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lisme, c'est-à-dire contre les girondins. Buzot se hâte de répondre par un autre projet de décret, et demande l'exil de la famille d'Orléans. Les partis échangent les faussetés, et se vengent des calomnies par d'autres calomnies. Tandis que les jacobins accusaient les girondins de fédéralisme, ceux-ci reprochaient aux premiers de destiner le duc d'Orléans au trône, et de ne vouloir immoler Louis XVI que pour rendre la place vacante.

Le duc d'Orléans existait à Paris, s'efforçant en vain de se faire oublier dans le sein de la convention. Cette place sans doute ne lui convenait pas au milieu de furieux démagogues; mais où fuir? En Europe, l'émigration l'attendait, et les outrages, peut-être même les supplices, menaçaient ce parent de la royauté, qui avait répudié sa naissance et son rang. En France, il s'efforçait de cacher son rang sous les titres les plus humbles, et il se nommait Égalité. Mais il restait l'ineffaçable souvenir de son ancienne existence, et le témoignage toujours présent de ses immenses richesses. A moins de prendre les haillons, de se rendre méprisable à force de cynisme, comment échapper aux soupçons? Dans les rangs girondins, il eût été perdu dès le premier jour, et tous les reproches de royalisme qu'on leur faisait eussent été justifiés. Dans ceux des jacobins, il avait la violence de Paris pour appui; mais il ne pouvait pas échapper aux accusations des girondins, et c'est ce qui lui arriva en effet. Ceux-ci, ne lui pardonnant pas de se ranger avec leurs ennemis, supposaient que, pour se rendre supportable, il prodiguait ses trésors aux anarchistes, et leur fournissait le secours de sa puissante fortune.

L'ombrageux Louvet croyait mieux, et s'imaginait sincèrement qu'il nourrissait toujours l'espoir de la royauté. Sans partager cette opinion, mais pour combattre la sortie de Thuriot par une autre, Buzot monte à la tribune. «< Si » le décret proposé par Thuriot doit ramener la con

» fiance, je vais, dit-il, vous en proposer un qui ne la >> ramènera pas moins. La monarchie est renversée, mais >> elle vit encore dans les habitudes, dans les souvenirs de >> ses anciennes créatures. Imitons les Romains; ils ont >> chassé Tarquin et sa famille : comme eux, chassons la >> famille des Bourbons. Une partie de cette famille est » dans les fers, mais il en est une autre bien plus dange» reuse, parce qu'elle fut plus populaire, c'est celle d'Or» léans. Le buste d'Orléans fut promené dans Paris; ses fils, bouillants de courage, se distinguent dans nos >> armées, et les mérites même de cette famille la rendent dangereuse pour la liberté. Qu'elle fasse un dernier » sacrifice à la patrie en s'exilant de son sein; qu'elle aille » porter ailleurs le malheur d'avoir approché du trône, » et le malheur plus grand encore de porter un nom qui >> nous est odieux, et dont l'oreille d'un homme libre ne

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peut manquer d'être blessée. » Louvet succédant à Buzot, et s'adressant à d'Orléans lui-même, lui cite l'exil volontaire de Collatin, et l'engage à l'imiter. Lanjuinais rappelle les élections de Paris dont Égalité fait partie, et qui se firent sous le poignard de la faction anarchique; il rappelle les efforts qu'on a tentés pour nommer ministre de la guerre un chancelier de la maison d'Orléans, l'influence que les fils de cette famille ont acquise dans les armées; et, par toutes ces raisons, il demande le bannissement des Bourbons. Bazire, Saint-Just, Chabot s'y refusent, plutôt par opposition aux girondins que par intérêt pour d'Orléans. Ils soutiennent que ce n'est pas le moment de sévir contre le seul des Bourbons qui se soit loyalement conduit envers la nation; qu'il faut d'abord punir le Bourbon prisonnier, faire ensuite la constitution, et qu'après on s'occupera des citoyens devenus dangereux; qu'au reste, envoyer d'Orléans hors de France, c'est l'envoyer à la mort, et qu'il faut au moins ajourner cette cruelle mesure. Néanmoins le bannissement est

décrété par acclamation. Il ne s'agit plus que de décider l'époque du bannissement, en rédigeant le décret. —Puisque vous employez l'ostracisme contre Égalité, dit Merlin, employez-le contre tous les hommes dangereux, et tout d'abord je le demande contre le pouvoir exécutif. Contre Roland! s'écrie Albitte. Contre Roland et Pache! ajoute Barrère, qui sont devenus une cause de division parmi nous. Qu'ils soient bannis l'un et l'autre du ministère, pour nous rendre le calme et l'union. Cependant

Kersaint craint que l'Angleterre ne profite de cette désorganisation du ministère pour nous faire une guerre désastreuse, comme elle fit en 1757, lorsque d'Argenson et Machau furent disgraciés.

Rewbel demande si on peut bannir un représentant du peuple, et si Philippe Égalité n'appartient pas à ce titre à la nation qui l'a nommé. Ces diverses observations arrêtent le mouvement des esprits. On s'interrompt, on revient, et sans révoquer le décret de bannissement contre les Bourbons, on ajourne la discussion à trois jours, pour se calmer, et pour réfléchir plus mûrement à la question de savoir si on pouvait bannir Égalité, et destituer sans danger les deux ministres de l'intérieur et de la guerre.

Après cette discussion, on devine quel désordre dut régner dans les sections, à la commune et aux Jacobins. On cria de toutes parts à l'ostracisme, et les pétitions se préparèrent pour la reprise de la discussion. Les trois jours écoulés, la discussion recommença; le maire vint à la tête des sections demander le rapport du décret. L'assemblée passa à l'ordre du jour après la lecture de l'adresse; mais Pétion, voyant quel tumulte excitait cette question, en demanda l'ajournement après le jugement de Louis XVI. Cette espèce de transaction fut adoptée, et on se jeta de nouveau sur la victime contre laquelle s'acharnaient toutes les passions. Le célèbre procès fut donc aussitôt repris.

CHAPITRE VII.

Continuation du procès de Louis XVI. Sa défense.

convention.

Débats tumultueux à la Les girondins proposent l'appel au peuple; opinion du député Salles; discours de Robespierre; discours de Vergniaud. — Position des questions. Louis XVI est déclaré coupable et condamné à mort, sans appel au peuple et sans sursis à l'exécution. Détails sur les débats et les votes émis. Assassinat du député Lepellier Saint-Fargeau. Agitation dans Paris. Louis XVI fait ses adieux à sa famille ; ses derniers moments dans la prison et sur l'échafaud.

Le temps accordé à Louis XVI pour préparer sa défense était à peine suffisant pour compulser les immenses matériaux sur lesquels elle devait être établie. Ses deux défenseurs demandèrent à s'en adjoindre un troisième, plus jeune et plus actif, qui rédigerait et prononcerait la défense, tandis qu'ils en chercheraient et prépareraient les moyens. Ce jeune adjoint était l'avocat Desèze, qui avait défendu Besenval après le 14 juillet. La convention, ayant accordé la défense, ne refusa pas un nouveau conseil, et M. Desèze eut, comme Malesherbes et Tronchet, la faculté de pénétrer au Temple. Une commission y portait tous les jours les pièces, les montrait à Louis XVI, qui les recevait avec beaucoup de sang-froid et comme si ce procès eút regardé un autre, disait un rapport de la commune. Il montrait aux commissaires la plus grande politesse, et leur faisait servir à manger quand les séances avaient été trop longues. Pendant qu'il s'occupait ainsi

de son procès, il avait trouvé un moyen de correspondre avec sa famille. Il écrivait au moyen du papier et des plumes qu'on lui avait donnés pour travailler à sa défense, et les princesses traçaient leur réponse sur du papier avec des piqûres d'épingle. Quelquefois on pliait les billets dans des pelotons de fil, qu'un garçon de l'office, en servant les repas, jetait sous la table; quelquefois on les faisait descendre par une ficelle d'un étage à un autre. Les malheureux prisonniers se donnaient ainsi des nouvelles de leur santé, et trouvaient une grande consolation à apprendre qu'ils n'étaient point malades.

Enfin M. Desèze avait terminé sa défense en y travaillant nuit et jour. Le roi lui fit retrancher tout ce qui était trop orateur, et voulut s'en tenir à la simple discussion des moyens qu'il avait à faire valoir. Le 26, à neuf heures et demie du matin, toute la force armée était en mouvement pour le conduire du Temple aux Feuillants, avec les mêmes précautions et dans le même ordre que lors de sa première comparution. Monté dans la voiture du maire, il s'entretint avec lui pendant le trajet, avec la même tranquillité que de coutume; on parla de Sénèque, de Tite-Live, des hôpitaux; il adressa même une plaisanterie assez fine à un des municipaux, qui avait, dans la voiture, le chapeau sur la tête. Arrivés aux Feuillants, il montra beaucoup de sollicitude pour ses défenseurs, il s'assit à leurs côtés dans l'assemblée, regarda avec beaucoup de calme les bancs où siégeaient ses accusateurs et ses juges, sembla rechercher sur leur visage l'impression que produisait la plaidoirie de M. Desèze, et plus d'une fois il s'entretint en souriant avec Tronchet et Malesherbes. L'assemblée accueillit sa défense avec un morne silence, et ne témoigna aucune improbation.

Le défenseur s'occupa d'abord des principes du droit, et en second lieu des faits imputés à Louis XVI. Bien que l'assemblée, en décidant que le roi serait jugé par elle,

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