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Aucuns pourtant, gens d'une humeur caustique,
Osent se plaindre : ils disent qu'un critique
De ce qu'il sait doit parler seulement.
Concevez-vous leur maligne insolence,
Ami Sautreau? de ce qu'il sait! vraiment,
Ils voudraient donc vous réduire au silence.

SUR LA RÉSURRECTION DE L'ANNÉE LITTÉRAIRE '.

Las! il revient mon âne littéraire !

Mon gentil âne, ami de Jean Fréron!
L'avez-vous vu l'aimable Aliboron?

- Non; mais je crois l'avoir entendu braire.

SUR L'HOMME DES CHAMPS DE DELILLE.

Ce n'est donc plus l'abbé Virgile :
C'est un abbé sec, compassé,
Pincé, passé, cassé, glacé,
Brillant, mais d'un éclat fragile.
Sous son maigre et joli pinceau
La nature est naine et coquette;
L'habile arrangeur de palette
N'a vu, pour son petit tableau,
Les champs qu'à travers sa lorgnette,
Et par les vitres du château.

SUR JACQUES LE POÊTE ET JEAN LE LIBRAIRE.

Jacques le grand, l'aigle de nos poëtes,
Six francs par vers vend son poëme entier :
Jean l'acheteur, nigaud de son métier,

Lui dit trop tard : « Jacques, vous me surfaites.
<< En vous lisant on m'appelle un vrai fou,
« Lorsqu'on veut même user de politesse :
« Dans ces vers-là le tiers vaut six francs pièce;
«Mais les deux tiers ne valent pas un sou. »

1 Geoffroy, au commencement de ce siècle, essaya avec quelques-uns de ses amis du Journal des Débats, de reprendre l'Année littéraire. Cette tentative eut peu de succès.

LA CONFESSION DE LA HARPE.

Rassurez-vous, mon Armide est de glace,
Disait La Harpe à son cher directeur,
Clorinde est plate, Herminie est sans grâce;
Mes vers dévots ont quelque pesanteur.
Un saint ennui du plaisir prend la place :
Car ce n'est point par un orgueil d'auteur,
C'est en chrétien que je traduis le Tasse,
Pour mes péchés et pour ceux du lecteur.

SUR Melle DUCHESNOIS DANS LE RÔLE DE PHÈDRE.

Lorsque Racine, à la cour d'Apollon,

Fit admirer une Phèdre divine,

Du nom de Phèdre, au bas du saint vallon,
Pradon marquait une ignoble héroïne.
Ami public, ne vous trompez au nom :
Beauté, Laideur, marquent leur origine.
Guérin peignit la Phèdre de Racine ';
Et Duchesnois est l'œuvre de Pradon 2.
(1802.)

SUR MORELLET.

Quand l'abbé Morellet écrit,
Ne lui demandez pas d'esprit :
C'est un impôt dont il s'exempte;
Et ce doyen des vieux enfants
Ne tient pas à quatre-vingts ans
Ce qu'il promettait à soixante.

ÉPITAPHE DE CARION DE NISAS.

Ci-gît Carion de Nisas,
Le Sophocle de Pézénas.

1 Dans son tableau exposé au Musée, en Pan XI. 2 Mademoiselle Duchesnois, qui a joué Phèdre, est élève de M. Legouvé, auteur tragique aussi médiocre que Pradon. (Note de Chénier.)

Comme au jeu de la comédie
Le rire semble défendu,

Afin que rien ne fût perdu,
Il fit rire à la tragédie.

SUR TALLEYRAND.

Roquette dans son temps, Périgord dans le nôtre, Furent tous deux prélats d'Autun.

Tartufe est le portrait de l'un;

Ah! si Molière eût connu l'autre !
(1800.)

SUR LE MÊME.

L'adroit Maurice, en boitant avec grâce,
Aux plus dispos pouvant donner leçons,
A front d'airain unissant cœur de glace,
Fait, comme on dit, son thème en deux façons.
Dans le parti du pouvoir arbitraire,
Furtivement il glisse un pied honteux ;
L'autre est toujours dans le parti contraire,
Mais c'est le pied dont Maurice est boiteux.
(1804.)

ÉPITAPHE DE L'AUTEUR.

Je vécus un moment, triste et gai, sage et fou; Je ne sais d'où je viens, et vais je ne sais où.

FIN DES OEUVRES POSTHUMES.

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