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ployer tous leurs efforts, pour accélérer le moment d'en être dépouillés !

P.-S. Avant de finir cette lettre, j'aurais désiré connaître et examiner à fond le discours prononcé par le ministre de la justice sur les événemens du 2 septembre; discours que je n'ai point entendu, que je n'ai connu que par les papiers publics, qui n'est point encore public, et que je n'ai pu me procurer. L'opinion extraordinaire d'un ami éclairé de la vérité et de la liberté, me paraît mériter une discussion sérieuse. M. Garat a soutenu, si l'on ne m'a point trompé, que les événemens du 2 septembre tiennent à la révolution du 10 août. Il a soutenu que, dans toute constitution, la ville où résidaient les corps constitués, avait la représentation et l'initiative des insurrections contre les autorités tyranniques.

Je me réserve d'approfondir cette étrange doctrine d'insurrection par représentation, d'insurrection organisée; doctrine qui séduit aisément, lorsqu'on jette les yeux sur le passé, mais dont l'application est fausse, et peut devenir bien dangereuse pour le nouvel ordre de choses. Il ne faut pas être très-habile pour trouver, dans une constitution même, des moyens paisibles et réguliers d'arrêter la tyrannie; et je ne vois rien de plus propre à prévenir tous les peuples contre la nôtre, que ce goût, ce besoin, cette nécessité supposée d'insurrection, qui ne devraient plus être défendus que par les aristocrates ou les anarchistes. Une révolution est une fièvre; et je ne vois pas la nécessité, pour se bien porter, de prendre des arrangemens pour avoir la fièvre.

Quant aux événemens du 2 septembre, je prouverai, si je suis appelé à reparler de cette affreuse journée, ce qui n'est pas improbable, je prouverai qu'ils n'ont aucune liaison avec la glorieuse révolution du 10 août; je prouverai qu'ils n'étaient point nécessaires pour l'affermir, qu'ils n'ont pu que la déshonorer, qu'ils l'auraient entièrement renversée, si le but qu'on se propo-· sait avait été rempli. Je prouverai que cette scène atroce n'est point l'effet du hasard, d'un sentiment spontané du peuple : qu'elle a été méditée et préparée dans le cabinet; que les rôles

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en ont été distribués; que des brevets de juge et de bourreau ont été, pour ainsi dire, expédiés ; que la procédure en a été combinée; que les salaires ont été fixés; que les mots d'ordre ont été prévus et donnés ; que les listes des prisonniers ont été examinées, épurées (dans le sein des barbares), remises, avec les signalemens, aux exécuteurs, afin qu'il n'y eût point d'erreur ; que dans les cas de doute qui se sont présentés, les juges en ont référé aux suprêmes ordonnateurs de la scène (1).

Je prouverai que le peuple de Paris n'a eu aucune part à cette atrocité, digne de cannibales; qu'il n'est pas vrai, comme le dit calomnieusement l'arrêté du 12 octobre, qui l'appelle une importante journée, qu'elle ait été l'ouvrage de trente mille citoyens qui s'étaient portés au Champ-de-Mars pour s'enrôler. Je prouverai, contre cet arrêté, que le massacre a commencé à deux ou trois heures; qu'à cette époque il n'y avait pas cent citoyens au Champ-de-Mars; que le massacre a précédé l'enrôlement; que tous les motifs allégués pour le justifier sont absurdes; qu'on a eu jusqu'à la précaution de commander dans les journaux des prétextes et des fables; que ces horreurs auraient pu facilement être réprimées; que le massacre a été commis au plus par une centaine de brigands inconnus, auxquels se sont mêlés quelques citoyens de Paris, actuellement en horreur à leurs concitoyens.

Je ne dirai plus qu'un mot qu'il se lève, qu'il paraisse aux yeux de la France, le scélérat qui peut dire : j'ai ordonné ces massacres, j'en ai exécuté vingt, trente de ma main; qu'il se lève, et si la terre ne s'entrouvrait pas pour ensevelir ce monstre; si la France le récompensait, au lieu de l'écraser, il faudrait fuir au bout de l'univers, et conjurer le Ciel d'anéantir jusqu'au souvenir de notre révolution (2).

(1) Le fait suivant m'a été attesté. Un de ces juges-bourreaux est embarrassé à l'Abbaye pour l'exécution d'un prisonnier dont le signalement ne cadrait pas avec la figure et le nom donnés ; il fait mettre de côté le malheureux, envoie consulter le comité de surveillance; et l'arrêt fatal s'expédie. C'est bien lui; élargissez. Ou sait qu'élargir était le mot du guet pour le massacre. (Note de Brissot.) (2) Cette morale sera peut-être taxée de faiblesse par ceux qui aiment le sang ;

Je me trompe... Il faut se transporter à Marseille.-Marseille a effacé l'horreur du 2 septembre. - Cinquante-trois individus arrêtés par le peuple, comme conspirateurs, ont été jogés par un tribunal populaire. Ils ont été absous; et non-seulement le peuple de Marseille ne s'est point révolté contre le jugement du tribunal, n'a pas assassiné ces prisonniers, mais il a, luimême, exécuté la sentence, ouvert les prisons, embrassé les malheureux qui y gémissaient, et les a reconduits triomphans dans leurs maisons. - Et c'est le 2 septembre que les Marseillais ont donné ce grand exemple de respect pour la loi ! Voilà des vrais républicains? - C'est par de pareils traits qu'on attire les peuples au républicanisme, qu'on renverse les trônes; tandis qu'ils les affermissent, les scélérats qui veulent nous promener d'atrocités en atrocités, et qui comptent secrètement sur la résurrection de la royauté, comme sur le dernier appui de leurs crimes.

POST-SCRIPTUM.

Les calomniateurs garderont-ils maintenant le silence? cesseront-ils de feindre de croire, et de vouloir faire croire à une faction de la Gironde ou Brissot? La motion honorable de Gensonné, décrétée ce soir, voilà la meilleure réponse à ces calomniateurs. J'avais donc raison de dire (voyez pag. 154), et ce n'était point une phrase vague et insignifiante, « que l'obscurité, le repos, après l'achèvement de la constitution, était le vou le plus ardent de ces ambitieux, qu'on accusait de vouloir perpétuer le pouvoir dans leurs mains, et qu'ils allaient déployer tous leurs efforts, pour accélérer le moment de s'en dépouiller.

Il reste toujours aux gens de bien leurs moyens naturels pour

je ne connais que deux manières de verser le sang, ou, comme le 10 août, en attaquant son ennemi armé, ou le glaive de la justice à la main. Cette morale n'est pas celle des anarchistes.

Je le sais, dit naïvement un jour Robespierre à un député de la Gironde qui lui reprochait d'avoir commandé les assassinats, je le sais, ni vous ni vos amis n'auriez pas fait assassiner un aristocrate. Ce trait peint l'esprit de la bande.

(Note de Brissot.)

être utiles au peuple. Quant à ces hommes qui, pour parvenír,

semblent avoir pris pour devise ce vers de Juvénal :

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ce décret leur assure le néant; car il va assurer l'ordre par un gouvernement énergique.

LA VÉRITÉ

SUR LES ÉVÉNEMENS DU 2 SEPTEMBRE;

PAR J.-L. TALLIEN,

Ci-devant secrétaire-greffier de la Commune de Paris.

D'après ce que je vois, d'après ce que j'entends journellement dans la Convention nationale, je crois qu'il est important de dire un mot sur les événemens du 2 septembre, qui ont servi de base à toutes les calomnies répandues contre la ville de Paris, et sur lesquels paraissent fondées les préventions d'un grand nombre de députés des départemens.

On á souvent répété avec affectation, et l'on a voulu persuader que ces événemens étaient le résultat des combinaisons d'une faction que l'on a depuis désignée sous le nom de parti désorga

nisateur.

Pour détruire ces absurdes déclamations je vais retracer en peu de mots les causes qui ont produit ces événemens.

C'est à moi peut-être qu'il appartient plus particulièrement de remplir cette tâche, moi qui les ai vus de près, moi qui n'y ai pris part que pour sauver la vie à plusieurs individus contre lesquels il y avait sans doute de trop justes soupçons d'incivisme, mais qui cèpendant ne devaient pas périr sans avoir été entendus et jugés légalement. Oui, les douloureux souvenirs que rappelle souvent à ma mémoire cette journée désastreuse sont effacés par le bonheur que j'ai eu de rendre à leurs familles éplorées des pères, des époux, des enfans, et surtout une femme intéressante par le fruit de l'amour qu'elle portait dans son sein, et que j'ai dérobée à la vengeance du peuple! Je garde entre mes mains les témoignages précieux de reconnaissance que j'ai reçus de ces

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