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grains; elle sera affichée dans toutes les communes de la Répu

blique.

IV. La Convention nationale déclare que la circulation des grains est libre dans l'intérieur.

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V. Qu'il soit fait une loi qui nous manque, concernant la liberté de la navigation des rivières, et une loi populaire qui mette la liberté du commerce sous la sauvegarde du peuple, même selon le génie de la République.

VI. Cette dernière loi faite, je proposerai que l'on consacre ce principe: que les fonds ne peuvent point être représentés dans le commerce.

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Telles sont les vues que je crois propres à calmer l'agitation présente; mais si le gouvernement subsiste tel qu'il est, si l'on ne fait rien pour développer le génie de la République, si l'on abandonne la liberté au torrent de toutes les imprudences, de toutes les immoralités que je vois, si la Convention ne porte point un œil vigilant sur tous les abus, si l'orgueil et l'amour de la sotte gloire ont plus de part aux affaires que la candeur et le solide amour du bien, si tous les jugemens sont incertains et s'accusent; enfin si les bases de la République ne sont pas incessamment posées, dans six mois la liberté n'est plus.

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Cette opinion est fréquemment interrompue par des applaudissemens. L'assemblée en vote à l'unanimité l'impression. Valazé propose que les administrations soient tenues de protéger de tout leur pouvoir la liberté du commerce et de la circulation des grains; mais que, pour éloigner du peuple toute inquiétude sur ses subsistances, le ministre de l'intérieur soit teuu d'approvisionner sans délai, en grains achetés à l'étranger, les départemens dans lesquels les déclarations des fermiers n'offriront pas un équivalent aux besoins de la consommation de leurs habitans pendant quinze mois. Il proposé aussi des vues pour les approvisionnemens des armées; enfin il veut que l'état des grains qui seront constatés se trouver dans chaque district soit affiché, et que le superflu seul puisse en être exporté.

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SÉANCE DU 30 NOVEMBRE.

[Lecointe-Puyraveau. Hier vos commissaires, envoyés dans le département d'Eure-et-Loir, ont été à chaque minute entre la vie et la mort. Aujourd'hui la ville de Chartres est peut-être incendiée. C'est pour elle que nous venons demander des secours prompts. Le retour précipité et inattendu de vos commissaires vous jette sans doute dans l'étonnement. En voici la cause, elle est déplorable. Partis de Paris aussitôt que nous eûmes en notre pouvoir les pièces nécessaires pour remplir notre mission, nous arrivâmes à Chartres le 28. Nous assemblâmes les corps administratifs; notre dessein était de connaître les causes des rassemblemens. Voici les questions que nous fimes aux administrateurs : Savez-vous d'où sont partis les attroupemens? En connaissezyous les causes? Ils nous répondirent que la cause prétendue était la cherté des denrées; les attroupemens ont commencé aux environs de la forêt de Vibraye et de la verrerie de Montmirail; ils sont parvenus jusqu'à Brou; mais ce n'est qu'une branche de la révolte; l'autre a commencé à la Ferté-Bernard: deux cents volontaires d'un bataillon étaient à la tête. Nous leur demandâmes ensuité quel en était l'effet. Les administrateurs nous dirent qu'ils ne voulaient que taxer les denrées; que cependant un procureur de commune a été victime de leur fureur pour les avoir voulu rappeler au respect de la loi; qu'à Mondoubleau, ils ont pillé des greniers et des magasins. Nous en étions là, lorsqu'un gendarme vint annoncer que le tocsin se faisait entendre à Châteauneuf, et que l'attroupement devait se rendre le 29 à Courville. Courville n'est qu'à quatre lienes et demie de Chartres. Nous résolûmes d'y aller le même jour. Le commandant de la gendarmerie nous demanda nos ordres pour nous faire accompagner; nous répondîmes : Nous sommes envoyés pour exercer l'empire de la raison; nous distinguerons bien parmi les attroupés s'il y a des citoyens qu'on égare, et nous leur ferons rendre justice si leurs motifs sont raisonnables. Nous croyions trouver à Courville des citoyens français, et non des hommes prévenus

contre la Convention nationale, et disposés à verser le sang de ses membres. Nous prévînmes les administrateurs de Chartres, et nous partîmes.

Hier matin, 29, à huit heures, nous étions à Courville. Les particuliers attroupés y étaient déjà en assez grand nombre. Nous parlâmes à plusieurs en particulier, et nous conçûmes de leurs réponses un assez bon augure; mais quelle était notre erreur! Nous nous rendîmes à la maison commune, et nous convînmes que, lorsque les attroupés, que j'appellerai bientôt des brigands, seraient arrivés, on les réunirait pour les ramener à la raison, et leur prouver qu'ils travaillaient contre leurs intérêts. Un homme, qui s'était attaché à nos pas depuis notre arrivée, vint nous tendre un piége. Il dit qu'il avait fait plusieurs fournitures d'avoine qu'on ne lui avait point payées; et qu'il nous invitait à le faire payer. Nous l'avions pris pour un municipal. Les municipaux le croyaient de notre compagnie. Nous lui répondîmes que nous n'étions pas venus pour des affaires particulières; il disparut. On répandit alors que nous n'étions venus que pour exercer des mesures violentes ; que bientôt on verrait paraître la légion germanique qui nous suivait, et qu'il fallait aller la recon-naître. Nous eûmes beau protester que nous n'avions d'autre but que la mission de la Convention nationale, et le respect et la confiance du peuple pour elle; on ne nous écouta point. Bientôt on vint nous annoncer que les attroupés étaient disposés à nous entendre. Ils étaient au nombre de six mille, armés de fusils, de piques, de croissans, de fourches, de faux, de bisaiguës, et d'autres outils de charpentier. On forma un bataillon carré, au milieu duquel on nous plaça.

Le citoyen More, notre collègue, parla le premier. Il leur représenta que la Convention nationale ne pouvait être heureuse que du bonheur du peuple. Je suivis cette idée ; je leur présentai le tableau des efforts de la Convention. Je les assurai qu'ils servaient par leur conduite les accapareurs qu'ils voulaient combattre. Jusque-là, on m'avait prêté beaucoup d'attention et de silence. Mais tout à coup des hommes, qui craignaient d'être

démasqués, s'écrièrent: Ce sont des charlatans, des endormeurs; ils s'entendent avec les propriétaires, ce sont des ennemis du peuple; ils ne demandent que de le voir mourir de faim.

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Le citoyen Biroteau, aussi notre collègue, voulut les ramener; il ne put dire que deux mots. On cria: A la hart! On se pressait autour de moi. Un citoyen de Châteauneuf me dit : Retirez-vous, citoyen, vous courez le plus grand danger. Je voulus rester, et répondre aux questions véritablement étranges qu'on me faisait. Le même citoyen revint et me dit : Si vous restez, vous êtes perdu. Je voulus faire un pas..... à l'instant on me saisit; je crie que je suis un représentant du peuple; haches, bisaigues, fourches, faux sont levées sur ma tête, sont dirigées sur ma poitrine.' (De longs mouvemens d'horreur s'élèvent de toutes les parties de la salle. On entend plusieurs voix proférer avec indignation le nom de Marat.) Le citoyen Biroteau était aussi l'objet d'un grand mouvement. On déchirait ses vêtemèns; on voulait le précipiter dans la rivière. (L'horreur redouble et se prolonge.) Mon heure dernière était venue, ou du moins je le pensais, d'après le traitement qu'éprouvait mon collègue. Déjà j'avais de la peine à respirer. On me pressait la gorge; on ne pressait les flancs; un homme, en habit de garde-chasse, me menaçait de son fusil; lorsque le même citoyen, qui m'avait donné les deux premiers avis, crut me sauver, en disant : Il faut le garder pour taxer le blé. Alors on me rend l'usage de mes pieds. Je cherche des yeux mes collègues. On me dit que je n'échapperais pas plus qu'eux. On me hisse sur les sacs de blé. On crie plusieurs prix de taxe. Dans ce moment, on traîne vers moi mes deux collègues ; leur présence me rend un peu d'espoir. On exige de nous de ne pas démarrer (c'est leur terme) que nous n'ayons signé leur taxe. Je réponds que nous n'avons aucun caractère pour le faire; que, si les officiers municipaux le souffraient, ils étaient des prévaricateurs; que, puisqu'on ne voulait pas nous écouter comme envoyés de la Convention nationale, nous ne pouvions pas même exercer le droit de citoyen, parce que nous n'étions pas libres. Des hurlemens, des rugissemens se font entendre. On allait nous 28

T. XX.

ressaisir. Notre mort était assurée. Volontiers nous en aurions fait le sacrifice, si ce sacrifice eût été utile; mais nous pensâmes qu'il ne serait qu'un crime de plus. La tête sous la hache menaçante, nous allions subir l'arrêt, nous accédâmes à la demande de ces furieux, pour empêcher le sang de couler, afin de pou voir vous instruire vous-mêmes; car, si on nous eût massacrés, vous eussiez ignoré la cause et peut-être l'événement de notre.

mort.

Parmi les attroupés, il est beaucoup de citoyens qui sont forcés, le poignard sur la gorge, de suivre les autres. On dit que la cherté des denrées est la cause des troubles qui agitent le dépar tement d'Eure-et-Loir; eh bien! dans ce département, le pain vaut 2 sous 3 deniers la livre. (Murmures d'indignation.) Nous devons pourtant à la vérité de dire que les hommes opulens abusent de la faculté de faire faire leurs ouvrages à un prix trop modique.

Parmi les reproches que nous avons entendus, on parlait beaucoup de prêtres et de religion. (Nouveaux murmures.) Une motion faite au sein de la Convention n'était pas ignorée; on voulait nous en punir. On a préludé avec autant d'audace que d'assurance, devant nous, à une loi agraire. Un homme couvert d'un uniforme national a demandé que tous les baux fussent diminués par un décret: on n'a pas craint de dire que ça irait jusqu'à Paris, et que cette Convention, qui ne voulait plus de prêtres, et qui volait les deniers du peuple, le paierait bien. Ensuite, on a formé le projet de marcher sur Chartres. Le besoin de manger, la lassitude, nous délivrèrent de ces brigands vers quatre heures. Nous nous retirâmes à notre auberge. Le même citoyen, toujours le même, vint me trouver : Le moment est favorable, me dit-il; ils vont revenir, ils seront pris de vin, partez. Nous suivîmes son conseil. Arrivés à Chartres, les officiers municipaux et les administrateurs vinrent au-devant de nous. On leur avait annoncé à midi que nous n'étions plus; ils nous témoignèrent leur intérêt et leur sensibilité. Nous connaissons la loi, nous ontils dit; nous avons déjà subi un assaut, nous en soutiendrons

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