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« Mes bienfaiteurs, baronnes et barons,

"

Dignes soutiens d'une cité célèbre.

« J'aurais du vivre et mourir parmi vous;
« Je le voulais; mais le destin jaloux
« Veut le contraire; et ce destin l'emporte.
<< Longtemps banni, nouveau Coriolan,
« Je dois me rendre aux désirs de Milan:
« On a besoin d'une tête un peu forte,
« D'un homme grave, et point aventurier,
« Monsieur Melzi me dépêche un courrier.
« C'est en pleurant que je vous abandonne;
« De mon pays vous connaissez les torts:
« Il fut ingrat; mais il a des remords;
<< Coriolan pardonna, je pardonne. »

Un cri s'élève : « Éternelles douleurs !
Voyez les yeux des baronnes en pleurs;

Pour vous, cruel, ces yeux n'ont plus de charmes !
Vous nous quittez ! » — Ah! cachez-moi vos larmes;

"

« Il faut remplir un austère devoir.

« Vous n'avez plus besoin de mon savoir;

« Même à Florence il n'est point d'homme habile « Qui se flattât de montrer dans la ville

« L'italien tel qu'on le parle ici.

« Vous l'enseigner serait vous faire injure :
« Vous savez tous ma langue, Dieu merci!
« Comme moi-même; et du moins, je le jure,
« L'italien jamais vous n'oublierez. »>
A son serment tous les serments s'unissent.
On en fait trop; ceux-là seront sacrés.

A son grand cœur tous les cœurs applaudissent;
Avec respect la foule suit ses pas;

On l'accompagne aux portes, sur la route;
Il rit, on pleure; il se tait, l'on écoute;
Un dernier mot s'échappe... « Adiousias. »
Il dit, s'éloigne, et regarde, et soupire ;
Et ce héros, rêvant d'autres succès,

En attendant qu'il redonne un empire,
Vient à Paris enseigner le français.

Mais, loin de lui, sa gloire n'est absente
A Lunebourg, ville reconnaissante:
Des beaux esprits il y fait l'entretien;
D'une statue il y reçoit l'hommage ;
Et dans la place, aux pieds de cette image,
On lit trois mots: AU MAÎTRE ITALIEN.
Là, chaque soir une cité ravie

Vient admirer le vicomte de Crac,
Et parle encore, en dépit de l'envie,
L'italien... que l'on parle à Nérac.
(1802.)

LES MIRACLES.

Les temps sont durs, et la foi périclite.
Saints, à vos rangs! un généreux effort.
Si quelqu'un rit, criez à l'esprit fort;
Jadis Molière, en sa verve maudite,
Calomnia méchamment l'hypocrite;
Geoffroy convient que Molière eut grand tort.
Du feuilleton respectant les oracles,
J'ai résolu, pour affermir la foi,

De vous conter d'assez brillants miracles.
Ne sont inscrits aux livres de la loi,

Mais consacrés dans nos vieilles chroniques;
Prônez un peu mes rimes catholiques.
Puisse un récit, doux, simple, édifiant,
Dans ses loisirs charmer Châteaubriand!
Daigne surtout protéger cet ouvrage,
Sainte Genlis! Philaminte des cieux,
Ma récompense est ton dévot suffrage.
Mais il suffit que mes vers soient pieux;
N'y verse pas cet ennui solitaire

Qui, trop souvent, remplace en tes écrits

Plaisir mondain que prodiguait Voltaire;
J'y tiens encor le plaisir a son prix,
Vous le savez, jeune élite des belles,
Vous, dont les cœurs à l'amour attachés
Du paradis sont faiblement touchés;
Qui croyez peu, de peur d'être cruelles.
Mal à propos ne vous effarouchez :
Cruelles, vous! dévotes le sont-elles?
Sans renoncer à vos jolis péchés,

A notre cause au moins restez fidèles.
Que vos amants soient, comme les Hébreux,
Dignes d'entrer dans la terre promise;
Montez au ciel en péchant pour l'Église;
Faites des saints en faisant des heureux.

Or, écoutez. Quand le preux Charlemagne,
Sous l'ascendant de ses fiers étendards
Eut fait ployer les Sarrasins d'Espagne,
Et les Saxons, et le roi des Lombards,
Il fut suivi des douze pairs de France,
Qui sur ses pas voyageaient en maint lieu,
Pour exercer leur commune vaillance,
Et pour gagner des serviteurs à Dieu.
Ils arrivaient en Mésopotamie,
Dans les états gouvernés par Hugon,
Roi musulman, mais plein de prud'hommie,
Tel qu'il n'en fut depuis feu Salomon,
Ce fameux Juif, ce dévot personnage,
De mille objets amant très-peu volage,
Qui, de plaisirs entourant la raison,
Dans un sérail fit les écrits d'un sage.

Errant à jeun depuis un jour entier,
Portant le poids des Gémeaux en furie,
Les paladins regrettaient leur patrie,
Et quelque peu maudissaient leur métier;
Mais, tout à coup, d'une superbe ville
On voit les tours; et, dans un champ fertile,

Quand le soleil, aux approches du soir,
Va de Thétis regagner le boudoir,
Hugon paraît. Ami de la nature,
Il cultivait de ses augustes mains
L'art fortuné qui nourrit les humains,
Ce premier art qu'on nomme agriculture.
Si je voulais divaguer un moment,
Je pourrais là débiter gravement

Quelques lambeaux de morale admirable,
Texte sublime et glose incomparable;
Mais vous aurez moins de mal que de peur,
Mes chers amis je laisse de bon cœur
L'ennuyeux texte et l'insipide glose
Aux grands faiseurs des poëmes en prose.
Tout du plus loin que les preux chevaliers
Du bon monarque eurent frappé la vue,
Hugon quitta sa royale charrue :

Les musulmans sont gens hospitaliers.
Il s'avança, répondit aux harangues
Sans interprète : il savait bien les langues.
Rois et guerriers furent très-satisfaits.
En devisant d'une façon civile,

On se trouva dans les murs de la ville;
Et de la ville on parvint au palais.

En arrivant, Hugon présente aux dames
Les douze pairs et le grand empereur :
Nouveaux venus, s'ils ont de la valeur,
En tout pays sont accueillis des femmes.
On célébrait du potentat chrétien
Les traits, le port, et le royal maintien
Qu'embellissaient la puissance et la gloire,
Sans oublier, comme vous pouvez croire,
Du bon Turpin le ventre de prélat,
Son teint fleuri, son regard de béat.
Trente beautés vantaient avec ivresse
L'œil de Renaud, la stature d'Ogier,

Du fier Roland la force et la noblesse ;
Toutes vantaient les grâces d'Olivier.
Ses yeux pourtant, fixés sur une belle,
Dans le palais, déjà ne voyaient qu'elle :
Trésor d'amour, fille unique d'Hugon,
L'aimable objet Jacqueline avait nom.
Fleur de quinze ans brillait sur son visage;
Figurez-vous gorge faite à plaisir,

Deux grands yeux noirs mouillés par le désir,
Un pied furtif, un élégant corsage,
Maintien timide et gracieux souris.
De ses attaits la Syrie était fière;
Et Jacqueline eût été la première
Dans le troupeau des célestes houris.
De mille amants qui lui rendaient hommage
Aucun n'avait rendu son cœur épris;
Olivier seul la trouva moins sauvage.
Sans se parler ils s'étaient entendus :
Muets serments, regards doux et perdus,
Tendres soupirs partis du fond de l'âme,
Du beau guerrier déclarèrent la flamme;
De Jacqueline il reçut à son tour

Les doux regards, les soupirs et l'amour.

On a conduit le cortége héroïque
Dans une salle immense et magnifique,
Où le porphyre, et l'or, et le tabis,
Festin, musique, et mille odeurs divines,
Parlaient en foule à tous les sens ravis.
Dans cette salle étaient rangés des lits,
Qu'enrichissaient d'élégantes courtines.
Qui n'eut compté sur un sommeil divin?
Ces lits brillants et de pourpre et d'ivoire
Le promettaient; mais, quand on a grand faim,
Avant dormir il faut manger et boire.
Tous les pays conquis par le turban
Ont du festin combiné l'industrie :

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