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Réflexions de Henri IV sur les troubles inséparables de la royauté.

<< Combien de milliers de mes sujets les plus pauvres dorment » à l'heure qu'il est !..... Sommeil, bienfaisant sommeil, doux >> réparateur de nos forces, comment as-tu fui loin de moi? pour>> quoi ne viens-tu plus appesantir mes paupières, et plonger >> dans l'oubli mes sens assoupis? Pourquoi, sommeil, te plais>> tu mieux dans la chaumière enfumée, sur un lit dur et in>> commode, accompagné du bourdonnement des insectes noc>> turnes, que dans les chambres parfumées des grands, sous » un dais riche et brillant, où les sons d'une douce mélodie >> invitent au repos? Dieu bizarre, pourquoi vas-tu partager le >> lit infect du misérable, et laisses-tu la couche d'un roi aussi >> privée de repos que le cadran d'une horloge, ou la cloche qui >> sonne l'alarme? Quoi! tu vas fermer les yeux du mousse sur la >> cime élevée et périlleuse du mât, et tu l'endors bercé par le >> roulis des flots que soulève la tempête, tandis qu'il est assailli >> par les vents qui fondent sur les vagues désastreuses, héris>> sent leurs têtes énormes, et les suspendent dans le voisinage >> des nues, avec un bruit assourdissant, capable de réveiller les >> morts! O sommeil, quelle partialité à toi, de prodiguer, dans >> les heures du bouleversement, la douceur de ton repos au >> matelot trempé d'ondes écumantes; et, au sein de la nuit la >> plus calme et la plus tranquille, appelé par tous les moyens >> et par toutes les séductions imaginables, de te refuser à un >> roi! Dormez donc en paix, heureux misérables! C'est au >> milieu des inquiétudes que repose la tête qui porte une cou

» ronne. >>

<< O-ciel! que ne peut-on lire dans le livre des destins ! >>

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« Le jeune homme le plus heureux, à l'aspect de la route >> qu'il faut suivre à travers la vie, des périls qu'il doit rencon>> trer, des traverses qui l'attendent, ne songerait plus qu'à >> fermer le livre, à s'asseoir et mourir. »

Le grand-juge Gascoygne se justifiant devant Henri :

<-« Soyez aujourd'hui le père, et figurez-vous que vous avez un fils, et que vous apprenez qu'il a profané votre dignité au point de voir vos plus redoutables lois méprisées avec tant de légèreté, et vous-même dédaigné par ce fils;

ensuite imaginez-vous que je remplis votre rôle, et que c'est au nom de votre autorité que j'impose avec douceur silence à votre fils. Après cet examen fait de sang-froid, prononcez, comme il convient à votre condition de roi, ce que j'ai fait de contraire aux devoirs de ma place, à l'honneur de mon caractère, à la majesté de mon souverain.

Henri V..

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Vous servirez de père à ma jeunesse. Ma voix ne sera que l'écho des paroles que vous ferez entendre à mon oreille. »

La république des abeilles.

<< Ainsi s'empressent les abeilles, insectes qui, par une loi de >> la nature, donnent l'exemple de l'ordre à des empires puis>> sants. Elles ont un chef et des officiers pour tous les emplois : >> les uns, comme des magistrats, veillent à la police intérieure; » d'autres, comme des marchands, exercent au dehors leur >> industrie; d'autres enfin, comme des soldats armés de longs >>dards, vont piller les doux trésors du printemps, et, avec >> une pompe triomphale, rapportent leur butin à la tente >> royale de leur monarque. Pour lui, attentif aux soins de >> l'empire, il surveille les architectes bourdonnants qui élèvent >> des portiques d'or; les simples citoyens chargés de recueillir » le miel, les pauvres portefaix qui déposent leurs pesants >> fardeaux sur le seuil étroit de son palais, et le juge à l'œil » sévère, qui, avec un sinistre murmure, livre aux farouches >> exécuteurs des lois le frelon oisif et inutile. >>

La Renommée représentée avec une foule de langues:

<< Ouvrez vos oreilles; car parmi vous qui refuse d'entendre, » quand la bruyante Renommée élève la voix? C'est moi qui >> sans cesse, de l'orient aux froids rivages de l'occident, por>>tée par les vents au lieu de coursiers, raconte dès leur nais>> sance les événements qui se succèdent ici-bas. Sur mes lan>> gues innombrables voltigent d'éternels mensonges, que

j'exprime dans tous les idiomes divers, quand je repais l'o>> reille des hommes de rapports infidèles. Je les entretiens » de paix, tandis qu'une sourde inimitié emprunte le sourire » de la confiance pour mieux abuser le monde. Et quel autre » que la Renommée, quel autre que moi passe en revue de » formidables légions, et fait des apprêts de défense, pendant

>> que les peuples menacés de quelque autre malheur s'atten. >> dent aux ravages de la guerre homicide, et qu'il n'en est rien » cependant? La Renommée est une trompette où les Soup>> çons, la Défiance, les Conjectures soufflent tour à tour, et » dont le jeu est si facile, que le monstre aux cent têtes, l'im>> bécile vulgaire peut l'emboucher..... Les courriers volent >> en tous lieux, et aucun d'eux n'apporte que les nouvelles » qu'il apprend de moi. Grâce aux bouches de la Renommée, » les mortels reçoivent des joies mensongères pires que des >> maux réels. »>

A ce tableau joignons celui qu'en a donné Rousseau :

Quelle est cette déesse énorme,
Ou plutot ce monstre difforme,
Tout couvert d'oreilles et d'yeux,
Dont la voix ressemble au tonnerre,
Et qui, des pieds touchant la terre,
Cache sa tête dans les cieux ?
C'est l'inconstante Renommée,
Qui, sans cesse les yeux ouverts,
Fait sa revue accoutumée
Dans tous les coins de l'univers.
Toujours vaine, toujours errante,
Et messagère indifférente

De vérités et de l'erreur,

Sa voix, en merveilles féconde,

Va, chez tous les peuples du monde,

Semer le bruit et la terreur.

Virgile, dans le quatrième livre de l'Enéide, a également donné la description de la Renommée, qui a été imitée depuis par Boileau, au deuxième chant du Lutrin, et par Voltaire, au huitième chant de la Henriade.

LA VIE DE HENRI V.

TRAGÉDIE.

Cette pièce renferme un tableau flatteur, pour les Anglais, des exploits de Henri, vainqueur à la bataille d'Azincourt. L'auteur y a introduit des chœurs destinés à apprendre aux spectateurs ce qui se passe dans l'intervalle d'un acte à l'autre: il a imité en cela les tragiques grecs, exemple que Racine a suivi depuis dans Esther, et dans le plus beau de ses ouvrages, Athalie.

Au moment où Henri s'embarque pour la conquête de la France, on lui remet des lettres de trois seigneurs qui ont reçu de l'argent de l'ennemi pour l'assassiner. En ce moment, un Anglais est arrêté pour avoir mal parlé du roi. Henri consulte son conseil, et surtout les trois seigneurs perfides, sur le désir qu'il a de faire grâce à ce malheureux. Les trois seigneurs s'y opposent vivement, en lui représentant combien cet acte de clémence serait dangereux au commencement de son règne. Henri feint de se rendre à leurs raisons. Un moment après, ils lui demandent leurs brevets pour la guerre de France. Le roi leur donne leurs lettres interceptées; ils tombent aussitôt à ses pieds, pénétrés de surprise et de crainte. Henri leur répond qu'ils ont eux-mêmes prononcé leur sentence et les envoie à la mort.

Les compagnons de Falstaff fournissent encore matière à plusieurs scènes comiques. Le monologue de Henri, dont l'armée est réduite aux dernières extrémités et que les Français vont attaquer, contient une belle leçon pour les rois.

Les événements compris dans cette pièce commencent vers la dernière moitié de la première année du règne du roi Henri, et se terminent à la huitième, au mariage de ce prince avec Catherine de France, qui met fin aux différends entre les

deux couronnes. Ce drame fut écrit en 1599, époque à laquelle le comte d'Essex commandait en Irlande les forces d'Élisabeth. Shakspeare, qui avait déjà montré les faiblesses et la dissipation. de Henri, lorsqu'il était prince de Galles, se vit dans la nécessité de retracer la dignité et l'éclat de son caractère, lorsqu'il fut monté sur le trône. Dans ce travail, à une exception près (la scène de ses amours), il a complètement réussi. Le récit de la mort de Falstaff, fait par la vieille femme, est très-bien écrit; il est d'un pathétique simple; les détails en sont naturels. Tout lecteur dit à regret adieu au vieux et facétieux chevalier, dont les plaisanteries ont si souvent provoqué l'hilarité. A l'égard de Pistol, le docteur Johnson dit que son caractère a peut-être été le modèle de ces bravaches qu'on voit encore paraître sur la scène anglaise. Une des plus frappantes images qu'on trouve dans Shakspeare, c'est celle qu'il donne de la guerre, dans les premiers vers du prologue:

ACTE I. Chœur.

« Que ne suis-je animé du feu sacré d'une muse qui élève mon génie jusqu'au ciel le plus brillant que l'imagination puisse enfanter, un royaume pour théâtre, des princes pour acteurs, et des monarques pour spectateurs de cette sublime scène! C'est alors qu'on verrait le belliqueux Henri, sous ses traits naturels, avec la majesté du dieu Mars, menant en laisse la famine, la guerre et l'incendie, comme des limiers rampants à ses pieds. Mais pardonnez, indulgente assemblée, pardonnez à l'impuissance du talent qui a osé, sur ces planches indignes, exposer à vos yeux un objet si grand. Cette arène à combats de coqs, peut-elle contenir les vastes plaines de la France? Pouvons-nous entasser dans ce cercle étroit tous les milliers de casques qui épouvantèrent le ciel d'Azincourt? pardonnez si une figure si petite doit représenter ici un million dans un zéro; permettez que, dans cet énorme calcul, nous laissions travailler la force de votre imagination. Supposez qu'en ce moment, dans l'enceinte de ces murs, sont enfermées deux grandes monarchies, dont les fronts levés et menaçants ne sont séparés que par une étroite ceinture de l'Océan; remplissez par vos pensées les vides que laissent notre impuissance; divisez un homme en mille parties, et voyez en lui un

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