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DU

DIRECTOIRE.

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Paroles des émeutiers sortant des Tuileries, le soir du 20 juin 1792. Sens de ces paroles. Véritable caractère de l'émeute du 20 juin. — Témoignages de Roederer, de Chabot et de Robespierre. Ces témoignages sont confirmés par une enquête judiciaire. — La révolution du 10 août ne fut que la reprise de l'émeute du 20 juin, dépassant le but de ses auteurs. - Causes de l'intérêt qui s'attache aux Girondins. Horreur des Montagnards. — Définition des Montagnards par Danton. - Divers groupes dont se composait le parti des Girondins.

I

Quelques-uns des émeutiers qu'on avait conduits, le 20 juin 1792, sous le prétexte d'une pétition à remettre et d'un arbre de la liberté à planter (1), à l'assaut du château des Tuileries, disaient tout haut en sortant, le soir, vers huit heures, de l'appartement de la reine : « On nous a amenés pour rien; mais nous reviendrons, et nous aurons ce que nous vou

lons (2).

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Qu'étaient donc venus chercher aux Tuileries ces vingt

(1) C'est le premier arbre de la liberté dont il ait été question en France. Il venait du faubourg Saint-Antoine, et était destiné aux Tuileries. Il fut planté dans le potager du couvent des Capucins, c'est-à-dire à peu près dans la grande cour actuelle du ministère des finances. Voyez Roederer, Chronique de cinquante jours, p. 40.

(2) Ræderer, Chronique de cinquante jours, p. 63.

HIST. DU DIRECTOIRE.

2.

1

mille faubouriens, hommes et femmes, armés de piques, de sabres, de haches, de hallebardes, de broches, portant un cœur de veau saignant pour étendard, et qui, sous la conduite d'un Polonais nommé Lazousky, et de Santerre, commandant du bataillon des Enfants-Trouvés, montèrent un canon jusque dans la salle des Gardes, pour enfoncer la porte du cabinet de Louis XVI?

Ils étaient envoyés par le parti des Girondins, afin de réclamer bruyamment et d'obtenir par la force la rentrée de leurs trois ministres favoris, Roland, Servan et Clavière, auxquels le roi avait été forcé de retirer, le 13 juin, leurs portefeuilles, à la suite de prétentions et de procédés insultants et intolérables, et sur l'avis même de leur collègue Dumouriez (1).

Ainsi, c'était par les menées et par les intrigues d'un grand parti politique, fier de ce qu'il nommait son patriotisme et ses lumières, et faisant grand étalage de son amour pour la Constitution (2), qu'une émeute avait été organisée dans les faubourgs de Paris, et conduite aux Tuileries pour insulter le roi et la reine, et pour en obtenir, par la violence, le rappel de trois ministres justement disgraciés.

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(1)« Les trois ministres, dit Dumouriez, ne gardaient plus aucune mesure, non-seulement avec leurs collègues, mais avec le roi lui-même. A chaque séance du conseil, ils abusaient de la douceur de ce prince, pour le mortifier, et le tuer à coups d'épingles. Dumouriez, Mémoires, t. II, p. 266. (2) Robespierre, alors séparé des Girondins, appelait leur parti le parti des Intrigants. Madame Roland voulut essayer de le ramener; elle échoua. Elle lui écrivit alors, à la date du 25 août 1792, une lettre où elle caractérisait ainsi les vues des Girondins, ses amis : « Rappelez-vous, monsieur, ce que je vous exprimais la dernière fois que j'ai eu l'honneur de vous voir soutenir la Constitution, la faire exécuter avec popularité, voilà ce qui me semble devoir être actuellement la boussole du citoyen. C'est la doctrine des hommes respectables que je connais, c'est le but de toutes leurs actions; et je regarde vainement autour de moi pour appliquer la dénomination d'intrigants dont vous vous servez. » — Buchez et Roux, Histoire parlementaire, t. XXXV. Papiers de Robesbierre, p. 367.

Louis XVI, entouré de ces misérables, avait montré le plus grand courage, et refusé toute concession à la force. Au moment où il fut abordé par Santerre et par Pétion, la foule avait crié avec plus d'énergie que jamais : « Sanctionnez les décrets (1)! rappelez les ministres patriotes! » Louis XVI répondit, avec le plus grand calme : « J'ai juré de maintenir la Constitution, je la soutiendrai au péril de ma vie. Si vous avez quelque demande à m'adresser, ce n'est ni pour vous le moment de la faire, ni pour moi celui de l'accorder (2).

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Ainsi, l'émeute, maîtresse des Tuileries, n'avait pu obtenir du roi ni concession, ni promesse; et c'est pour cela qu'elle disait en sortant « On nous a amenés pour rien; mais nous reviendrons, et nous aurons ce que nous voulons. »

Les Girondins et leurs sicaires revinrent, en effet, cinquante jours plus tard, le 10 août; mais la Providence leur réservait un châtiment dans leur triomphe même. L'effort désespéré et sanglant qu'ils firent pour arracher trois misérables portefeuilles renversa cette monarchie trop débonnaire, qu'ils se proposaient d'exploiter; et les bandes féroces et pillardes qu'ils avaient, avec tant de peine, lancées contre le trône, se retournèrent contre eux, les chassèrent d'un pouvoir si déloyalement acquis, et les envoyèrent à l'échafaud.

La révolution du 10 août ne fut donc, comme on voit, que l'émeute du 20 juin, recommencée, perfectionnée, et dépassant le but de ses auteurs. C'est pour cela que le récit des préparatifs et de l'accomplissement de cette révolution exige l'exposition rapide et préalable de la pensée qui avait présidé à cette émeute.

Cette exposition veut être empruntée au témoignage des hommes qui avaient tous les secrets des Girondins.

(1) C'étaient les décrets sur la déportation des prêtres qui avaient refusé le serment à la constitution civile du clergé, et le décret qui formait, sous les murs de Paris, un camp de vingt mille fédérés.

(2) Ferrières, Mémoires, t. II, p. 118.

II

Roederer, dont nous aurons à raconter la conduite si louche en ces honteuses circonstances, avoue que « le renvoi des ministres patriotes donne peut-être le secret du mouvement du 20 juin tout entier (1). »

Chabot, qui avait moins de ménagements à garder, expliqua en ces termes, le 26 septembre 1792, à la tribune de la Convention, la nature et le but de l'insurrection du 20 juin : <«< Dans la nuit du 19 juin, je me suis transporté au faubourg Saint-Antoine, où je me suis opposé publiquement aux projets de certains intrigants, dont le but n'était point la liberté du peuple, mais le rappel de quelques ministres (2).

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C'était par les conseils de Robespierre que Chabot s'était rendu au faubourg Saint-Antoine, pour faire avorter les projets des Girondins, non point certes par esprit d'ordre, mais par esprit de rivalité et de jalousie. C'est ce que Robespierre lui-même déclara, en ces termes, dans sa réponse à Pétion, au mois d'octobre suivant :

« Vous avez montré, pour le mouvement du 20 juin, autant de condescendance que vous avez fait paraître d'éloignement pour l'insurrection du 10 août (3). Quel a été le motif de cette contradiction dans votre conduite? Je vais vous le dire : Le résultat de la révolution du 10 août devait être la liberté ; la procession armée du 20 juin, le rappel des ministres Clavière et Roland... Je conseillai à Chabot de se rendre au faubourg

(1) Roederer, Chronique de cinquante jours, p. 31.

(2) Le Moniteur ne donne que très-imparfaitement les paroles de Chabot, il faut les lire dans les Lettres de Maximilien Robespierre à ses commeltants, no 2, p. 96.

(3) Nous verrons en effet que les Girondins, effrayés de la rapidité et de la grandeur que prit, vers la fin de juillet, le mouvement populaire suscité par eux contre le roi, voulurent l'enrayer, afin de traiter avec la cour: ils voulaient effrayer et soumettre le trône, non le renverser.

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