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été faits, dépêcha quatre commissaires pris dans son sein, pour aller s'assurer par leurs yeux du véritable état des choses. Ces quatre commissaires étaient Danton, Camus, Lacroix et Cossuin.

Tandis que Dumouriez avait employé le mois de novembre à occuper la Belgique jusqu'à la Meuse, Custine, courant toujours aux environs de Francfort et du Mein, était menacé par les Prussiens qui remontaient la Lahn. Il aurait voulu que tout le versement de la guerre eût lieu de son côté, pour couvrir ses derrières, et assurer ses folles incursions en Allemagne. Aussi ne cessait-il de se plaindre contre Dumouriez, qui n'arrivait pas à Cologne, et contre Kellermann, qui ne se portait pas sur Coblentz. On vient de voir les difficultés qui empêchaient Dumouriez d'avancer plus vite; et pour rendre le mouvement de Kellermann possible, il aurait fallu que Custine, renonçant à des incursions qui faisaient retentir d'acclamations la tribune des jacobins et les journaux, se renfermât dans la limite du Rhin, et que, fortifiant Mayence, il voulût descendre lui-même à Coblentz. Mais il désirait qu'on fit tout derrière lui, pour avoir l'honneur de prendre l'offensive en Allemagne. Pressé de ses sollicitations et de ses plaintes, le conseil exécutif rappela Kellermann, le remplaça par Beurnonville, et donna à ce dernier la mission tardive de prendre Trèves, dans une saison très avancée, au milieu d'un pays pauvre et difficile à occuper. Il n'y avait jamais eu qu'une bonne voie pour exécuter cette entreprise, c'était, dans l'origine, de marcher entre Luxembourg et Trèves, et d'arriver ainsi à Coblentz, tandis que Custine s'y porterait par le Rhin. On aurait alors écrasé les Prussiens, encore abattus de leur défaite en Champagne, et donné la main à Dumouriez, qui devait être à Cologne, ou qu'on aurait aidé à s'y porter s'il n'y avait pas été. De cette manière, Luxembourg et Trèves, qu'il était impossible de prendre de vive force,

tombaient par famine et par défaut de secours; mais Custine ayant persisté dans ses courses en Wétéravie, l'armée de la Moselle étant restée dans ses cantonnements, il n'était plus temps de marcher sur ces places à la fin de novembre, pour y soutenir Custine contre les Prussiens ranimés et remontant le Rhin. Beurnonville fit valoir ces raisons; mais on était en disposition de conquérir, on voulait punir l'électeur de Trèves de sa conduite envers la France, et Beurnonville eut ordre de tenter une attaque qu'il essaya avec autant d'ardeur que s'il l'avait approuvée. Après quelques combats brillants et opiniâtres, il fut obligé d'y renoncer et de se replier vers la Lorraine. Dans cette situation, Custine se sentait compromis sur les bords du Mein; mais il ne voulait pas, en se retirant, avouer sa témérité et le peu de solidité de sa conquête, et il persistait à s'y maintenir sans aucune espérance fondée de succès. Il avait placé dans Francfort une garnison de deux mille quatre cents hommes, et quoique cette force fût tout-à-fait insuffisante dans une place ouverte et au milieu d'une population indisposée par des contributions injustes, il ordonnait au commandant de s'y maintenir; et lui, posté à Ober-Usel et Hombourg, un peu au-dessous de Francfort, affectait une constance et une fierté ridicules. Telle était la situation de l'armée sur ce point, à la fin de novembre et au commencement de décembre.

Rien ne s'était donc encore effectué le long du Rhin. Aux Alpes, Montesquiou qu'on a vu négociant avec la Suisse et tâchant à la fois de faire entendre raison à Genève et au ministère français, Montesquiou avait été obligé d'émigrer. Une accusation avait été dirigée contre lui, pour avoir compromis, disait-on, la dignité de la France, en laissant insérer dans le projet de convention un article par lequel nos troupes devaient s'éloigner, et surtout en exécutant cet article du projet. Un décret

fut lancé contre lui, et il se réfugia dans Genève. Mais son ouvrage était garanti par sa modération, et tandis qu'on le mettait en accusation, on transigeait avec Genève d'après les bases qu'il avait fixées. Les troupes bernoises se retiraient, les troupes françaises se cantonnaient sur les limites convenues, la précieuse neutralité suisse était assurée à la France, et l'un de ses flancs était garanti pour plusieurs années. Cet important service avait été méconnu, grâce aux inspirations de Clavière, et grâce aussi à une susceptibilité de parvenus que nous devions à nos victoires de la veille.

Dans le comté de Nice on avait glorieusement repris le poste de Sospello, que les Piémontais nous avaient arraché pour un instant, et qu'ils avaient perdu de nouveau après un échec considérable. Ce succès était dû à l'habileté du général Brunet. Nos flottes, qui dominaient dans la Méditerranée, allaient à Gênes, à Naples, où régnaient des branches de la maison de Bourbon, et enfin dans tous les états d'Italie, faire reconnaître la nouvelle république française. Après une canonnade devant Naples, on avait obtenu la reconnaissance de la république, et nos flottes revenaient fières des aveux arrachés par elles. Aux Pyrénées, régnait une parfaite immobilité, et Servan, faute de moyens, avait la plus grande peine à recomposer l'armée d'observation. Malgré des dépenses énormes de cent quatre-vingts, de deux cents millions par mois, toutes les armées des Pyrénées, des Alpes, de la Moselle, étaient dans la même détresse, par la désorganisation des services, et par la confusion qui régnait au ministère de la guerre. Au milieu de cette misère, nous n'en avions pas moins l'ivresse et l'orgueil de la victoire. Dans ce moment, les esprits exaltés par Jemmapes, par la prise de Francfort, par l'occupation de la Savoie et de Nice, par le subit retour de l'opinion européenne en notre faveur, crurent entendre s'ébranler les monarchies, et s'imaginèrent un

instant que les peuples allaient renverser les trônes et se former en républiques. « Ah! s'il était vrai, s'écriait un » membre des jacobins, à propos de la réunion de la » Savoie à la France, s'il était vrai le réveil des peu

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que

ples fût arrivé; s'il était vrai que le renversement de >> tous les trônes dût être la suite prochaine du succès » de nos armées et du volcan révolutionnaire; s'il était >> vrai que les vertus républicaines vengeassent enfin le » monde de tous les crimes couronnés; que chaque région, devenue libre, forme alors un gouvernement » conforme à l'étendue plus ou moins grande que la na» ture lui aura fixée, et que de toutes ces conventions »> nationales, un certain nombre de députés extraordi>> naires forment au centre du globe une convention uni>> verselle, qui veille sans cesse au maintien des droits de l'homme, à la liberté générale du commerce et à la paix du genre humain!....* »

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Dans ce moment, la convention apprenant les vexations commises par le duc de Deux-Ponts contre quelques sujets de sa dépendance, rendit, dans un élan d'enthousiasme, le décret suivant :

« La convention nationale déclare qu'elle accordera » secours et fraternité à tous les peuples qui voudront >> recouvrer leur liberté, et elle charge le pouvoir exécu>> tif de donner des ordres aux généraux des armées françaises, pour secourir les citoyens qui auraient été ou >> qui seraient vexés pour la cause de la liberté.

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» La convention nationale ordonne aux généraux des >> armées françaises de faire imprimer et afficher le pré>> sent décret dans tous les lieux où ils porteront les armes » de la république.

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Paris, le 19 novembre 1792. »

* Discours de Milhaud, député du Cantal, prononcé aux Jacobins en novembre 1792.

CHAPITRE VI.

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État des partis au moment du procès de Louis XVI. Caractère et opinions des membres du ministère à cette époque, Roland, Pache, Lebrun, Garat, Monge et Clavière. Détails sur la vie intérieure de la famille royale dans la tour du Temple. Commencement de la discussion sur la mise en jugement de Louis XVI; résumé des débats; opinion de Saint-Just. État fâcheux des subsistances; détails et questions d'économie politique. Discours de Robespierre sur le jugement du roi. — La convention décrète que le roi sera jugé par elle. - Papiers trouvés dans l'armoire de fer. -Premier interrogatoire de Louis XVI à la convention.-Choc des opinions et des intérêts pendant le procès; inquiétude des jacobins. · Position du duc d'Orléans; on propose

son bannissement.

Le procès de Louis XVI allait enfin commencer, et les partis s'attendaient ici pour mesurer leurs forces, pour découvrir leurs intentions, et se juger définitivement. On observait surtout les girondins, pour surprendre chez eux le moindre mouvement de pitié, et les accuser de royalisme, si la grandeur déchue parvenait à les toucher.

Le parti des jacobins, qui poursuivait dans la personne de Louis XVI la monarchie tout entière, avait fait des progrès sans doute, mais il trouvait une opposition encore assez forte à Paris, et surtout dans le reste de la France. Il dominait dans la capitale par son club, par la commune, par les sections, mais la classe moyenne reprenait courage, et lui opposait encore quelque résistance. Pétion ayant refusé la mairie, le médecin Chambon avait obtenu une grande majorité de suffrages, et avait

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