Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

demande d'une loi contre le moncpole, qui obligeât chaque propriétaire d'apporter dans les marchés une quantité de grains proportionnée à sa récolte. Les grains eussent été taxés par la municipalité de son domicile. Il avait encore pour objet d'établir des formalités pour le transport des subsistances de département à département, et de fixer le maximum du prix des grains et farines.

Ce mémoire fut renvoyé aux comités d'agriculture et de com

merce.

Le 19, Roland traita la question dans une lettre qu'il adressa à la Convention. Voici cette lettre :

Paris, le 18 novembre 1792, l'an 1er de la République.

Un citoyen au président de la Convention nationale. Je me dépouille du titre de ministre, parce qu'il sert à faire mettre des entraves à la Iberté de l'homme, à qui il est donné, parce je crois utile à la chose publique d'user en ce moment de tout le droit du citoyen et de l'homme libre pour attaquer des préjugés dont les effets seraient funestes à la France.

› Le comité d'agriculture et de commerce a présenté un projet de décret, que me fait croire très-nuisible quelque expérience en administration. Des voyages en Europe, pour étudier le génie des nations, leurs relations commerciales, et très-particulièrement la naissance et le progrès de cet esprit qui veut et doit faire, des intérêts privés, les élémens de l'intérêt public; tout, et l'histoire d'Angleterre et la nôtre propre, et les grandes vues de Turgot, et les erreurs désastreuses de Necker, tout prouve que le gouvernement ne s'est jamais mêlé d'aucun commerce, d'aucune fabrique, d'aucune entreprise qu'il ne l'ait fait avec des frais énormes en concurrence avec des particuliers, et toujours au préjudice de tous; que toutes les fois qu'il a voulu s'entremêler dans les affaires des particuliers, faire des réglemens sur la forme, sur le mode de disposer des propriétés, de les modifier à son gré, il a mis des entraves à l'industrie, fait enchérir la main-d'œuvre et les objets qui en sont résultés,

[ocr errors]

› L'objet des subsistances est dans ce cas, plus particulièrement qu'aucun autre, parce qu'il est de première nécessité qu'il occupe un grand nombre d'individus, et qu'il n'en est pas un seul qui n'y soit intéressé. Les entraves annoncent, appellent, préparent, accroissent, propagent la défiance, et la confiance est le seul moyen de faire marcher une administration dans un pays libre.

» La force, quelque moyen coërcitif qu'on imagine, ne saurait être employée que dans les momens de crise, dans les convulsions, dans les mouvemens violens et irréfléchis; mais dans une suite de travaux, dans une continuité d'opérations, l'emploi de la force nécessite la continuité de son usage, elle en établit le besoin, elle le multiplie et l'aggrave sans cesse, de manière que bientôt il faudrait armer la moitié de la nation contre l'autre; tel sera toujours l'effet des décrets qui auront pour but de contraindre ce que la justice et la raison veulent et doivent laisser libre. Or, toute déclaration exigée, en fait de subsistance spécialement, sera fausse et nécessiterà la violence. Tout ordre de porter çà ou là, en telle ou telle quantité; de vendre en tel lieu, et non en tel autre, à telle heure aux uns, à telle heure aux autres; tout ce qui établira la gêne, tendra à l'arbitraire et deviendra vexatoire. Le propriétaire s'inquiète d'abord, se dégoûte ensuite; il finit par s'indigner. Le peuple alors peut s'irriter et se soulever. La source des prospérités serait tarie, et la France deviendrait la proie d'agitations longues et cruelles. C'est une arme terrible dont les malveillans ne tardent pas de s'emparer, qu'un décret qui porte avec soi la contrainte, et laisse à la violence le soin de le diriger. Déjà celui du 16 septembre dernier, qui ordonne le recensement des grains et autorise l'emploi de la force pour son exécution, répand l'alarme et favorise les émeutes. Encore une entrave, encore une provocation de l'autorité pour la soutenir; je ne connais, je ne conçois plus de puissance humaine capable d'arrêter les désordres.

On ne se représente pas assez qu'en administration, en législation, comme en mécanique, la multiplicité des rouages gêne

les mouvemens, retarde ou diminue l'effet, faute d'un plan raisonné fondé sur l'histoire des faits, sur le résultat des combinaisons, sur la somme des moyens moraux et physiques, un code se trouve chargé d'articles dont les uns sont destinés à rectifier les autres. Il s'ensuit une complication susceptible de commentaires, et l'exécution devient également difficile et hasardeuse. Les inconvéniens de cette nature sont infiniment graves dans la législation des subsistances, qui devient alors un arsenal d'armes meurtrières, que saisissent tous les partis.

› Président de la représentation d'un grand peuple, montrez que le grand art est de faire peu, et que le gouvernement, comme l'éducation, consiste principalement à prévenir et à empêcher le mal d'une manière négative, pour laisser aux facultés tout leur développement, car c'est de cette liberté que dépendent tous les genres de prospérité. La seule chose peut-être que l'assemblée puisse se permettre sur les subsistances, c'est de prononcer qu'elle ne doit rien faire, qu'elle supprime toute entrave, qu'elle déclare la liberté la plus entière sur la circulation des denrées; qu'elle ne détermine point d'action, mais qu'elle en déploie une grande contre quiconque attenterait à cette liberté. La gloire et la sûreté de la Convention me paraissent attachés à cet acte de justice et de raison; parce qu'il me semble que la paix et le bonheur de la nation en dépendent.

› J'abonde en motifs : le temps et l'espace sont trop courts, mais je joins ici des observations que j'ai cru devoir adresser à la Commune de Paris avec la proclamation du pouvoir exécutif; elles concourront à développer mes idées; elles m'ont paru mériter assez d'attention pour être étonné que le comité chargé d'un décret auquel sont intéressées les destinées de la France, se soit éloigné de m'entendre sur une partie d'administration, dans laquelle il importe autant de recueillir les vues, de peser les raisons, pour se garantir de l'erreur, et n'être pas exposé à des méprises.

> Je soumets à la sagesse de l'assemblée mes représentations sur le sujet de mes plus importantes sollicitudes; je les lui dois

[ocr errors]

comme citoyen, et c'est à ce titre que je lui en fais hommage. › Signé ROLAND. »

Fabre. Le ministre de l'intérieur a tort de vous dire qu'il n'a pu se faire entendre aux comités, lors de la rédaction du projet de loi sur les subsistances; car j'atteste qu'au contraire vos comités l'ont invité à venir leur présenter ses idées, et qu'il a refusé de s'y rendre.

L'assemblée ordonna l'impression de la lettre de Roland.

Le 24, une députation de la majorité des sections se présenta au conseil pour lui demander le rétablissement de la taxe sur les bois et denrées de première nécessité. La loi du 30 août 1791, s'opposant à ce qu'on pût accueillir cette demande, le conseil nomma des commissaires chargés de vérifier les pouvoirs des commissaires de sections, et, s'ils étaient reconnus par la majorité, ils devaient s'adjoindre à eux pour présenter à la Convention nationale une pétition tendante à obtenir un décret qui autorisât les municipalités de la République à fixer le prix des comestibles et combustilles.

Déjà, le département et la Commune avaient pris des mesures pour le remboursement des billets de la maison de secours. Le 16, elle avait consacré 200,000 liv. à cette opération; c'étaient 200,000 liv. distribuées aux pauvres; car ces billets, destinés à faciliter l'échange pour les petites sommes, étaient restés entre leurs mains.

Il y avait d'ailleurs en ce moment quelques mouvemens à la Halle ; ils étaient, il est vrai, produits seulement par des querelles entre les marchands de farine et les boulangers. Ceux-ci voulaient être autorisés à acheter directement le blé chez les fermiers.

Soit ces mouvemens, soit les démarches des commissaire des sections et de la Commune, soit les petits rassemblemens que causèrent les paiemens des billets de la caisse de secours (car il faut savoir qu'avec 200,000 francs on pouvait en rembourser quelques centaines de mille), soit toutes ces choses réunies, soit quelque vue secrète, déterminèrent Roland à écrire à la Convention, la lettre suivante qui fut lue à la séance du 28.

Seconde lettre du ministre de l'intérieur. - Paris, le 27 novembre.

Je viens répéter à la Convention de tristes vérités. Je le dois à sa sûreté, au salut public. La circulation des grains a éprouvé depuis long-temps les plus grands obstacles. Il n'est presque plus aucun citoyen qui puisse ou qui ose aujourd'hui se livrer à ce commerce. S'il fait transporter des grains, on l'accuse d'accaparer. Des attroupemens se forment dans plusieurs départemens, se portent aux marchés, taxent les grains, les enlèvent même sans les payer.

La ville de Chartres vient de repousser trois mille hommes armés, qui s'étaient présentés à ses portes pour y taxer les grains. Au Mans, les lois et les autorités constituées ont été menacées et avilies avec une audace et une violence qui ne connaissent plus de frein. Les administrations ont signé, sous le couteau, un ar< rêté qui porte que la taxe sera éternellement, pour le pain mollet, à 2 s. 3 den. la livre, et pour le froment, à 43 sous le boisseau. J'ai reçu avis qu'un semblable attroupement s'était porté à la Ferté-Bernard, à Boitert, à Saint-Calais et autres lieux, et qu'il devait revenir le 24. A Lyon, des agitateurs ont excité les mêmes désordres, et on ne peut plus douter qu'il n'existe un foyer des troubles d'où l'on cherche à les propager dans toute la République. Ce foyer, citoyen président, existe à Paris. (Plusieurs voix. Au Temple!)

C'est de Paris que sont sortis ces envoyés qui sont allés à Marseille, à Perpignan, et dans beaucoup d'autres villes, pour y porter l'anarchie et la guerre civile. Les bruits les plus faux, les plus désastreux ont été répandus par eux. Ils sont repoussés par les villes patriotes; mais ils font des progrès effrayans dans celles où l'aristocratie et la haine de la liberté s'étaient le plus fortement prononcées. S'il était nécessaire de prouver la correspondance et la réunion de ces agitateurs avec l'aristocratie et les ennemis les plus acharnés de la révolution, ce seul fait dispenserait de toute autre démonstration. Dans les villes où le patriotisme a eu les plus sincères et les plus nombreux adorateurs, les factieux

[ocr errors]
« PreviousContinue »