AGRIPPINE. J'avais rempli mon devoir rigoureux; Et, bientôt l'abjurant pour un droit généreux, Mon cœur s'applaudissait : j'apprends en mon asile Il lui suffit des pleurs qu'il vous a fait répandre; Qu'entends-je! le sénat peut souffrir ce langage! SCÈNE V. TIBÈRE, AGRIPPINE, CNÉIUS, SÉNATEURS, LIGTEURS, GUERRIERS. GNEIUS. Sénat! TIBÈRE. Venez, Cnéius; joignez-vous à Tibère : Défendez avec moi l'honneur de votre père · Celle qui l'accusait ose lui pardonner, Tandis qu'ailleurs peut-être on veut l'assassiner. AGRIPPINE. Moi! grands dieux ! moi, Tibère ! Ah! faut-il me défendre ? CNÉIUS. A vous justifier pourquoi daigner descendre? Le nom seul d'Agrippine interdit le soupçon, Et vous ne craignez pas les secrets de Pison. Mais vous, pères conscrits, vous devez tout connaître : Sans délai devant vous ordonnez qu'il se rende : AGRIPPINE. Qui; vous reconnaîtrez, j'en atteste les dieux, Contre Germanicus un complot odieux. C'est son ombre, c'est lui, c'est moi que l'on outrage. TIBÈRE. El César encor plus; mais il brave l'orage. Rassurez vos esprits justement effrayés; Par moi-même à l'instant des secours envoyés.... CNEIUS. Des secours! AGRIPPINE. Qui? Guerriers, c'est un jour de victoire. Vous n'étiez point venus demander au sénat Eh! qui peut le venger, quand sa veuve pardonne? Aux lois, à la clémence on voudrait l'enlever; Agrippine, à ces traits on doit vous reconnaître. AGRIPPINE. Quel est ce fer sanglant qu'ose agiter sa main? SCÈNE VI. LES MÊMES, SÉJAN. SÉJAN. Le poignard que Pison s'est plongé dans le sein. Pison! par quel motif? AGRIPPINE. SÉJAN. Vous le savez sans doute. Parle au sénat qui juge, à César qui t'écoute. SÉJAN. Je vois ici Cnéius; et vous aurez appris Qu'une foule homicide exaltait dans ses cris Le vainqueur des Germains, sa veuve magnanime; OEUVRES POSTHUMES, Qu'au nom de leurs vertus on réclamait un crime. Mais les prétoriens me prêtaient leur appui, Ils appelaient Pison; j'arrivais jusqu'à lui, Quand déjà, croyant voir la troupe forcenée, Pison, d'un coup trop sûr, tranchait sa destinée. Dès qu'il entend parler de César et des lois, D'une âme ferme encor, mais d'une faible voix : « C'en est fait, me dit-il; la trahison m'assiége; << Tu sais quels ennemis m'ont préparé le piége : « On les nomme, on les vante; et, certain de périr, « Je leur prouve du moins qu'un Romain sait mourir. << Il faut, sans leur parler de crime ou d'innocence, « Annoncer que Pison succombe à leur puissance, << Leur présenter ce fer, ainsi qu'à mes amis, « Le porter au sénat, le donner à mon fils. » Donne. CNÉIUS. SÉJAN. « Et si l'on croyait mon trépas légitime; «Que Pison condamné soit la seule victime. Fier, orgueilleux peut-être en ma calamité, « Je n'ai point de Tibère imploré la bonté; << Mais qu'à mon dernier vœu Tibère soit propice : « Pour un fils innocent j'implore sa justice. »> Il expire à ces mots. Soit pitié, soit remord, Tout frémit dans la place en apprenant sa mort; Des plus séditieux j'ai vu tomber la rage, Pareille aux flots mourants à la fin d'un orage. Tout ce bruyant amas, par la haine assemblé, Morne et silencieux s'est en foule écoulé ; Et les mêmes Romains qui demandaient vengeance, AGRIPPINE. César, et vous, sénat, vous venez de l'entendre : Séjan seul est témoin de cette mort si prompte; Et Séjan tient le fer qui poignarda Pison! TIBÈRE. Aux leçons du malheur Agrippine indocile CNÉIUS, Vous vous trompez, César; mon père était coupable. AGRIPPINE. Cnéius, après sa mort osez-vous l'outrager? CNÉIUS.. Écoutez, Agrippine, avant de me juger. SEJAN. Ah! s'il eut des secrets, pouviez-vous les connaître ? CNÉIUS. Aussi bien que Séjan connaît ceux de son maître. TIBÈRE. Seriez-vous un ingrat? M'insultez-vous, Cnéius? CNEIUS. Mon père était coupable, et Tibère encor plus. |