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RETRAITE DES PRUSSIENS.

Nous avons terminé notre narration militaire du mois précédent au moment où le duc de Brunswick marchait par Autri sur Grandpré, suivant en sens inverse la route qui l'avait conduit au camp de la Lune; c'était le 1er octobre.

Dumourier se borna à faire des dispositions seulement pour serrer de près les Prussiens et ne les point perdre de vue. Kellermann qui, ainsi que l'avoue le prince de Hardenberg, n'avait point le secret de la retraite, demanda à se porter à Clermont, en Argonne, pour se réunir au corps de Dillon, y attaquer les Autrichiens et les Hessois, les chasser, et de là se porter sur le flanc des Prussiens, et les couper dans leur retraite. Au lieu de cela, on l'envoya occuper les positions de Somme-Suippe, l'une de celles que les Prussiens venaient d'évacuer. Alors Kellermann voulut au moins suivre l'ennemi afin d'inquiéter son arrière-garde et profiter de toutes les occasions qui se présenteraient de la détruire; en conséquence il fit occuper Fontaine, poste à deux lieues sur le flanc d'Autri, et d'où il pouvait à sa volonté prévenir le duc de Brunswick au passage de l'Aisne; il demanda l'autorisation de marcher dans cette direction, mais on lui répondit par un ordre contraire. Kellerman, forcé d'obéir, puisque la présence des commissaires de la Convention donnait aux ordres de Dumourier en quelque sorte force de loi, ne s'épargna pas au moins les plaintes. Ce ne fut que le 4 octobre que ce général reçut la permission de porter son corps tout entier à Fontaine et de marcher en avant; mais alors les Prussiens étaient sortis de l'Argonne, avaient traversé l'Aisne entre Autri et Vouziers, et mis cette rivière entre eux et les Français. Ils avaient alors quinze lieues de marche d'avance.

Voici quelles sont les refléxions de Servan à l'occasion de ces singulières manœuvres. Nos lecteurs savent que ce ministre n'était nullement au courant des conventions secrètes que nous avons indiquées plus haut.

En rapprochant, dit-il, les assertions du général Dumourier

des plaintes du général Kellermann...., en examinant les dispositions des différens corps de troupes aux ordres du général Dumourier au moment de la retraite, en suivant sur la carte la marche des Prussiens pour se retirer, et celle des troupes françaises pour les suivre, en voyant le général Kellermann posté à Suippe et à Somme-Suippe, de manière à l'éloigner des armées ennemies, ces faits et ces rapprochemens semblent démontrer et expliquer jusqu'à l'évidence les arrangemens secrets faits avec le roi de Prusse.... si, comme il l'assure, il n'y eut aucune convention avec les Allemands, il est inexcusable de les avoir laissés échapper; on ne peut en accuser que lui. (Tom. 2, pag. 131.) Toulongeon, dont on connaît la modération, ne doute pas, d'après les mêmes considérations, qu'il n'y eût un traité entre les généraux des deux armées.

Cependant Dumourier avait couvert l'exécution de la convention secrète par des mouvemens de troupes propres à donner le semblant d'une grande activité dans la poursuite, et à en imposer aux hommes qui jugeraient des mouvemens militaires autrement qu'en les suivant sur la carte. Il avait ordonné au général Harlville de s'avancer de Pont-Faverger à Attigni pour inquiéter le corps des émigrés ; il avait commandé au général Miackzinski, qui commandait à Sedan, de s'avancer vers Tana; il avait fait marcher Chazot par Rethel à Sedan; le général Boucquet de Fresne à Virgini; enfin Beurnonville devait descendre l'Aisne jusqu'à Condé; mais de tous ces corps, quelques-uns s'éloignaient de la route, les autres devaient tous arriver trop tard ou n'atteindre que les émigrés.

Nous devons dire que ceux-ci furent indignement sacrifiés par les Prussiens et laissés en quelque sorte pour pâture aux corps français qui, par ignorance des volontés de leur généralissime, avancèrent plus vite qu'ils ne l'avaient prévu. Les émigrés tantôt formèrent simplement l'arrière-garde et tantôt même couvrirent toujours à ce titre le flanc gauche des Prússiens; ainsi ils passèrent l'Aisne à Vouziers, et les quatre princes français furent sur le point d'être pris dans le château de Sci, entre les PetitesArmoises et la Bertière.

T. XX.

Pour continuer de suivre les intentions secrètes de Dumourier

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dans la conduite de son commandement, il faut tenir compte des

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dates des mouvemens des divers corps.

Le 6 octobre, toute l'armée du duc de Brunswick se trouvait réunie; les Hessois et le corps autrichien du prince HohenloheKirchberg à la gauche de la Meuse, sous le canon de Verdun; les

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Prussiens occupaient, à la droite de la rivière, la hauteur de Saint-Michel, et s'étendaient jusqu'à Consenvoi. Les Autrichiens, aux ordres de Clairfait, et les émigrés, bordaient la Meuse entre Consenvoi et Stenai; ainsi les coalisés se trouvaient revenus à peu près sur la même ligne qu'ils occupaient avant leur tentative sur Argonne.

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Le corps français le plus rapproché des Prussiens était en ce moment celui de Dillon, et ce fut le premier qui se trouva engagé avec eux. Ce général s'était porte, le 5, des Ilettes à Clermont et ensuite à Dombasles, et de là à Sivri-la-Perche, faisant marcher sur sa droite et sur sa gauche de forts détachemens qui repoussaient les petits corps épars des Hessois. Le détachement de droite se saisit des ponts d'Ancemont et Dieue sur la Meuse, à deux lienes au-dessus de Verdun. Le 8, les avant-postes hessois furent repousses jusqu'à une demie lieue de la ville tant par le feu des tirailleurs que par celui de quelques canons qui les forcerent d'évacuer la seule redouté qui protégeât leurs flancs. Alors le général Kalkreuth étonné, dit le prince de Hardenberg, fit demander une conférence qui eut lieu en plein champ entre les deux armées. Les genéraux français qui y prirent part en dressèrent une notice qui fut envoyée au pouvoir exécutif et imprimée avec le compte rendu adressé par Dillon au ministre de la guerre. Voici cette notice :

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Conference tenue entre les citoyens Labárolière et Galbaud, maréchaux-de-camp des armées de la République, d'une part; le duc de Brunswick, généralissime des armées confédérées prussiennes, autrichiennes et hessoises, le général Kalkreuth et un officier hessois, de l'autre part, le 8 octobre 1792, l'an 1er de la République, tenue en plein champ, entre le camp des alliés et le corps de troupes légères aux ordres du citoyen Labarolière, au-dessous du coteau de Saint-Barthélemi, à une demi-lieue de Verdun.

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Le corps de troupes aux ordres du général A. Dillon cernait l'ennemi en-deçà de la Meuse, et s'étendait depuis Belleray, en passant par Sivry-la-Perche, jusqu'à Charni. Le géneral Labarolière, qui occupait les postes à la droite de l'armée de la République, avait poussé ses avant-postes jusqu'à demi-portée de canon d'une redoute que les Prussiens avaient établie au-dessous de Saint-Barthélemi, pour défendre leur gauche à la faveur d'un bois dont il occupait la majeure partie, et pouvait faire avancer ses tirailleurs à portée du mousquet des vedettes ennemies. Cette heureuse position lui procurait journellement quelques avantages qui néanmoins étaient très-précaires, parce qu'il fallait continuellement passer sous le feu de la batterie de la redoute.

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› Dans cet état de choses, le général Dillon chargea le maréchalde-camp Galbaud de placer deux pièces de douze pour battre fa redoute. Le succès de cette opération fut complet. L'ennemi, dès les premières déchargés, retira son canon et abandonna la redoute que les Français ne crurent pas devoir prendre, parce qu'ils se seraient trouvés battus d'écharpe par les batteries que les ennemis avaient établies à Saint-Barthélemi. Ce succès encouragea tellement les tirailleurs français, que le général Kalkreuth crut devoir demander une conférence au maréchal-de-camp Labarolière.

› Le maréchal-de-camp Galbaud, qui s'étoit porté sur les lieux pour voir l'état des batteries, fut invité par Labarolière de se trouver à la conférence; ils se rendirent sur le terrain convenu où ils trouvèrent le général Kalkreuth, ses aides-de-camp, un

officier hessois dont on n'a pu savoir le nom, et plusieurs gens de leur suite. On convint d'abord d'une suspension d'hostilités, pendant la conférence, entre nos tirailleurs et ceux des ennemis. Les uns et les autres se réunirent aussitôt derrière nous sur le bord du bois de Billemont, où ils burent l'eau-de-vie ensemble.

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› Le général Kalkreuth s'adressant à Labarolière. Je crois, monsieur, qu'il ne vous sera pas difficile de tomber d'accord sur l'objet de ma mission. Vous savez que, dans toutes les guerres, les vedettes sont convenues de s'épargner réciproquement; cependant vos tirailleurs inquiètent sans cesse les nôtres. Je vous demande de rétablir à cet égard les anciens usages de la guerre, et de convenir que de part et d'autre les vedettes seront respectées.

› Labarolière. Je crois, monsieur, que la guerre autorise la conduite que j'ai tenue jusqu'à ce moment, et votre demande prouve seulement la supériorité de nos tirailleurs. Il est cependant une condition en faveur de laquelle j'entrerais dans vos vues, ce serait de me céder la portion du bois occupée par vos troupes; alors, tous mes postes se communiquant avec sûreté, je ne serais plus obligé de fatiguer mes tirailleurs pour m'assurer de ce qui se passe sur mon flanc.

› Kalkreuth, Vous conviendrez, monsieur, qu'il m'est impossible de céder sur cet article, parce que la possession entière du bois mettrait vos troupes en état de venir nous inquiéter impunément jusque dans notre camp. Voilà la réponse que je vous ferais si j'avais les pouvoirs nécessaires pour traiter sur cet objet; mais ma mission ne porte que sur l'objet dont je vous ai parlé, et il m'est impossible de m'en écarter.

› Labarolière. Je suis fâché que mon devoir soit un obstacle au désir que j'aurais de vous faire plaisir; mais vous êtes trop bon militaire pour ignorer que les grands succès à la guerre ne sont souvent dus qu'à la continuité de petits avantages. Ceux que remportaient journellement nos troupes légères vous prouvent avec quel zèle nos armées combattent pour la cause qu'elles défendent. Il y a long-temps que le roi de Prusse et le duc de Bruns-`

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