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contre la Convention elle-même, je ne puis plus douter que des partisans de l'ancien régime ou de faux amis du peuple, cachant leur extravagance ou leur scélératesse sous un masque de patriotisme, n'aient conçu le plan d'un renversement dans lequel ils espèrent s'élever sur des ruines et des cadavres, goûter sang, l'or et l'atrocité!

le

Département sage, mais peu puissant; Commune active et despote; peuple excellent, mais dont une partie saine est intimidée ou contrainte, tandis que l'autre est travaillée par les flatteurs et enflammée par la calomnie; confusion des pouvoirs, abus et mépris des autorités, force publique faible ou nulle par un mauvais commandement: voilà Paris!

Je sens qu'en offrant un pareil tableau j'élève des murmures et me couvre de défaveur : je déplais aux faibles, qui craignent une lumière dont ils se sentent incommodés; aux pervers, qui s'irritent de celle qui les fait connaitre ; aux ignorans, toujours prêts à se fächer de la preuve de ce qu'ils n'avaient pu soupçonner : les bons eux-mêmes s'inquiètent un moment ; ils voudraient douter du mal qui les afflige, et qu'ils n'ont pas su prévoir ! Mais entre la vérité, qui blesse et qui sert; la flatterie, qui tue, ou le silence, qui trahit, je n'hésiterai jamais un instant, ma vie même y fût-elle intéressée! En vous énonçant les faits, j'ai indiqué les causes; ils se tiennent immédiatement: suites nécessaires d'un grand mouvement et d'une terrible révolution qui a entraîné la desorganisation, et où se sont développées de nobles affections et des passions atroces; succession rapide de grands périls et de sentimens opposés; faiblesse du corps législatif qui vous a précédés; délai peut-être trop prolongé de la part de la Convention à prendre des mesures vigoureuses : voilà les causes principales et les plus saillantes. Les effets se perpétueraient par l'impunité des provocations au meurtre, par la défiance qu'inspirent les dispensateurs des deniers publics, et l'exemple dangereux qu'ils donnent lorsqu'ils négligent d'en rendre le compte le plus rigoureux; par les délibérations illégales, supposées du peuple, tandis qu'elles sont l'ouvrage de quelques hommes turbulens, et qu'une

indiscrète tolérance laisserait subsister; par l'indifférence avec laquelle on admet dans la garde nationale des personnes inconnues et non domiciliées; par le retard de l'instruction publique et des institutions qui doivent la favoriser.

L'exposé des maux et de leurs causes présente naturellement la connaissance des moyens de les détruire; je dois en laisser la discussion à votre sagesse : ils sont dans vos mains. Représentans de la nation, chargés de vouloir provisoirement pour elle, vous sauverez la République, et vous lui donnerez une sage Constitu tion, en méprisant tout danger, repoussant toute influence, réprimant les factieux, et donnant force à la loi!

Ferme à mon poste, fidèle à remplir mes devoirs, je serai toujours prêt à rendre compte des affaires commises à mes soins; mais j'observerai que leur multiplicité, leur importante, jointes aux difficultés résultant de l'état de contraction où nous sommes encore, mériteraient peut-être qu'on se livrât moins aisément à la légèreté des inculpations! J'ai été accusé dans cette assemblée, il y a trois jours, de mettre de la négligence dans l'envoi des décrets; c'était d'un législateur moins que de tout autre que j'aurais dû attendre cette accusation, car il eût pu savoir que tous les matins j'envoie à la Convention, comme je faisais à la législature, le bulletin des décrets que j'ai expédiés la veille, de manière que je suis à jour et de l'expédition et du compte de l'expédition.

Je joins à mon rapport quelques pièces qui viennent à l'appui des faits qu'il contient. Parmi ces pièces, se trouve la copie certifiée d'une lettre adressée au ministère de la justice (1), et qui

(4) Cette lettre ayant été portée au conseil par le ministre de la justice, il y fut délibéré qu'elle me serait remise pour être communiquée à la Convention dans le compte que j'étais chargé de lui rendre.

Les raisonnemens qu'on a faits contre la communication que j'ai donnée de cette lettre tombent donc parfaitement à faux. (Note de Roland. )

Voici cette pièce :

Lettre adressée au ministre de la justice.

« J'étais hier matin chez le quidam féroce dont nous avons parlé plusieurs fois; il est venu un particulier de la section de Marseille, et, qui plus est, membre du club des Cordeliers Ce misérable fit une longue apologie de la jour

indique le dessein de renouveler quelques massacres, dans lesquels on me ferait l'honneur de me comprendre avec plusieurs membres de la Convention : quelque peu civique que soit ce projet, je crois qu il mérite moins d'attention que l'état général de la capitale, auquel d'ailleurs il pourrait tenir, et dont la continuité aurait une tout autre influence, car les individus ne sont rien devant l'espèce. Nous passerons vite, nous pouvons périr; mais il faut que les lois demeurent, parce que ce sont elles qui assurent le bonheur des générations; il faut donc aussi les faire bonnes, et, pour cela, que la ville où vous les discuterez soit maintenue dans l'ordre et dans la paix !

née du 2 septembre, et il ajouta que cette affaire n'était pas complète, qu'il fallait encore une nouvelle saignée, mais plus copieuse que la première : — Nous avons, disait-il, la cabale Rolland et Brissot dont il faut nous défaire. On s'en occupe, et j'espère, poursuivait-il, que sous quinze jours au plus tard cela sera fait. Faites, je vous en conjure, le profit de la société de l'avis que je vous donne.

» Je n'ai pas voulu demander le nom de ce particulier, parce que j'ai craint que l'on ne soupçonnat l'usage que j'en voulais faire; cependant si vous êtes jaloux de le savoir, je pourrai vous le dire sous deux jours au plus tard. Il est -temps et grand temps d'arrêter la fureur des assassins! Je gémis à mou particulier de voir les horreurs qu'on nous prépare. Buzot leur déplaît beaucoup; Vergniaud, Guadet, Lasource, etc., voilà ceux que l'on nomme pour être de la cabale Roland. Ils ne veulent entendre parler que de Robespierre.

>> Je ne signe pas, et vous savez bien que ce n'est pas la confiance qui me manque, mais je crains de vous compromettre.

» Je ne connais guère qu'un moyen de tempérer l'ardeur des assassins; ce serait de solliciter la loi déjà proposée contre les provocations au meurtre, et, sitôt qu'elle serait promulguée, de mettre à leurs trousses des gens sûrs qui les dénonçassent. Si l'on en punissait un seul, il n'y aurait plus de prédicateurs de l'assassinat, et l'ordre régnerait incessamment.

» L'accusateur public est grand ami du quidam chez lequel j'étais ; il lui a fait tenir une lettre au tribunal, mais j'ignore ce qu'elle contient.

» Nota. L'homme dont on ne savait pas le nom, c'est un nommé Fournier, Américain, demeurant rue Neuve-du-Luxembourg, chez un apothicaire.

» Je soussigné certifie que la présente lettre m'a été adressée par le citoyen Marcandier, qui connaît mon amour pour la patrie. En foi de quoi ai signé le présent, aujourd'hui vingt-six octobre mil sept cent quatre-vingt-douze, l'an premier de la République.

» Signé DURAIL, vice-président de la seconde section du tribunal criminel de Paris, rue de Vaugirard. Pour copie conforme, ROLLAND.

LES RÉPUBLICAINS DE FRANCE,

SUR LA SOCIÉTÉ DES JACOBINS DE PARIS,

Par J.-P. BRISSOT, député à la Convention nationale.

Qui sunt hi qui rempublicam occupare cupiunt? Homines sceleratissimi, cruentis manibus, immani avaritid, nocentissimi; quibus fides, decus, sunt...... Quos

pietas, postremò honesta atque inhonesta, omnia que num cogit. Sed

omnes eadem cupere, eadem odisse, eadem metuere in

hæc inter bonos amicitia, inter malos factio est. Quòd si vos tam libertatis curam habetis, quàm illi ad dominationem accensi sunt, profectò deinceps respublica non vastabitur.....

Memmius in SALLUST.

Quels sont ceux qui veulent asservir la République? N'est-ce pas ces scélérats impies, aux mains teintes de sang et au cœur rempli d'avarice, pour qui tout est trafic, et la foi, et l'honneur, et l'humanité, et le juste et l'injuste? Ils n'ont qu'un même désir, qu'une même haine, qu'une même terreur, la terreur qui suit les scélérats: voilà ce qui les unit. Ils ne sont pas amis; les factieux ne connaissent pas l'amitié. Ils sont en bande. Si vous mettez à défendre votre liberté l'ardeur qu'ils mettent pour s'emparer des pouvoirs, la République cessera d'ètre en proie à leurs fureurs.

Paris, ce 24 octobre 1792.

.

L'intrigue m'a fait rayer de la liste des Jacobins de Paris. Je viens démasquer, aux yeux de tous les républicains de France,' les anarchistes qui dirigent et déshonorent la société de Paris. Je dirai ce qu'ils sont, ce qu'ils méditent, ce qu'est devenue cette fameuse société, et ce qu'elle doit être dans le nouvel ordre des choses. Il faut enfin désabuser nos frères des départemens... Elle tombera, elle doit tomber, cette superstition pour la sociétěmère, dont quelques scélérats veulent abuser pour bouleverser la France.

J'aurais gardé le silence, si ma radiation n'était pas enlacée

à un système général de persécution, qui doit préparer le triomphe des désorganisateurs.

Trois révolutions étaient nécessaires pour sauver la France; la première a renversé le despotisme; la seconde anéantit la royauté; la troisième doit abattre l'anarchie; et c'est à cette dernière révolution que, depuis le 11 août, j'ai consacré ma plume et tous mes efforts: voilà mon crime aux yeux des agitateurs.... Je crois à l'existence de leur système désorganisateur, je l'ai imprimé dans le Patriote Français: donc je suis un calomniateur, donc je suis coupable.

C'est en vertu de ce puissant argument que j'ai été cité à la société et condamné par elle.

Mais depuis quand une opinion est-elle donc un crime? traitez-la d'erreur, je le veux; depuis quand une société, qui s'intitule de la liberté et de l'égalité, peut-elle censurer ou violenter les opinions? Depuis quand les journaux sont-ils ou doivent-ils être assujétis à la censure d'une société ennemie de la censure? Que lui importe que je croie à un parti désorganisateur dans le sein de la Convention? Qui l'a chargé de faire la police de la Convention et des journaux ?... Il faut, ou déchirer la déclaration des droits, ou reconnaître que la société l'a violée dans cet acte inquisitorial.

Je ne m'abaisserai pas à relever tous les vices d'une pareille condamnation, ni tous les mensonges de la plate circulaire prêtée aux Jacobins, circulaire qui prouve que leurs chefs rédacteurs ont autant besoin de leçons de grammaire, que de leçons de logique et de probité. Je vais droit au fonds de l'accusation; ou plutôt d'accusé, je vais devenir moi-même accusateur. Je dis donc et je répète, qu'il existe un parti désorganisateur, peu nombreux et méprisable à la vérité, mais dans la crise où nous sommes, il importait de marquer même les moindres écueils.

Voulez-vous connaître ces désorganisateurs? Voici leurs traits. Les désorganisateurs sont ceux qui, après la destruction du despotisme, renversent ou cherchent à renverser les autorités constituées par le peuple, foulent aux pieds les lois, investissent

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