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terre avec son armée, et gagne la bataille de St.-Albans. La seconde Partie de Henri VI embrasse l'espace de dix ans : elle commence au mariage de la reine, en 1445, et se termine à la bataille de St.-Albans, gagnée par la faction d'York ou de la Rose blanche, en 1455.

Cette tragédie retrace les querelles des nobles pendant la minorité de Henri et la mort de Glocester, duc d'Humphrey. Le caractère du cardinal Beaufort est un des chefs-d'œuvre de l'auteur; le récit de sa mort est d'une effrayante vérité :

<< Faites mon procès quand vous voudrez; n'est-il pas mort » dans son lit? où devait-il mourir ? Puis-je faire vivre les hom>> mes, bon gré mal gré? Oh! ne me torturez pas davantage, je >> confesserai..... Quoi encore en vie? Montrez-moi donc où >> il est, je donnerai mille livres pour le voir..... Il n'a point » d'yeux, la poussière les a éteints. Rabaissez donc ses che>> veux; voyez, ils sont hérissés et droits comme des rameaux >> englués, dressés pour arrêter les ailes de mon âme! Donnez>> moi quelque chose à boire, et dites à l'apothicaire d'apporter » le violent poison que je lui ai acheté. »

On admire aussi le discours de Glocester aux nobles sur la perte des provinces françaises, occasionnée par le mariage du roi avec Marguerite d'Anjou. Les prétentions et l'ambition croissante du duc d'York, père de Richard III, sont encore très-habilement développées. Parmi les épisodes, la tragi-comédie de Jack Cade et la découverte des impostures de Simcox sont fort amusantes.

Scènes dans lesquelles est peint le caractère de Cade, homme obscur, suscité par le duc d'York pour soulever l'Angleterre, et qui a déjà révolutionné le comté de Kent.

Smith.

«Voici le clerc de Chatham; il sait écrire, lire et dresser un compte.

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Quelle horreur!

Nous l'avons pris traçant des exemples pour les

C'est un scélérat.

Il a dans sa poche un livre écrit en lettres rouges.
Oh! c'est alors un sorcier.

Il fait aussi des contrats, et écrit par abréviation.

Cade. J'en suis fâché pour lui; c'est un homme qui a bonne façon, sur mon honneur, et si je ne le trouve pas coupable, il ne mourra pas... Approche ici, coquin; il faut que je t'examine. Comment te nommes-tu?

Le Clerc.-Emmanuel.

Dick. - C'est le nom que tous ces aristocrates ont coutume d'écrire en tête de leurs lettres. Votre affaire va mal.

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Cade.. Laisse-moi l'interroger seul. As-tu l'habitude d'écrire ton nom? Ou as-tu une marque pour désigner ta signature, comme il convient à un honnête homme qui y va tout uniment?

Le Clerc.

Monsieur, j'ai été, dieu merci, assez bien élevé

pour savoir écrire mon nom.

Tous, traître.

Cade.

Il a avoué. Emmenez-le; c'est un scélérat et un

Emmenez-le; j'ordonne qu'on le pende avec sa plume et son cornet au cou. »

Lorsque Cade est entré dans Londres :

-

<< Allez brûler tous les registres du royaume, dit-il; ma >> bouche sera le parlement d'Angleterre; et désormais tout

» sera en commun..... »

On lui amène lord Say.

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Cade. Te voilà dans le domaine de notre juridiction souveraine. Apprends que je suis le balai destiné à nettoyer la cour d'immondices telles que toi. Tu as traîtreusement corrompu la jeunesse du royaume en érigeant une école de grammaire; et, tandis que jusqu'à présent nos ancêtres n'avaient eu d'autres livres que la mesure et la taille, c'est toi qui es cause qu'on s'est servi de l'imprimerie. Contre les intérêts du roi, de sa couronne et de sa dignité, tu as bâti un moulin à papier. Il te sera prouvé en face que tu as autour de toi des hommes qui parlent habituellement de noms, de verbes et autres mots abominables que ne peut supporter une oreille chrétienne. Tu as établi des juges de paix pour citer devant eux les pauvres gens pour des choses dont ils ne sont pas en état de répondre. De plus, tu les as fait mettre en prison, et parce qu'ils ne savaient pas lire, tu les as fait pendre.

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Lord Say.

fait trembler.

Non; c'est la paralysie et non la peur qui me

(Ceci nous rappelle la réponse de Bailly, maire de Paris, au pied de l'échafaud : <«< Tu trembles, Bailly; tu as peur ? Mon ami, c'est de froid, et non de peur ! »)

Cade.

--

Voyez, il remue la tête comme s'il nous disait : Je vous le revaudrai. Je veux voir si elle sera plus ferme sur un pieu. »

Lord Say se défend avec chaleur et courage, et Cade dit alors:

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« Je sens que ses paroles me touchent le cœur : mais j'y » mettrai ordre. Il mourra, ne fut-ce que pour avoir si bien » plaidé pour sa vie. Emmenez-le. >>

En lisant cette scène et quelques autres de ce drame, on serait tenté de répéter avec madame de Staël : « Quel est celui qui a vécu dans les temps de révolutions, et qui n'ait pas senti la vérité de ces paroles! >>

HENRI VI.

IILE PARTIE. - TRAGÉDIE.

La troisième Partie est remarquable par le grand nombre de batailles, d'assassinats et d'événements. Le duc d'York dispute la couronne de Henri VI, qui consent que l'héritage passe à son rival et à sa famille, pour avoir le privilége de régner pendant sa vie. Marguerite d'Anjou, engagée dans une lutte terrible pour le trône de son mari, accable de reproches le faible Henri qui a lâchement cédé les droits de son fils. Marguerite triomphe du parti d'York, et fait le duc prisonnier à la suite d'une autre bataille gagnée par le fils d'York,

depuis Édouard IV, Henri est renfermé dans la Tour de Londres. Ici commence l'amour d'Édouard IV pour Élisabeth Woodville, veuve de lord Grey. Pendant ces entrefaites, Warwick, envoyé en ambassade auprès de Louis XI, demande pour Édouard la main de la princesse Bonne, la belle-sœur du monarque français. Ce dernier, piqué du mariage d'Édouard et de la belle veuve, accorde des secours à Marguerite. Warwick, surnommé le Faiseur de rois, indigné de la conduite d'Édouard, se joint au parti de Marguerite, et donne sa fille en mariage au jeune prince, fils de Henri VI. Warwick détrône Édouard, et l'enferme dans un château du comté d'York. L'hypocrite et ambitieux duc de Glocester, depuis Richard III, aspire lui-même à la couronne. Mais, pour y parvenir, il lui faut anéantir les ennemis de sa famille, afin de la détruire ensuite elle-même. Richard ramène Édouard vainqueur à Londres. Henri VI, qui tombe de nouveau entre les mains de son rival, est jeté en prison. Après la défaite de Warwick par Édouard IV, Marguerite livre la bataille de Tewkesbury, qu'elle perd. Le hideux Richard poignarde Henri VI dans la Tour de Londres, et, par cet assassinat, fait triompher la Rose blanche de la Rose rouge. L'action de cette pièce comprend l'espace de seize ans: elle commence par le récit des événements qui suivirent immédiatement la désastreuse bataille de St.-Albans, en 1455, et se termine au meurtre de Henri VI, et à la naissance du prince Édouard (depuis Édouard V), en 1471.

Cette troisième Partie décrit aussi l'abdication de Henri; sa mort a lieu dans le dernier acte, par lequel la tragédie de Richard III commence ordinairement. Malone a écrit un Essai pour prouver que ces trois pièces ne devaient pas être attribuées à Shakspeare, mais qu'elles avaient été tirées de deux vieilles pièces intitulées : Querelles d'York et de Lancastre, en deux parties, 1590. Ce n'est pas sans quelque apparence de raison que l'on a contesté à Shakspeare d'en être l'auteur. Elles offrent en effet moins de poésie, moins de pathétique, plus de verbosité et d'enflure de style, que les autres ouvrages du même auteur. On ne peut nier, il est vrai, que, pendant les guerres désastreuses des maisons d'York et de Lancastre, l'Angleterre n'ait présenté une arène meurtrière de vengeances; cependant ce spectacle continuel de trahisons, de meurtres et de violences, accable et fatigue le spectateur.

Néanmoins il y a, dans la deuxième et la troisième Partie de Henri VI, des passages magnifiques, où l'on reconnait la touche de Shakspeare.

Quand on compare Marguerite d'Anjou avec les autres femmes de cet auteur, on est frappé du défaut de ressemblance de famille; c'est là un des principaux arguments produits contre l'authenticité de ces pièces. En effet, Shakspeare, qui savait si bien en quoi consiste la véritable grandeur d'âme, ne nous aurait jamais offert une héroïne dépourvue des qualités propres à exciter l'admiration. Marguerite, cette reine au cœur élevé, lutte, sans se laisser abattre par les plus étranges vicissitudes de la fortune, oppose une constance inébranlable à des revers et à des désastres capables de briser les esprits les plus mâles. Shakspeare n'aurait jamais peint une telle femme, sans exciter notre intérêt pour elle. En présence de l'histoire, il ne nous aurait pas offert, au lieu de la reine magnanime, une amazone, une aventurière; il n'aurait pas cherché à exciter dans le cœur du spectateur un sentiment exclusif de haine et de dégoût; en un mot, il aurait donné une âme à cette femme.

Le vieux chroniqueur Hall nous dit que la reine Marguerite l'emportait sur toutes les autres femmes en beauté et en grâce, autant qu'en esprit et en adresse, et que, par le courage et la fierté, elle ressemblait à un homme. Il ajoute qu'après le mariage de Henri et de Marguerite, les amis du roi l'abandonnèrent; les lords du royaume se divisèrent entre eux; les communes se révoltèrent contre leur prince naturel; les campagnes se changèrent en champ de bataille; plusieurs milliers d'hommes furent tués; enfin le roi fut déposé, et son fils mis à mort; la reine s'en retourna chez elle pauvre, et dans un état misérable qui faisait un contraste frappant avec la pompe et la magnificence déployées lors de son arrivée en Angle

terre.

Marguerite est représentée avec toutes les graces extérieures de son sexe; courageuse, adroite, capable de tout oser, de tout entreprendre et de tout supporter, mais perfide, orgueilleuse, dissimulée, vindicative et cruelle. Les entreprises sanglantes dans lesquelles elle s'engagea pour s'emparer du pouvoir, et la société d'hommes pervers qui l'entourèrent, semblent ne lui avoir laissé de son sexe que le cœur d'une mère,

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