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ENOX LIBRARY

NEW YORK

DE

LA RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

CHAPITRE I.

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Suite et fin de la journée du 10 août. Rappel du ministère girondin, Danton est nommé ministre de la justice. — État de la famille royale: Situation des partis dans l'assemblée et au-dehors après le 10 août. → Organisation et influence de la commune; pouvoirs nombreux qu'elle s'arroge; son opposition avec l'assemblée. - Érection d'un tribunal criminel extraordinaire. État des armées après le 10 août. Résistance de Lafayette au nouveau gouvernement. Décrété d'accusation, il quitte son armée et la France; est mis aux fers par les Autrichiens. Position de Dumouriez. Dispositions des puissances, et situation réciproque des armées coalisées et des armées françaises. Prise de Longwy par les Prussiens; agitation de Paris à cette nouvelle. Mesures révolutionnaires prises par la commune; arrestations des suspects.— Massacres dans les prisons les 2, 3, 4, 5 et 6 septembre. Principales scènes et circonstances de ces journées sanglantes.

Les Suisses avaient courageusement défendu les Tuileries, mais leur résistance fut inutile: le grand escalier avait été forcé, et le palais envahi. Le peuple, désormais vainqueur, pénétrait de toutes parts dans cette demeure de la royauté, où il avait toujours supposé des trésors extraordinaires, une félicité sans bornes, une puissance

formidable, et des complots sinistres! Que de vengeances à exercer à la fois contre la richesse, la grandeur et le pouvoir!

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Quatre-vingts grenadiers suisses, qui n'ont pas eu le temps de se retirer, défendent vigoureusement leur vie, et sont impitoyablement égorgés. La multitude se précipite ensuite dans les appartements, et s'acharne sur ces inutiles amis, accourus pour défendre le roi, et poursuivis, sous le nom de chevaliers du poignard, de toute la haine populaire. Leurs armes impuissantes ne servent qu'à irriter les vainqueurs, et rendre plus vraisemblables les projets imputés à la cour. Toute porte qui se ferme est abattue. Deux huissiers voulant interdire l'entrée du grand conseil, et s'immoler à l'étiquette, sont massacrés en un instant. Les nombreux serviteurs de la famille royale fuient tumultueusement à travers les vastes galeries, se précipitent des fenêtres, ou cherchent dans l'immensité du palais, un réduit obscur qui protége leur vie. Les femmes de la reine se réfugient dans l'un de ses appartements., et s'attendent à chaque instant à être attaquées dans leur asile. La princesse de Tarente en fait ouvrir les portes pour ne pas augmenter l'irritation par la résistance. Les assaillants se présentent, et se saisissent de l'une d'elles. Déjà le fer est levé sur sa tête. — Gráce aux femmes ! s'écrie une voix; ne déshonorez pas la nation! - A ce mot, le fer s'abaisse, les femmes de la reine sont épargnées, protégées, conduites hors du château, par ces mêmes hommes qui allaient les immoler, et qui, avec toute la mobilité populaire, les escortent maintenant, et emploient pour les sauver le plus ingénieux dévouement. Après avoir massacré, on dévaste; on brise ces magnifiques ameublements, et on en disperse au loin les débris. Le peuple se répand dans les secrets appartements de la reine, et s'y livre à la gaîté la plus obscène ; il pénètre dans les lieux les plus reculés, recherche tous les dé

pôts de papiers, brise toutes les fermetures, et satisfait le double plaisir de la curiosité et de la destruction. A l'horreur du meurtre et du sac se réunit celle de l'incendie. Déjà les flammes ayant dévoré les échoppes adossées aux cours extérieures commencent à s'étendre à l'édifice, et menacent d'une ruine complète cet imposant séjour de la royauté. La désolation n'est pas bornée à cette triste enceinte; elle s'étend au loin. Les rues sont jonchées de débris et de cadavres. Quiconque fuit ou est supposé fuir est traité en ennemi, et poursuivi à coups de fusil. Un bruit presque continuel de mousqueterie a succédé à celui du canon, et révèle à chaque instant de nouveaux meurtres. Que d'horreurs dans les suites d'une victoire, quels que soient les vaincus, les vainqueurs, et la cause pour laquelle on a combattu!

Le pouvoir exécutif étant dissous par la suspension de Louis XVI, il ne restait plus dans Paris que deux autorités, celle de la commune et celle de l'assemblée. Comme on l'a vu dans le récit du 10 août, des députés des sections, réunis à l'Hôtel-de-Ville, s'étaient emparés du pouvoir municipal, en expulsant les anciens magistrats, et avaient dirigé l'insurrection pendant toute la nuit et la journée du 10. Ils possédaient la véritable force de fait; ils avaient tout l'emportement de la victoire, et représentaient cette classe révolutionnaire, neuve et ardente, qui venait de lutter pendant toute la session contre l'inertie de cette autre classe d'hommes, plus éclairés, mais moins actifs, dont se composait l'assemblée législative. Le premier soin des députés des sections fut de destituer toutes les hautes autorités, qui, plus rapprochées du pouvoir suprême, lui étaient plus attachées. Ils avaient suspendu l'état-major de la garde nationale, et désorganisé la défense des Tuileries en arrachant Mandat au château, et donné à Santerre le commandement de la garde nationale. Ils n'avaient pas mis moins d'empressement à sus

pendre l'administration du département, qui, de la haute région où elle était placée, contraria toujours les passions populaires, qu'elle ne partageait pas. Quant à la municipalité, ils en avaient supprimé le conseil général, s'étaient substitués à son autorité, ne conservant que le maire Pétion, le procureur-syndic Manuel, et les seize administrateurs municipaux. Tout cela s'était fait pendant l'attaque du château. Danton avait audacieusement dirigé cette orageuse séance; et, lorsque la mitraille des Suisses refoula la multitude le long des quais, et jusqu'à l'Hôtelde-Ville, il était sorti en disant : « Nos frères demandent » du secours, allons leur en porter. » Sa présence avait contribué à ramener le peuple sur le champ de bataille, et à décider la victoire. Le combat terminé, il fut question de délivrer Pétion de sa garde et de le replacer dans ses fonctions de maire. Cependant, soit véritable intérêt pour sa personne, soit crainte de se donner un chef trop scrupuleux pour les premiers moments de l'insurrection, on avait décidé qu'il serait gardé encore un jour ou deux, sous le prétexte de mettre sa vie à couvert. En même temps on avait enlevé de la salle du conseil général, les bustes de Louis XVI, Bailly et Lafayette. La classe nouvelle qui s'élevait écartait ainsi les premières illustrations révolutionnaires, pour y substituer les siennes.

Les insurgés de la commune devaient chercher à se mettre en rapport avec l'assemblée. Ils lui reprochaient des hésitations et même du royalisme; mais ils voyaient toujours en elle la seule autorité souveraine actuellement existante, et n'étaient point du tout disposés à la méconnaître. Dans la matinée même du 10, une députation vint à sa barre lui annoncer la formation de la commune insurrectionnelle, et lui exposer ce qui avait été fait. Danton était au nombre des députés. « Le peuple qui nous >> envoie vers vous, dit-il, nous a chargés de vous décla>> rer qu'il vous croyait toujours dignes de sa confiance,

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