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Ronfle avec l'animal aux Hébreux défendu,
Nasille avec l'oison dans sa mare étendu,
Et, toujours au bon goût alliant l'harmonie,
Glousse avec les dindons, ses rivaux en génie.

Un bruit soudain s'élève aux marais d'Hélicon.
D'où vient-il? Un Orphée, argonaute gascon ',
Sur la foi de Giguet 2, et non pas de Zéphyre,
Va courir l'Océan sans boussole et sans lyre;
Mais, lourd ménétrier, tremblant navigateur,
Il trompera l'espoir de Giguet l'armateur :
Il n'ira point creuser les mines de Golconde;
Ne le soupçonnez pas de découvrir un monde;
Sans même avoir l'honneur d'être battu des flots,
Le chantre monotone endort les matelots,

Et, dans un calme plat faisant tous ses naufrages,
Traverse avec l'ennui de stériles rivages,
Jusque sous l'équateur va porter les hivers,
Et gravit sur des monts moins glacés que ses vers.

Ne sachant se borner, la sottise étourdie
Voit dans chaque matière une encyclopédie ;
Elle offre en un sujet tristement allongé
Du monde en raccourci l'éternel abrégé,
Et, s'égarant toujours, toujours plus en arrière,
Croit, en quittant la route, étendre la carrière.
Tel on vit autrefois le marseillais Dulard 3,
Riche en mots superflus, et maître d'Esménard,
Sur les œuvres de Dieu broder un long ouvrage :
Ainsi que les Gascons, les Marseillais font rage.
S'il avait voulu plaire, il eût manqué son but;
Il était sûr au moins d'opérer son salut.
Il ennuya; d'accord: tout rimailleur apôtre

Use amplement du droit d'ennuyer plus qu'un autre.

1 Esménard, auteur du poëme de la Navigation. 2 Libraire, associé de Michaud. 3 Auteur d'un poëme intitulé: Grandeurs de Dieu dans les merveilles de la nature.

Béni par les croyants quand ses vers sont maudits, S'il ne monte au Parnasse, il monte en paradis.

Pour vous, auteur profane, en un sujet fertile
Fuyez des longs discours l'étalage inutile.
L'éloquent écrivain n'est jamais babillard :
Qui sait beaucoup dit peu, mais choisit avec art;
Qui ne sait rien dit tout, hors ce qu'il fallait dire.
Et ne rirait-on pas du poëte en délire
Qui, chantant le bel art par l'amour inventé,
Et qu'au point le plus haut Raphaël a porté,
Au lieu de peindre aussi nous déduirait par liste
L'école, les travaux, le nom de chaque artiste,
Et, poursuivant au Louvre, une plume à la main,
Titien, Michel-Ange, et Rubens, et Poussin,
Épuisant Gérard-Dow, Miéris et Van-Ostade,
N'osant nous épargner la moindre bambochade,
Copiste sans génie, et même sans pinceaux,
Du muséum entier rimerait les tableaux?

Que le Pinde français laisse à la Germanie
Du genre descriptif l'insipide manie.

Thompson, chez les Anglais, l'a sans doute illustré ;
Et son vers, toujours noble, est souvent inspiré.
Un peu froid, mais facile, harmonieux et sage,
Saint-Lambert peignit moins, et pensa davantage;
Et Delille, égalant ces heureux écrivains,
Sur le ton didactique a chanté les jardins.
On retrouvait encor l'élève de Virgile;

Si même il a depuis, plus recherché qu'habile,
Étalé dans ses vers le prestige éclatant

D'un feu qui, sans chaleur, s'évapore à l'instant,
Jaillissant quelquefois, après mainte bluette,
Un beau trait nous enflamme, et révèle un poëte.
Quant aux plats écoliers qui, dans leurs plats essais,
Vont décrivant toujours et ne peignant jamais,
Nisas peut les guinder au-dessus des archanges;
Mais, trébuchant bientôt sous le poids des louanges,

Ils iront dans l'oubli rejoindre sans retour
Les romans de Fiévée ', et les vers de Baour.

Amants, dignes amants des Filles de Mémoire,
Qui dédaignez la vogue, et chérissez la gloire,
Préservez vos écrits de ce goût insensé
Produit par l'ignorance, et par elle encensé.
Ce n'était pas ainsi que l'élégant Virgile
Chantait l'art d'obtenir une moisson fertile,
Sous quel astre à la vigne il faut unir l'ormeau,
Par quels soins le pasteur conserve son troupeau,
Et comment se maintient, dans sa ruche agitée,
Le peuple industrieux, délice d'Aristée.
Ce n'était pas ainsi que l'Horace français,
Du Pinde à ses rivaux facilitant l'accès,
Respectant à la fois le sens et l'harmonie,
Frappait ces vers heureux, proverbes du génie,
El qui, de bouche en bouche en naissant répétés,
Lus, relus mille fois, sont encor médités.

(1805.)

Malgré le jugement de Chénier, la Dot de Suzette demeure un aimable opuscule.

ÉPITRES.

A LE BRUN.

Digne enfant d'Apollon, successeur des Orphées,
Toi, par qui de nos jours les neuf savantes fées,
Malgré tant de Cotins, soi-disant immortels,
Ne verront point encor s'écrouler leurs autels;
Si tu hais, cher Le Brun, les auteurs à la glace,
Aimes-tu mieux, dis-moi, le délire et l'audace
D'un poëte ignorant qui, sans règle et sans art,
En ses vagues écrits ne suit que le hasard?

Quand la belle Pandore, à la voix du génie,
Reçut en même temps la jeunesse et la vie,
Jupiter, du prodige et confus et jaloux,
Accabla son vainqueur d'un éternel courroux.
Chassé du ciel, privé même de la lumière,
Aucun dieu ne daigna consoler sa misère :
Tous, de leur souverain lâches adulateurs,
Maudirent à l'envi l'objet de ses rigueurs.
Mais la raison n'eut point cette indigne faiblesse ⚫
Brûlante d'une auguste et sublime tendresse,
Elle suit le génie; et sa prudente main
Aux pas de cet aveugle enseigne le chemin.

A son guide échappé, quelquefois de ses ailes
Il affrontait encor les voûtes éternelles ;
Heureux, quand, mieux que lui veillant à son bonheur,
La raison modérait cette bouillante ardeur!
Enfin, désabusé du séjour du tonnerre,
Cet illustre banni descendit sur la terre.
La raison l'y suivit; et bientôt les mortels
Devinrent confidents des secrets éternels.

O vous, qui recherchez les principes des choses,
Les sublimes effets et les sublimes causes,

Le calcul infini qui forma l'univers,

Et l'espace, et le vide, et les mondes divers,
De ce tout merveilleux l'éternelle harmonie;
Sachez vous méfier de l'aveugle génie;
Adorez la raison, et consultez sa voix.

Et vous, qui d'Apollon suivez les douces lois,
Si vos efforts heureux quelquefois sur la scène
Ressuscitent encor Thalie et Melpomène,
Ou si d'un vol plus haut vos chants audacieux
Célèbrent les combats, les héros et les dieux,
Que la raison sans cesse à vos écrits préside;
Ne vous écartez point de ce fidèle guide.
Non qu'il faille blâmer ces généreux transports
Qui du cygne thébain animent les accords :
Aux banquets d'Apollon quand tu touches la lyre,
O Le Brun, sous tes doigts tout Pindare respire;
Émule de Rousseau, peut-être son vainqueur,
A peine mes regards mesurent ta hauteur;
Mon âme, en un moment sur tes pas élancée,
Ne voit plus que par toi, ne suit que ta pensée;
Et, ne pouvant me perdre avec toi dans les cieux,
Je t'applaudis au moins et du geste et des yeux.
Mais que tu sais unir la sagesse à l'audace!

Dans tes vers, tour à tour pleins de force ou de grâce,
Tantôt j'entends gronder les aquilons fougueux,
Et tantôt soupirer les zéphyrs amoureux.

Tu chéris la raison: ton audace immortelle

A ses divins accents jamais ne fut rebelle;

Non pas cette pédante et lourde déité

Que l'on nomme raison chez la stupidité;

Qui, jusque dans mes vers, d'un compas tyrannique,
Introduit chaque jour l'esprit géométrique,

Et plus d'une fois même à son humble niveau
Prétendit rabaisser et Corneille et Boileau;

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