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PISON.

Oui, digne ainsi que toi de l'antique patrie,

Et que si jeune encor vit tomber la Syrie,

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C'est un crime de plus, c'est un jour de Tibère :

Qui peut s'en étonner? mais vous! mais vous, mon père!

PISON.

Oui, j'ai su qu'un esclave à Tibère vendu,

Et du jeune héros surveillant assidu....

Un esclave !

CNÉIUS.

PISON.

C'est lui de qui la main perfide

Prépara, présenta le breuvage homicide.

CNÉIUS.

Mon père, eh! c'est alors que vous deviez parler;
C'est lui qu'avant son crime il fallait immoler.

PISON.

Il fallait conserver l'espérance de Rome,

Lutter contre Tibère en faveur d'un grand homme,
A l'appui des soldats hautement recourir,

Avertir le héros, le sauver et mourir.

Et je pourrais, chargé d'une honte éternelle,
Rendre de mon forfait sa veuve criminelle!
D'Agrippine abusée évitant le courroux,
Je pourrais la couvrir du sang de son époux!
Ah! je dois bien plutôt provoquer ma sentence,
Maudissant l'empereur, abhorrant l'existence,

Abandonné de Rome et des dieux ennemis,
De la nature entière, et même de mon fils.

CNÉIUS.

Non; le crime entre nous n'a point mis de barrière;
Non; je vous tiendrai lieu de la nature entière.
Hélas! plus de pardon, plus d'avenir pour nous;
Mais vous aviez un fils; il est toujours à vous.
J'ai juré de vous suivre, et je le jure encore
Par ces dieux outragés que ma douleur implore.
Ah! si de la vertu, premier de leurs bienfaits,
Un précipice affreux sépare les forfaits,
Le remords, franchissant cet intervalle immense,
Devant ces dieux peut-être est encor l'innocence.

PISON.

Laisse là mes remords; parle de mes complots:
Trop souvent un coupable est le fils d'un héros :
Mais un espoir me luit dans l'horreur qui m'accable;
Un héros quelquefois est le fils d'un coupable.
Si ton père est flétri, rappelle tes aïeux.
Moi, faisant éclater ma honte à tous les yeux,
Rejetant le pardon, n'aspirant qu'au supplice,
Demain, je veux dans Rome accuser mon complice,
Déclarer en public et son crime et le mien,
Entendre mon arrêt et prononcer le sien.

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Je lirai les ordres de Tibère.

Il connaît mon dessein. Va, ton malheureux père,
Ayant perdu sa gloire, ose encor la chérir,
Et du moins en mourant veut la reconquérir.
CNÉIUS.

Ah! c'est elle qui parle, elle qui vous anime,
Qui peut seule inspirer cet abandon sublime.
Du crime tout-puissant quittant l'affreux séjour,
Demain, quand le sommeil ramènera le jour,
Dévoilez tout, mon père; et que Rome s'explique.
Et vous, dieux, citoyens, qui, sous la république,

Des Catons, des Brutus entendiez les serments;
Puisque les lois, les mœurs, les nobles sentiments
Ne peuvent respirer l'air souillé par un maître,
Puisse, puisse à jamais la liberté renaître
Sur les sanglants débris des tyrans abattus,
Pour que le genre humain conserve des vertus!

ACTE V.

SCÈNE I.

TIBÈRE, SÈJAN.

SÉJAN.

Les ordres sont donnés; tout marche, tout s'agite;

Mes soins ont eu recours à des amis d'élite :

Bientôt les sénateurs vont se rendre en ces lieux;
Et, docile au ressort qui se cache à ses yeux,
Déjà, dans la nuit sombre, une foule amassée
Est par un art tranquille au tumulte poussée.
Mais il faut tout prévoir : forcé dans son palais,
Pison peut à Cnéius dévoiler ses secrets;
Quelques gens éprouvés, dont le zèle est habile,
Du moment que l'émeute aura troublé la ville,
Loin du toit paternel entraîneront Cnéius.
C'est au nom d'Agrippine et de Germanicus
Qu'aux publiques fureurs la victime est livrée.
La perte d'Agrippine est de loin préparée.
Par les mêmes moyens nous pourrons voir un jour
Les amis de Pison la frapper à son tour.
TIBÈRE.

Séjan, ne donnons point d'exemple redoutable :
Que le peuple en fureur intimide un coupable;
Qu'il n'exerce jamais le droit de l'immoler.

SÉJAN.

Vous avez le sénat; mais Pison veut parler.

Ordonnez.

TIBÈRE.

Que Pison près de l'heure suprême,

Sans même se défendre ou s'accuser lui-même,
Pour un fils innocent implore mes faveurs,
Et.de Germanicus désigne les vengeurs.
Qu'attend-il? son arrêt? Oh ! quelle nuit propice,
Si Pison de sa main prévenait son supplice !
Si je ne craignais plus ses insolents discours!

Je vous entends, César.

SÉJAN.

TIBÈRE.

Porte-lui des secours ;

Que tes prétoriens s'enflamment de ton zèle;
Prodigue mes trésors: va, ministre fidèle,
Rends la paix à César, à Rome, à tout l'État,
Et reviens sans délai rassurer le sénat.

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Je renonce au pouvoir si je renonce au crime :

A la haine, au remords je dois me résigner,

Tout oser, mais tout craindre. Et c'est donc là régner!
Quel prestige maintient cet empire suprême,
Pesant pour les sujets, pour le tyran lui-même ?
Un seul, maître de tous, ordonnant de leur sort,
Et promettant la vie, ou prescrivant la mort !

Un seul! et les Romains tremblent devant un homme!
Les Romains! Où sont-ils? Dans les tombeaux de Rome.
Les Romains! deux encor sont dignes de ce nom :

Cette fière Agrippine et le fils de Pison.
Cnéius est vertueux; c'est un héros peut-être :
Au temps de ses pareils Cnéius aurait dú naître.
Mais que sont désormais les pères de l'État?

Un fantôme avili qu'on appelle sénat.

O lâches descendants de Dèce et de Camille !
Enfants de Quintius! postérité d'Émile!

Esclaves accablés du nom de leurs aïeux,

Ils cherchent tous les jours leurs avis dans mes yeux;
Réservent aux proscrits leur vénale insolence,
Flattent par leurs discours, flattent par leur silence,
Et, craignant de penser, de parler et d'agir,
Me font rougir pour eux, sans même oser rougir.

SCÈNE III.

TIBÈRE, SÉNATEURS, LICTEURS.

TIBÈRE.

Veillons, pères conscrits, Rome n'est pas tranquille;
Un illustre accusé tremble dans son asile;
Et de Germanicus les imprudents amis
Pourraient, en le vengeant, déshonorer mon fils.
Sa veuve a de Pison résolu la ruine.

Oserait-elle?... On vient. Qui s'avance?

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Ma démarche a lieu de vous surprendre :

César, écoutez-moi; sénat, veuillez m'entendre.

Parlez.

TIBÈRE.

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