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PLUS les sciences approcheront du terme de perfection vers lequel elles tendent sans cesse, plus l'importance de la Bibliographie sera vivement sentie et appréciée. L'imprimerie, ce levier si puissant, qui chaque jour élève l'esprit humain, sans lui permettre jamais une marche rétrograde, multiplie aujourd'hui ses produits avec une abondance qui serait plus funeste, peut-être, que la stérilité même, si le flambeau de la Bibliographie ne venait porter ne clarté salutaire au milieu d'un immense labyrinthe, qui s'accroît incessamment et nous enveloppe de toutes parts.

Mais il faut que, doué d'un esprit supérieur, le Bibliographe puisse embrasser d'un seul coup d'œil la foule confuse des matériaux qui l'entourent et qui semblent, pour ainsi dire, l'accabler sous leur poids; il faut qu'un discernement sûr, une vaste mémoire, une érudition pro

fonde, lui permettent d'assigner à chacun une place convenable; il faut enfin qu'un noble désintéressement le mette à même de consacrer une partie de sa fortune à des études aussi dispendieuses.

Telles étaient en effet les qualités qui rendaient M. Langlès un de nos meilleurs Bibliographes. Mais ce mérite se confondait chez lui avec tant d'autres, que nous l'aurions passé sous silence, si la destination même de cette notice ne nous avait fait un devoir de le placer en première ligne.

Décrire en quelques mots la vie et les travaux de ce savant, c'est tracer en même temps l'histoire de sa magnifique bibliothèque, qui prit plus d'accroissement à mesure que ses études embrassaient un champ plus vaste ét plus varié.

Langlès (Louis-Mathieu) était né à Pérenne près de Mont-Didier, le 23 août 1763. Son père, issu d'une famille ancienne et considérée, remplissait les fonctions d'officier près le tribunal des maréchaux de France. Le jeune Langlès, après avoir terminé ses études, commencées en Picardie, occupa bientôt lui-même ce poste honorable. L'oisiveté de la vie militaire s'accordait mal avec cette ardeur si vive pour le travail, qui le distingua dès ses plus tendres années, et tous ses noments furent consacrés aux langues orientales, dont il s'était occupé d'abord, avec l'espoir de servir dans l'Inde. On remarque que, dès cette époque, M. Langlès s'efforçait déja, comme il l'a toujours fait depuis, de donner à ses travaux une utile direction. C'était en effet un des caractères particuhiers de son vaste savoir, que toutes les connaissances ac

quises par cet habile Orientaliste avaient toujours eu pour but un objet d'un intérêt positif. Sans s'arrêter jamais à d'arides discussions, il avait toujours en vue les résultats utiles de son travail. Jamais, en écrivant un livre, il n'eut l'intention de prouver qu'il était instruit; il cherchait seulement à instruire. Jamais il ne voulut briller.

Par la publication des Instituts politiques et militaires de Tamerlan, il rendit d'abord un important service à l'histoire, et ce service n'échappa point à la bienveillante sollicitude d'un ministre protecteur des lettres (M. le maréchal de Richelieu): avant l'âge de 25 ans, M. Langlès avait obtenu une des douze pensions réservées au mérite.

Un encouragement aussi flatteur devait produire d'heureux résultats. Peu de mois après, on vit paraître l'alphabet tartare - mandchou, qui fut bientôt suivi du dictionnaire de la même langue.

Pour rendre justice à ce vaste travail, il ne faut pas perdre de vue toutes les difficultés qui entouraient notre jeune Orientaliste. Il publiait pour la première fois en Europe un livre mandchou imprimé avec des types mobiles, qu'il avait fait graver lui-même, et il était dépourvu des secours et des conseils d'un maître. Aussi un de nos plus habiles sinologues rendit-il une justice bien honorable à ses efforts en écrivant de Pékin au ministre de France.

... Si le hasard me procure l'acquisition de livres chinois traduits en tartare-mandchou, je ne manquerai pas de leur faire passer les mers pour vous mettre à même de profiter du talent de M. Langlès, dont j'ai lu les ouvrages. Ce qu'il a fait sur la langue des Mandchoux est

très-bien; je vous prierai, Monseigneur, de lui présenter de ma part un juste tribut d'estime. >>

Lettre du P. Amiot à M. Bertin, ministre secrétaire-d'état, datée de Pékin le 10 octobre 1788.

M. Langlès, qui ne se délassait du travail que par le travail lui-même, avait occupé ses moments de loisir à rassembler quelques-uns de ces vieux contes qui nous ont été transmis et qui semblent, comme les habitants de cette contrée, avoir été crées en même temps que le monde.

Bientôt, enrichissant notre littérature d'une foule de voyages précieux, sa plume nous transporte tour à tour de l'Europe en Perse avec Chardin, de la Perse dans l'Inde avec Abdoulrizzac, de l'Inde à Pétersbourg avec Forster, chez les Mahrattes avec Tone, au Bengale avec Hodges, de l'Inde à la Mekke avec le pélerin Abdoul-Kérim, en Égypte avec Norden, enfin au fond des déserts même de l'Afrique avec le célèbre Hornemann.

Habile cicérone pour tous ces voyageurs, il nous décrit dans des notes savantes les lieux intéressants que quelques-uns n'ont fait qu'entrevoir, corrige leurs erreurs, développe leurs aperçus, féconde leurs idées, rapproche leurs opinions, et double ainsi l'intérêt de leurs relations instructives.

« La Révolution, nous dit M. Roux dans l'élégante et docte notice qu'il a consacrée à la mémoire de M. Langlès, la Révolution ne le détourna pas de ses occupations littéraires. Sa vocation était déterminée : elle lui ouvrit, en le séparant de nos dissensions civiles, une carrière hono

rable où il fut constamment utile aux lettres et à son pays. En 1792 il fut nommé garde des manuscrits orientaux de la bibliothèque du roi ; l'année suivante, lorsque les arts étaient proscrits en France, et quand la plupart de leurs monuments furent détruits ou mutilés, il devint membre de cette commission temporaire qui devait en sauver les débris, et il s'opposa avec fermeté à la ruine de nos richesses littéraires, dans un temps où le bien ne pouvait pas être fait sans courage et sans péril. Dans le cours de la même année, un rapport présenté par M. Langlès au comité d'instruction publique traça le plan, et détermina l'institution de l'école spéciale des langues orientales vivantes, grande et nouvelle branche d'instruction, dont les communications de la France avec l'Orient font chaque jour apprécier les avantages. M. Langlès fut attaché à cette école spéciale comme administrateur et comme professeur de persan et de malay; les autres chaires furent dignement remplies, et la France vit prospérer une institution aux progrès de laquelle elle prenait une si noble part. >>

Le catalogue des manuscrits samscrits, publié de concert avec M. Hamilton, précède de peu d'années son magnifique ouvrage sur l'Hindoustân, qui devait, pour ainsi dire, couronner sa carrière littéraire, et présenter en un faisceau les résultats de ses nombreuses recherches et de ses savantes études. Il ne se borna pas seulement à quelques notes archéologiques sur les monuments qu'il décrivait; il voulut nous faire connaître d'une manière complète l'immense contrée de l'Hindoustân, tracer son histoire, peindre les mœurs de ses habitants, dévoiler les

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