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Pluquet en compila deux volumes entiers;

Les noms de leurs martyrs en tiendraient des milliers.

Sans tracer le tableau de ces terribles crises,
Où, le glaive à la main, les erreurs sont aux prises,
Observons que pour soi chacune a radoté,
Mais contre sa rivale a bien argumenté.
S'agit-il de blâmer un pouvoir sans limites,
Guerre, impôts, brigandage, oubli des lois écrites,
Certains pairs du royaume, et même des prélats,
Ont, par de bons discours, signalé nos États.
Les rois, de leur côté, contre leurs adversaires
Faisaient de beaux écrits, du moins par secrétaires;
Et savaient quelquefois, finement ingénus,

Au nom du pauvre peuple enfler leurs revenus;
Des tyrans féodaux rogner les priviléges,
Ou d'un pape insolent les profits sacriléges.
Dans l'Église surtout les différents partis
De leurs torts mutuels nous ont trop avertis :
Si Bossuet prouva que les sectes nouvelles,
A Luther, à Calvin, comme à Rome infidèles,
Vingt fois se réformant variaient chaque jour;
Basnage à Bossuet sut prouver à son tour
Que, sans se réformer, dans l'Église latine,
De concile en concile on changeait de doctrine.
Bien plus, lorsque Viret, Estienne et Dumoulin,
Tiraient contre le pape en faveur de Calvin,

On eut souvent le droit d'accuser leur visière;
Et Jean reçut des coups qu'ils adressaient à Pierre.
Le haineux janséniste, en dirigeant Pascal,

S'il nuisit au jésuite, eut bien sa part du mal :

Il se blessa lui-même avec le ridicule,

Et laissa sur son pied tomber les traits d'Hercule.

Ainsi le genre humain, lentement éclairé,
Reconnut par quel art on l'avait égaré.
Il s'écria: « Silence, ambitieux sectaires!
« Cessez vos arguments, laissez là vos mystères;

« Dieu ne révéla rien; vous mentez en son nom;

« Mais Dieu me fait penser. Abjurer la raison

« Est d'un sot, n'en déplaise aux tyrans qu'elle irrite;

« Feindre de l'abjurer est d'un lâche hypocrite.

« Prêtres, de qui l'empire est au pied des autels; « Grands, qui vous séparez du reste des mortels;

« Rois, qui voulez des grands dont vous soyez les maîtres, « Et des peuples dévots quand vous payez les prêtres, « Impudents, c'est par vous, par vos débats honteux,

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Que ce qui semblait sûr est devenu douteux.
Émules de mensonge et rivaux de puissance,

« Si vous avez trompé ma longue adolescence,

« Si d'un triple bandeau mes yeux furent couverts, « Vos mains l'ont déchiré; mes yeux se sont ouverts; « J'ai vu s'évanouir une splendeur factice.

« En vous accusant tous, vous vous rendez justice; « Tous, vous avez les torts que vous vous imputez; « Nul de vous n'a les droits que vous vous disputez.

Alors on distingua les voix de quelques sages,
Dont la persévérance, au sein des derniers âges,
Accusa, poursuivit, détrôna par degrés
Des abus que le temps avait rendus sacrés.
D'autres sages viendront; et la même constance
Des abus survivants vaincra la résistance.
Si le mal du trompé fait le bien du trompeur,
Si l'erreur est utile à qui vit de l'erreur,
Hélas! en traits de sang l'histoire nous l'atteste :
Du genre humain séduit toute erreur est funeste.

Malheur donc au héros qui sert les imposteurs,
Et des vieux préjugés se fait des protecteurs!
Il soumet tout par eux; mais avec eux il tombe;
Il fit couler des pleurs, et l'on rit sur sa tombe.
Heureux qui, remplissant un austère devoir,
Combat les préjugés, favoris du pouvoir,
Et sur les vieux débris d'une erreur étouffée
S'élève de ses mains un paisible trophée!

Modeste, il ne voit point des peuples gémissants
A ses pieds, dans ses fers, lui prodiguer l'encens;
Héros de la raison, victorieux sans armes,
Avec elle il triomphe en tarissant des larmes;
Et, chez les Portalis dût-on me censurer:
C'est le seul conquérant que je veuille honorer.

DISCOURS SUR LA RAISON.

Amis du vrai, faisons notre devoir;
De la raison briguons les purs suffrages;
Ni les journaux, ni les gens à pouvoir
Ne classeront les faits et les ouvrages:
Journaux d'hier aujourd'hui sont passés;
Arrêts du jour demain seront cassés.
Le juge intègre est la raison publique;
C'est le bon sens, la raison qui fait tout:
Vertu, génie, esprit, talent et goût.
Qu'est-ce vertu? raison mise en pratique;
Talent? raison produite avec éclat;
Esprit ? raison qui finement s'exprime;
Le goût n'est rien qu'un bon sens délicat;
Et le génie est la raison sublime.

Aux murs d'Athène, à Rome, et parmi nous,
Qui fut l'appui de ces grands personnages,
Justes héros, et véritables sages,
Persécutés par un destin jaloux?
Contre l'exil, qui soutint Aristide?
Contre la mort, Socrate et Phocion?
Qui pénétra d'une ardeur intrépide
Et Régulus et le divin Caton?

Aux chants d'Homère, aux écrits de Platon,
Qui prodigua la grâce et la lumière;
Rendit parfaits Virgile et Cicéron;
Ouvrit le ciel aux regards de Newton;

Le cœur humain à Racine, à Molière?
Je le répète : une exquise raison.

Aussi je crois au paradoxe antique
Qu'ont enseigné les sages du Portique :
Fous et pervers sont nés proches parents.
Ils sont nombreux : partout le mauvais sens
Guide à la fois et le folliculaire,
Du vrai talent censeur atrabilaire;
Et le tartufe, et l'indigent fripon
Qui va ramer sur les mers de Toulon;
Et le traitant qui, sous le nom de prince,
En un repas affame une province;
Et le soldat qui trahit son devoir,
Ose insulter à la loi souveraine,

Et, s'emparant d'un injuste pouvoir,
N'obtient des droits qu'à la publique haine.

Boileau dit vrai : ce fameux conquérant
Qui de la Grèce et des forêts d'Épire
Aux bords du Gange étendit son empire,
C'est comme fou qu'on peut l'appeler grand.
Eh quoi! du lit d'Olympia sa mère,

Le roi des dieux avait eu la moitié!

Il était né d'un céleste adultère !

Crime divin l'avait déifié !

On l'imita chaque empereur de Rome Devint un dieu, ne pouvant être un homme.

A ces voleurs de la terre et du ciel

La servitude érigea maint autel;

On les chôma, car ils étaient les maîtres :
Un dieu payant peut compter sur des prêtres;
Et les fléaux du pâle genre humain
Furent maudits, l'encensoir à la main.
Pesez les faits, lecteur qui savez lire,
Et vous direz: Voilà du vrai délire.
Tous étaient fous; même ce grand César
Qui réunit l'encensoir et l'épée,

Du nom d'heureux déposséda Pompée,
Et le premier traîna Rome à son char.
Je vois sa gloire en désastres féconde;
Indiquez-moi le bien qu'il fit au monde !
Caton mourant lui légua des vertus;
Brutus un fer, Cicéron du génie;
Mais le tyran qui tomba sous Brutus,
Qu'a-t-il laissé? rien que la tyrannie.
Craint de l'Europe, et par elle encensé,
Ce Dieu-donné qui régna quinze lustres,
Ce grand Louis, doyen des rois illustres,
En fut-il moins un illustre insensé ?
Sans vouloir même interroger l'histoire
Sur un bonheur paré du nom de gloire;
Sans demander s'il fut vraiment l'appui
De vingt talents, délices de la France,
Nés avant lui, grands en dépit de lui;
Si Bossuet lui dut son éloquence;
De Fénelon s'il polit l'élégance,
Sans rappeler La Fontaine en oubli,
Arnauld fuyant, et Corneille vieilli,
Sur des lauriers mourant dans l'indigence;
Il mit les arts au rang de ses flatteurs,
Il fit des arts de brillants serviteurs,
Il fut chanté; mais le nouvel Auguste
Fut-il humain, fut-il bon? fut-il juste?

Autour de lui la lyre, les pinceaux,
Rendaient hommage à ce roi de théâtre,
Idolâtré, de lui-même idolâtre;
Il a dansé, sous de riants berceaux,
Pour Montespan, La Vallière, Fontange;
Tout était bien, si le sultan français
N'eût aspiré qu'à de galants succès;
Mais au Texel, mais au château Saint-Ange,
De son sérail il imposait des lois;

Il attaquait la liberté batave;

Du peuple anglais il menaçait les droits;

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