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Du ton de Bossuet Descartes célébré,
L'Éloge d'Antonin par lui-même inspiré,
Du chantre des Saisons l'élégante harmonie,
Et les pleurs éloquents que verse Mélanie :
Rien n'a pu de Gilbert désarmer les dégoûts.
De Voltaire lui-même osant être jaloux,
Jeune homme, il attaqua sa gloire octogénaire :
Qui vanta Baculard dut décrier Voltaire.
Il prétendit flétrir d'un souffle criminel

Les palmes qui couvraient le vieillard solennel;
Mais OEdipe et Brutus, mais Tancrède et Zaïre,
Mérope, Mahomet, Sémiramis, Alzire,
Accablèrent bientôt de leur poids glorieux
Le Titan révolté luttant contre les dieux.

Le Parnasse français voyait ternir son lustre;
Mais, dans nos derniers temps, déclin d'un âge illustre,
La satire eut encor quelques adorateurs,

Des demi-dieux du Pinde heureux imitateurs.
Aux ris immodérés des doctes immortelles
Elle exposa Fréron rampant avec des ailes',

Et sur le sombre bord, peu fertile en bons mots,
On la vit applaudir à l'Ombre de Duclos 2.
Elle n'inspira point un maladroit faussaire,
De tous les vrais talents imbécile adversaire,
Clément, qui redoutait l'opprobre de son nom,
Et signait Despréaux en imitant Gacon;
Ni Robé l'impudique 3, effroi de la décence;
Ni l'aîné Rivarol, jaloux par impuissance,
Qui, faute de penser, parodiste bouffon,
En quolibets de Gille insultait à Buffon.
Vains efforts d'une muse inepte et léthargique!
Les talents sont armés d'un bouclier magique;
Et par son triple airain tous les traits repoussés
Vont blesser l'imprudent qui les avait lancés.

Voyez le chant ix de la Dunciade de Palissot. 2 Satire de La Harpe 3 Robé faisait un poëme sur le même sujet que Fracastor.

Mais d'antiques travers quel immense héritage!
Quel siècle au ridicule a prêté davantage?
Pope va-t-il encore, échappé du tombeau,
Aux sots mal déguisés présenter le flambeau?
Restaurateur du goût, qui peut rendre au Parnasse
L'enjoûment de Boileau, l'urbanité d'Horace?
Ou, de Perse imitant l'utile obscurité,

Faire au milieu du Louvre entrer la vérité?
Les temps sont différents; les sottises pareilles.
Midas, bon roi Midas, qui n'a pas tes oreilles?
Voyez dans ce lycée un bataillon d'auteurs,
L'un de l'autre envieux, l'un de l'autre flatteurs :
Devant Léontium Sapho lit ses ouvrages;
Là, de vieux écoliers se vendent leurs suffrages.
Ces nains, rétrécissant la scène des Français,
Ont un grand amour-propre et de petits succès;
Ils chantent le triomphe, et manquent la victoire ;
Recherchent la louange, et négligent la gloire;
Molières d'un boudoir, Sophocles d'un salon,
Parlent à cinquante ans de leur jeune Apollon;
Et, lassant le public d'une longue espérance,
Dans les journaux qu'ils font sont l'honneur de la France.
Laissons-leur ces plaisirs. De plus sombres tableaux
Pourraient de Juvénal exercer les pinceaux :

Il n'est plus de patrie, et la France fut libre;
Des droits et du pouvoir l'imposant équilibre

Par le poids d'un seul homme est désormais rompu.
Le fer a tout conquis; l'or a tout corrompu;
Aux esclaves de cour la tribune est livrée;
La flatterie impure, arborant la livrée,
Siége dans le conseil, élit les sénateurs,
Fait les tribuns du peuple et les législateurs;
Et, quand des citoyens l'élite gémissante
Célèbre dans le deuil la république absente,
De scandaleuses voix, que hait la liberté,
Aux jeux républicains chantent la royauté.
Voltaire est au cercueil, et les Welches renaissent,
Du fanatisme ardent les cent têtes se dressent ;

A régner par le glaive il n'a pas renoncé;
Et le nom d'hérétique est déjà prononcé.
On nous promet bientôt d'aimables dragonnades,
Un bel auto-da-fé, de charmantes croisades.
Dans le fond d'un boudoir, en chapelle érigé,
C'est en enfant Jésus que l'Amour est changé.
Cidalise, infidèle à la philosophie,

Dévote pour deux jours, coquette pour la vie,
Convertit les amants qu'elle eût damnés jadis ;
Satan s'est fait ermite, et rentre au paradis ;
Les nouveaux partisans des gothiques usages,
Pour le dieu des cagots quittant le dieu des sages,
Sur des tréteaux sacrés prêchent le genre humain;
Et je vois l'athéisme un rosaire à la main.

Malheur au bon esprit dont la pensée altière
D'un cœur indépendant s'élance tout entière;
Qui respire un air libre, et jamais n'applaudit
Au despotisme en vogue, à l'erreur en crédit!
Mais heureux le grimaud qui de la servitude
Contracta, jeune encor, la docile habitude!
Écrit-il sur les lois? c'est plus que Montesquieu;
Fait-il des vers galants? c'est Gresset ou Chaulieu;
Fut-il un vrai Cotin, d'éloges on l'assomme;

Et Duponceau lui-même au Mans est un grand homme.
Pour moi, dès mon enfance aimant la vérité,

Et libre avant les jours de notre liberté,
Vengeur du nom français, depuis que sur la scène
J'ai traîné Charles neuf, Médicis et Lorraine,
Des partis en fureur j'ai soulevé les cris;
Vingt presses, gémissant sous des milliers d'écrits,
Par l'imposture même ont fatigué Morphée :
Leur masse injurieuse est mon plus beau trophée.
Oh! qu'aisément comblé d'éphémères honneurs
De tous nos grands braillards j'aurais fait des prôneurs,
Si, désertant la France et flattant l'Angleterre,
Ma muse eût mendié l'or qui nous fait la guerre,

De la cause publique affiché l'abandon,

Acheté par la honte un scandaleux pardon,

Et, quittant les drapeaux de la raison proscrite,

Étalé sans pudeur un cilice hypocrite!

Mais, ferme dans ma route, et vrai dans mes discours,

Tel je fus, tel je suis, tel je serai toujours.
Gorgé de honte et d'or, un impudent Maurice,
Du pouvoir quel qu'il soit adorant le caprice,
De tout parti vaincu mercenaire apostat,
Peut vendre ses amis comme il vendit l'État '.
Lorsque la trahison marche sans retenue,
Lorsque la république est partout méconnue,
Dédaignant de flatter ses ennemis puissants,
A son autel désert j'apporte mon encens.
De son auguste nom sanctifiant mes rimes,
Des idoles du jour bravant les heureux crimes,
Je n'abdiquerai point dans des chants imposteurs
L'honneur d'être compté parmi ses fondateurs :
J'ai vécu, je mourrai fidèle à sa bannière.
Que Baour ou Villiers, Colnet ou Souriguère,
Bâtards dégénérés dont rougit l'Arétin;

De Franco 2, s'il se peut, évitent le destin!

Je réclame leur haine, et non pas leurs suffrages;
Je leur demande encor d'honorables outrages.
Contre moi réunis, qu'ils me lancent d'en-bas
Des traits empoisonnés, qui ne m'atteindront pas;
Plus puissant que la loi qui gémit en silence,
Un trait lancé d'en-haut punit leur insolence;
Et de leur nom flétri l'ineffaçable affront

Est comme un fer brûlant imprimé sur leur front.

1 Ces vers paraissent avoir été écrits à l'époque où Chénier fut exclu du Tribunat. On sait que c'est lui qui avait demandé le rappel de Talleyrand. — 2 Poëte italien, condamné à mort par Pie V, en 1569, pour avoir composé des satires contre quelques seigneurs romains.

LA PROMENADE.

ÉLÉGIE.

Roule avec majesté tes ondes fugitives,
Seine; j'aime à rêver sur les paisibles rives,
En laissant comme toi la reine des cités.
Ah! lorsque la nature, à mes yeux attristés,
Le front orné de fleurs, brille en vain renaissante ;
Lorsque du renouveau l'haleine caressante
Rafraîchit l'univers de jeunesse paré,

Sans ranimer mon front pâle et décoloré;
Du moins, auprès de toi que je retrouve encore
Ce calme inspirateur que le poëte implore,
Et la mélancolie errante au bord des eaux.
Jadis, il m'en souvient, du fond de leurs roseaux,
Tes nymphes répétaient le chant plaintif et tendre
Qu'aux échos de Passy ma voix faisait entendre.
Jours heureux! temps lointain, mais jamais oublié,
Où les arts consolants, où la douce amitié,
Et tout ce dont le charme intéresse à la vie,
Égayaient mes destins ignorés de l'envie!

Le soleil affaibli vient dorer ces vallons;
Je vois Auteuil sourire à ses derniers rayons.
Oh! que de fois j'errai dans tes belles retraites,
Auteuil, lieu favori, lieu saint pour les poëtes!
Que de rivaux de gloire unis sous tes berceaux!
C'est là qu'au milieu d'eux l'élégant Despréaux,
Législateur du goût, au goût toujours fidèle,
Enseignait le bel art dont il offre un modèle;
Là, Molière esquissant ses comiques portraits,
De Chrisale ou d'Arnolphe a dessiné les traits;
Dans la forêt ombreuse, ou le long des prairies,
La Fontaine égarait ses douces rêveries;
Là, Racine évoquait Andromaque et Pyrrhus,
Contre Néron puissant faisait tonner Burrhus,

OEUVRES POSTHUMES.

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