Page images
PDF
EPUB

Nous n'avons cessé de travailler en présence des membres du comité de surveillance et de la municipalité de Paris: ainsi le portait votre décret. Les papiers étaient déposés dans un appartement distinct de celui où nous nous réunissions; ils nous étaient apportés par les membres du comité de surveillance de la Commune; ils étaient, après leur examen, reportés par les mêmes personnes dans le lieu dont nous nous étions interdit l'entrée ; et deux fois par jour, à la fin de chaque séance, trois scellés étaient apposés sur la porte de cet appartement, toujours gardé par des gendarmes : le dépôt qui a été remis en nos mains n'a donc pas pu s'altérer, nous sommes obligés de le dire, puisque la calomnie s'est déjà efforcée pour nous atteindre.

Qu'ils sont heureux ceux-là qui n'ont été chargés de vous offrir que des tableaux intéressans, des vues sages, ou le récit d'actions généreuses!

Pour moi, je n'ai à vous entretenir que des projets sinistres, je ne puis émouvoir vos cœurs que par des pénibles affections; et je manquerais mon but si je ne vous faisais point partager les sensations douloureuses que j'ai éprouvées en préparant le travail que je viens vous soumettre.

Encore est-il très-imparfait, encore en suis-je réduit à regretter qu'il ne vous offre point toute la noirceur des vues de l'ennemi commun: mais, s'il est facile de soupçonner davantage, il est peut-être impossible de recueillir plus de preuves, quand on ne les doit qu'au hasard.

On se surveille de toutes parts; partout on cherche à s'environner des ombres les plus épaisses. Ici, l'on n'écrit qu'en caractères symboliques; ailieurs on fuit des projets commencés la veille, et dont le début est resté sans traces, soit qu'ils n'aient été discutés que dans les conversations secrètes, soit que les lettres qui pouvaient les prendre de leur origine n'aient pu être recueillies.

A chaque pas nous avons vu éclore de nouveaux plans, et presque aussitôt le fil des conspirations a été interrompu, sans qu'il nous ait été possible d'en retrouver la trace.

Cet homme auquel, dars le besoin d'aimer et de pardonner, on supposait le caractère d'une extrême simplicité, cet homme fallacieux était le premier, nous en sommes certains, à parler de mystère; et ses vils courtisans n'ont que le mérite d'avoir enchéri les uns sur les autres, l'honneur de l'invention lui appartient tout entier : ainsi l'art de tromper est naturel aux rois.

Mais vous n'auriez qu'une idée imparfaite des moyens dont on a fait usage pour se rendre impénétrable, si je me bornais à vous parler d'une manière aussi générale. Une lettre de Laporte à Septeuil, en date du 7 février, est ainsi conçue :

Copie de la lellre de Laporte à Septeuil.

Il y a quelque temps, monsieur, que l'on a réclamé la bienfaisance du roi pour trois personnages intéressans. Sa majesté m'en parla, et me témoigna le désir de venir à leur secours. Je lui fis une feuille que je lui laissai.

› Comme il y a après-demain une occasion pour Vienne, j'ai redonné ce matin une feuille au roi, en lui observant qu'il importait qu'il n'y eût pas de vestiges, dans les papiers de la liste civile, de ce qu'il ferait à cet égard.

› Ce que le roi voudra donner à madame de Polignac sera payé à M. Brouquens.

Pour M. de la V...., à son homme d'affaires, à Paris.

Pour M. de Choiseul, à un abbé Rasel, qui a sa procuration. >

Un des plus perfides (Portefeuil. Septeuil, liasse C, numéro 7, quatrième pièce) ministres, si j'en juge par sa correspondance, Bertrand, reçoit d'une femme aussi scélérate que lui la lettre sui

vante :

Ce samedi, trois heures, 24 avril.

Savoir l'emploi ou la destination des sommes projetées.

› Si cela convient, on réalisera les sommes nécessaires; la personne peut fournir plusieurs millions dans trois jours.

› Voilà ce que l'amie de M. Bertrand lui propose.

› A sottes demandes point de réponse par écrit; aussi, ne

T. XX.

16

voulant pas de mon ami certificat d'imbécillité, je le prie de me marquer son heure pour ce soir ou demain matin : c'est entendu. En trois minutes on résout plus d'affaires majeures que par volume: c'est encore entendu. LA P. DE R. R. ›

Voilà des exemples pris au hasard, et j'affirme que nous avons rencontré mille pièces autant inintelligibles que cette dernière; je dois cependant ajouter qu'aucune de mes recherches ne m'a fourni la copie fidèle de la ruse audacieuse dont cette femme donne des témoignages répétés dans toute sa correspondance.

Un portefeuille pris chez le notaire Septeuil, trésorier de la liste civile, est le recueil où nous avons puisé le plus de renseignemens; nous en avons fait plusieurs liasses cotées A, B, C et D, et sous-divivisé chacune en d'autres liasses distinguées par leurs numéros.

Nous citerons d'abord une lettre de Bouillé, contenue dans la liasse cotée B, no premier; elle est datée de Mayence, le 15 décembre 1791. (Première pièce, cotée B, no premier, lettre de Bouillé.)

Sans doute à cette époque le perfide roi se gardait bien de dire qu'il correspondait avec Bouillé, et néanmoins la lettre ne semble pas avoir été adressée à un autre qu'à lui; d'ailleurs, le dépôt dans lequel on l'a trouvée le prouve suffisamment.

On y voit le compte des sommes données à Bouillé par Louis Capet pour la formation du camp de Montmédy. Elle est extrêmement intéressante, parce qu'elle contient les noms des principaux agens de la conspiration d'alors, et qu'on voit par la suite quelques-uns de ces mêmes agens figurer encore aux Tuileries en 1792, et y recevoir, comme à l'époque de la fuite à Varennes, des sommes d'argent considérables, destinées apparemment à des projets semblables.

La commission m'a prescrit de vous donner lecture de cette lettre.

[merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small]

EMPLOI.

Remis à Monsieur, frère du roi, par son ordre, lat valeur en argent ou en lettres de change, dont j'ai les reçus.

[ocr errors]

Au comte Hamilton, colonel de Nassau. Ces fonds sont restés dans la caisse du régiment, et ont été saisis.

670,000
100,000

Au duc de Choiseul, 97,000 liv., sur lesquelles il.. en a remis au comte Hamilton 25, dont je rendrai compte.

A M. de Maudel, lieutenant-colonel du régiment de Royal-Allemand.

[ocr errors]

75,000

.

40,000

A M. le comte de Bosel, colonel de Chamborand. 26,000 A M. de la Salle, commissaire à Metz.

[merged small][ocr errors][merged small]

6,000

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

EMPLOI.

le

Pour avances faites directement à des Juifs

pour des

provisions en pailles et viandes, et autres objets pour
camp de Montmédy, environ.
On ne peut en avoir de reçu.

[ocr errors]

Donné à MM. Heymann de Klaingler et Dospelite, officiers-généraux, à leur sortie de France avec moi, pour subvenir á leurs dépenses, ayant tout perdu, à chacun 5,400 liv..

12,000 I.

16,200

J'en ai des reçus.

A M. Heymann, pour son voyage en Prusse, où

[ocr errors][merged small][merged small][merged small]

Au régiment Royal-Allemand, quand je l'ai fait mon

A reporter.

31,600:

Report.

31,600

ter à cheval pour aller au secours du roi, 350 louis.

Au commandant du détachement des hussards de deux, 100 louis. .

A M. de Coquelas, autant que je peux me rappeler, A divers officiers particuliers qui sont sortis du royaume avec moi, lors de l'arrestation du roi, environ. Perdu sur un de mes gens, qui a été pris, deux rouleaux de 50 louis.

[merged small][ocr errors]

8,400

2,400 1

3,600

6,000

2,400

54,400

Il m'est resté entre les mains 8 à 10,000 liv. que j'ai employées pour mes dépenses, n'ayant pu tirer aucune ressource de France, où tous mes effets ont été saisis et mes revenus arrêtés, mais que je suis dans ce moment en état de remettre au roi, quand il me l'ordonnera, ainsi que 6,000 liv, laissées à Metz à M. de la Salles qu'il a employées pour moi. Signé, BOUILLÉ.

Mayence, ce 15 décembre 1791.

Ainsi, Louis Capet, tu ne peux plus te défendre d'avoir participé aux complots dont l'infàme Bouillé a développé toute la noirceur dans ses insolens manifestes.

Ainsi tu ne diras plus que tu n'as point eu de part à la fuite de ton frère.

Ainsi, tu ne pourras plus disconvenir de tes intelligences avec la cour de Berlin, et de tes efforts pour y préparer la déclaration de guerre contre la France.

Faut-il plus d'un témoin pour convaincre le coupable? Je vous en produis deux autres : ce sont les nommés Choiseul-Stainville et Charles Damas, dont les écrits signés de leurs mains font partie de la même liasse.

La lettre de Choiseul-Stainville est ainsi conçue: (Deuxième pièce, liasse B, n, 1.)

« PreviousContinue »