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voyait obligée à plier sous l'ascendant de la convention. Cependant le comité de surveillance n'avait pas voulu se laisser battre sans résistance. Ses membres s'étaient présentés à l'assemblée, disant qu'ils venaient confondre leurs ennemis. Dépositaires des papiers trouvés chez Laporte, intendant de la liste civile, et condamné, comme on s'en souvient, par le tribunal du 17 août, ils avaient découvert, disaient-ils, une lettre où il était parlé de ce qu'avaient coûté certains décrets, rendus dans les précédentes assemblées. Ils venaient démasquer les députés vendus à la cour, et prouver la fausseté de leur patriotisme. Nommez-les, s'était écriée l'assemblée avec indignation. Nous ne pouvons les désigner encore, avaient répondu les membres du comité. Sur-le-champ, pour repousser la calomnie, il fut nommé une commission de vingt-quatre députés, étrangers à la constituante et à la législative, chargés de vérifier ces papiers et d'en faire leur rapport. Marat, inventeur de cette ressource, publia dans son journal qu'il avait rendu aux Rolandistes, accusateurs de la commune, la monnaie de leur pièce; et il annonça la prétendue découverte d'une trahison des girondins. Cependant les papiers examinés, aucun des députés actuels ne se trouva compromis, et le comité de surveillance fut déclaré calomniateur. Les papiers étant trop volumineux pour que les vingt-quatre députés en continuassent l'examen à l'Hôtel-de-Ville, on les transporta dans l'un des comités de l'assemblée. Marat, se voyant ainsi privé de riches matériaux pour ses accusations journalières, s'en irrita beaucoup, et prétendit, dans son journal, qu'on avait voulu détruire la preuve de toutes les trahisons.

Après avoir ainsi réprimé les débordements de la commune, l'assemblée s'occupa du pouvoir exécutif, et décida que les ministres ne pourraient plus être pris dans son sein. Danton, obligé d'opter entre les fonctions de

ministre de la justice et de membre de la convention, préféra, comme Mirabeau, celles qui lui assuraient la tribune, et quitta le ministère sans rendre compte des dépenses secrètes, disant qu'il avait rendu ce compte au conseil. Ce fait n'était pas très exact; mais on n'y regarda pas de plus près, et on passa outre. Sur le refus de François de Neufchâteau, Garat, écrivain distingué, idéologue spirituel, et devenu fameux par l'excellente rédaction du Journal de Paris, occupa la place de ministre de la justice. Servan, fatigué d'une administration laborieuse et au-dessus non de ses facultés, mais de ses forces, préféra le commandement de l'armée d'observation qu'on formait le long des Pyrénées. Le ministre Lebrun fut provisoirement chargé d'ajouter le portefeuille de la guerre à celui des affaires étrangères. Roland enfin offrit aussi sa démission, fatigué qu'il était d'une anarchie si contraire à sa probité et à son inflexible amour de l'ordre. Les girondins proposèrent à l'assemblée de l'inviter à garder le portefeuille. Les montagnards, et particulièrement Danton, qu'il avait beaucoup contrarié, s'opposérent à cette démarche comme peu digne de l'assemblée. Danton se plaignit de ce qu'il était faible et gouverné par sa femme; on répondit à ce reproche de faiblesse par la lettre du 3 septembre, et on aurait pu répondre encore en citant l'opposition que lui, Danton, avait rencontrée dans le conseil. Cependant on passa à l'ordre du jour. Pressé par les girondins et tous les gens de bien, Roland demeura au ministère. « J'y reste, écrivit-il noblement à » l'assemblée, puisque la calomnie m'y attaque, puisque >> des dangers m'y attendent, puisque la convention a >> paru désirer que j'y fusse encore. Il est trop glorieux, ajouta-t-il en finissant sa lettre, qu'on n'ait eu à me >> reprocher que mon union avec le courage et la vertu. » L'assemblée se partagea ensuite en divers comités. Elle créa un comité de surveillance composé de trente mem

bres; un second de la guerre, de vingt-quatre; un troisième des comptes, de quinze; un quatrième de législation criminelle et civile, de quarante-huit; un cinquième des assignats, monnaies et finances, de quarante-deux. Un sixième comité, plus important que tous les autres, fut chargé du principal objet pour lequel la convention était réunie, c'est-à-dire, de préparer un projet de constitution. On le composa de neuf membres diversement célèbres, et presque tous choisis dans les intérêts du côté droit. La philosophie y eut ses représentants dans la personne de Sieyes, de Condorcet, et de l'Américain Thomas Payne, récemment élu citoyen français et membre de la convention nationale; la Gironde y fut particulièrement représentée par Gensonné, Vergniaud, Pétion et Brissot; le centre par Barrère, et la Montagne par Danton. On est sans doute étonné de voir ce tribun si remuant, mais si peu spéculatif, placé dans ce comité tout philosophique, et il semble que le caractère de Robespierre, sinon ses talents, aurait dû lui valoir ce rôle. Il est certain que Robespierre ambitionnait bien davantage cette distinction, et qu'il fut profondément blessé de ne pas l'obtenir. On l'accorda de préférence à Danton, que son esprit naturel rendait propre à tout, et qu'aucun ressentiment profond ne séparait encore de ses collègues. Ce fut cette composition du comité qui fit renvoyer si long-temps le travail de la constitution.

Après avoir pourvu de la sorte au rétablissement de l'ordre dans la capitale, à l'organisation du pouvoir exécutif, à la distribution des comités et aux préparatifs de la constitution, il restait un dernier objet à régler, l'un des plus graves dont l'assemblée eût à s'occuper, le sort de Louis XVI et de sa famille. Le plus profond silence avait été observé à cet égard dans l'assemblée, et on en parlait partout, aux Jacobins, à la commune, dans tous les lieux particuliers ou publics, excepté seulement à la

convention. Des émigrés avaient été saisis les armes à la main, et on les conduisait à Paris pour leur appliquer les lois criminelles. A ce sujet, une voix s'éleva (c'était la première), et demanda si, au lieu de s'occuper de ces coupables subalternes, on ne songerait pas à ces coupables plus élevés renfermés au Temple. A ce mot, un profond silence régna dans l'assemblée. Barbaroux prit le premier la parole, et demanda qu'avant de savoir si la convention jugerait Louis XVI, on décidât si la convention serait corps judiciaire, car elle avait d'autres coupables à juger que ceux du Temple. En élevant cette question, Barbaroux faisait allusion au projet d'instituer la convention en cour extraordinaire, pour juger elle-même les agitateurs, les triumvirs, etc. Après quelques débats, la proposition fut renvoyée au comité de législation, pour examiner les questions auxquelles elle donnait naissance.

CHAPITRE IV.

Situation militaire à la fin d'octobre 1792. Bombardement de Lille par les Autrichiens; prise de Worms et de Mayence par Custine. Faute de nos généraux. Mauvaises opérations de Custine. - Armée des Alpes. Conquête de la Savoie et de Nice. - Dumouriez se rend à Paris; sa position à l'égard des partis. Influence et organisation du club des Jacobins. État de la société française; salons de Paris. Entrevue de Marat et de Dumouriez. Anecdote. Seconde lutte des girondins avec les montagnards; Louvet dénonce Robespierre; réponse de Robespierre; l'assemblée ne donne pas suite à son accusation. - Premières propositions sur le procès de Louis XVI.

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Dans ce moment, la situation militaire de la France était bien changée. On touchait à la mi-octobre; déjà l'ennemi était repoussé de la Champagne et de la Flandre, et le sol étranger envahi sur trois points, le Palatinat, la Savoie et le comté de Nice.

On a vu les Prussiens se retirant du camp de la Lune, reprenant la route de l'Argonne, jonchant les défilés de morts et de malades, et n'échappant à une perte totale que par la négligence de nos généraux qui poursuivaient chacun un but différent. Le duc de Saxe-Teschen n'avait pas mieux réussi dans son attaque sur les Pays-Bas. Tandis que les Prussiens marchaient sur l'Argonne, ce prince, ne voulant pas rester en arrière, avait cru devoir essayer quelque entreprise éclatante. Cependant, quoique notre frontière du nord fût dégarnie, ses moyens n'étaient pas beaucoup plus grands que les nôtres, et il put à peine réunir quinze mille hommes, avec un matériel médiocre.

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