lui dut la papauté.

Taisez-vous donc, friponneaux moralistes,
Petits valets forgeant petits écrits,
Calomniant, prêchant à juste prix ;
Petits rimeurs et petits journalistes,
Fermant les yeux, et criant: Il fait nuit.
Vous vous trompez : le jour encor nous luit;
Oui, la lumière est au centre du monde.
Ce pur soleil, des Guèbres adoré,
Tournant sur lui, de globes entouré,
Les remplit tous de sa chaleur féconde.
Quelque planète, en parcourant les cieux,
Peut un moment l'obscurcir à nos yeux;
Mais, à des lois constamment asservie,

D'un pas égal elle poursuit son cours;
Et, plus serein, l'astre qui fait les jours
Répand à flots la lumière et la vie.

DISCOURS SUR L'INTÉRÊT PERSONNEL.

L'homme sent, l'homme agit, et sa raison le guide,
Mais de cette raison, chancelante et timide,
Nous voulons découvrir le mobile éternel.
Quel est-il? c'est, dit-on, l'intérêt personnel.
Nous agissons par lui: son empire est suprême.
Des vices, des vertus, l'origine est la même :
Le sage ou l'insensé, le juste ou le pervers,
Soit qu'il traîne ses jours sous le poids des revers,
Soit qu'en ses moindres vœux le destin le seconde,
De lui seul occupé, se fait centre du monde.
Tout cherche son bien-être, et chacun vit pour soi :
Des êtres animés c'est l'immuable loi.

Dans les airs, sous les eaux, ainsi que sur la terre,
L'intérêt fait l'amour, l'intérêt fait la guerre.
Quand, pour huit sous par jour, deux cent mille héros
Vont sur les bords du Rhin ferrailler en champ clos,
Les vautours du pays, les loups du voisinage,
Certains de leur pâture, attendent le carnage;
Un vieux soldat manchot, devenu caporal,
Rend grâce à sa blessure, et court à l'hôpital;
Aux dépens du vaincu, qu'il assomme et qu'il vole,
Le vainqueur croit fixer la gloire qui s'envole;
Et du prochain hameau le curé, bon chrétien,
Gémit sur tant de morts qui ne rapportent rien.

-Soit, mais votre système admet quelque réserve. Régnier a-t-il raison quand il dit avec verve : « L'honneur est un vieux saint que l'on ne chôme plus? » Il a tort: c'est juger d'après les seuls abus.

On chôme l'intérêt; tous les jours c'est sa fête ;
De son autel chéri la pompe est toujours prête;
Chaque heure y voit sans cesse accourir à grands flots
Et des prêtres fervents, et de zélés dévots;
Sous le saint aux pieds d'or l'espèce humaine entière
Ne courbe pourtant pas son front dans la poussière.
Si la foule est pour lui; s'il est fêté, chanté;
Si l'autel du vieux saint n'est pas si fréquenté,
Le vieux saint, toutefois, a plus d'un prosélyte :
Sans chanter l'intérêt, quelques mortels d'élite
Vont offrir à l'honneur de pudiques accents,
Et brûler devant lui leur solitaire encens.

Cet honneur, direz-vous, c'est pour soi qu'on l'implore,
Et, sous un plus beau nom, c'est l'intérêt encore.
J'en doute expliquons-nous. Que d'ordres chamarré,
Par les honneurs du temps Giton déshonoré,

:

Pour prix des lâchetés qu'il nomme ses services,
Montre autant de cordons qu'il veut cacher de vices,
On lui rend à son gré l'hommage qu'on lui doit :
On a les yeux sur lui, car on le montre au doigt.
Il jouit; c'est un sot que l'intérêt inspire.
Mais parmi les mortels soumis au même empire
Comptez-vous Callisthène, entouré d'imposteurs,
Du conquérant de l'Inde ardents adulateurs?
Comme eux à des bienfaits il aurait pu prétendre,
S'il eût voulu comme eux faire un dieu d'Alexandre.
Est-ce par intérêt qu'on lui voit à leur sort
Préférer la disgrâce, et les fers et la mort?

— « Oui, car il les choisit, » me répond un sophiste ;

Et de vingt choix pareils que prouverait la liste?

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Qu'il est des glorieux comme des courtisans.

« On chérit les malheurs quand ils sont éclatants;

« On se dit : nous souffrons, mais le peuple nous loue. << Pour sauver les Romains Décius se dévoue;

Régulus, en quittant leur sénat éploré,

«Va chercher à Carthage un supplice assuré;

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