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la prose française au XVIIe siècle; elle le rattache même plus directement à cette période finissante de la manière Louis XIII, à laquelle appartiennent les plus jolis vers de Segrais, les premières lettres de Mme de Sévigné et la Princesse de Montpensier de Mme de La Fayette. Le livre de Fléchier en marque la plus coquette nuance et le plus heureux moment. On est au seuil d'une époque de génie et de goût; le style va se transformer, et, comme dans toute transformation, quelques qualités vont disparaître que personne ne retrouvera, et Fléchier moins que personne. Eh bien! c'est ce je ne sais quoi qui avait sa senteur› la veille et qui devait être évaporé le lendemain, c'est ce léger› parfum que l'auteur des Grands-Jours a su fixer sous sa plume. Ce fruit de sauvageon, bien venu et mûri jusqu'à la saveur par un soleil propice, Fléchier eut en quelque sorte le hasard de le cueillir. Sans doute il tire encore trop de petites étincelles du choc des antithèses, sans doute il a des tours un peu languis-> sants et il se perd quelquefois dans les circonlocutions pré-} cieuses; mais, en revanche, les beaux tours de langage que la régularité va bannir, les agréables façons de dire que la pru-6 derie classique fera disparaître! Ces grâces un peu traînantes n'en ont peut-être que plus de charme quand on songe à la majesté alignée des prochaines Oraisons funèbres. Il se rencontre là des touches de style, une gaieté à fleur d'ironie, unë › douceur au goût qui ravissent. Cela charme et repose. Fléchier lui-même, dans ses Réflexions sur les Caractères des hommes, a excellemment dit : « Il est des beautés régulières qui n'agréent pas tant que de jolies personnes; il en est de même des écrits. Ce qui est, en effet, le plus beau et le meilleur ne plaît quelquefois pas tant qu'une certaine manière d'écrire galante et agréable. » Le galant et agréable auteur expliquait ainsi luimême, sans le soupçonner, sa destinée à venir. Il y a deux Fléchier très-distincts à l'heure qu'il est,

On ne voulait parler ici que du premier, et l'heure précisément est venue où le simple bel-esprit des ruelles va devenir un prédicateur célèbre. Que d'autres le suivent dans ces éclats de

la gloire nous nous arrêtons au seuil de la terre promise. Désormais aucun succès ne va manquer à l'orateur sacré : l'Aca-démie à l'unanimité l'appellera dans son sein, et, le jour de sa réception, son triomphe sera si grand, que Racine, admis en même temps, n'osera faire imprimer son discours. Chaque jour sa fortune se fera plus brillante : le voilà en effet qui prêche à la cour et qui devient en peu de temps aumônier de la Dauphine, puis évêque de Lavaur; enfin on le contraindra, pour dernière faveur, d'accepter sa promotion au siége de Nîmes. Alors il écrira à Louis XIV : « C'est une grande preuve de votre bonté que vous me réduisiez à ne vous demander que la diminution de vos bienfaits. » Fléchier n'était pas ambitieux; il se trouvait comblé. Retiré en son diocèse, l'excellent prélat se fit un devoir d'y résider jusqu'à sa mort, qui n'eut lieu qu'en 1710. Son double caractère d'ancien habitué de l'hôtel Rambouillet et d'homme de cœur ne se démentit pas un instant dans cette retraite on en peut trouver des preuves aussi diverses que significatives dans un remerciement à Mlle de Scudery, qui lui avait envoyé ses Conversations, et dans le noble mandement par lequel il condamna les Maximes des Saints de Fénelon. On lit au milieu du premier cet étrange passage: « Il me prend quelquefois envie, mademoiselle, de distribuer votre livre dans mon diocèse pour édifier les gens de bien et pour donner un bon modèle de morale à ceux qui la prêchent; »> on lit dans le second cette belle parole: « M. de Cambrai n'a manqué que par un trop grand désir de perfection. >> Fléchier est tout entier dans ces deux phrases; jusqu'au bout, il y eut en lui du bel-esprit et de la tendresse. Là est le secret de son talent et de son

cœur.

L'auteur des Oraisons funèbres gardera la renommée paisible dont il est en possession depuis plus d'un siècle et demi : c'est un nom désormais consacré, et qui, bien au-dessous de Bossuet et de Bourdaloue, a sa place désignée près de Mascaron. Mais une gloire inattendue et plus douce s'attache désormais au souvenir rajeuni de Fléchier: celui qui a écrit les

Mémoires sur les Grands-Jours demeurera certainement comme un modèle d'aménité et de grâce, entre Voiture, qu'il rappelle en le corrigeant, et Hamilton, qu'il annonce en l'égalant. Certes, s'il pouvait nous lire, Fléchier serait, au premier abord, surpris et même piqué du ton de ces éloges: il s'était arrangé une si belle place entre les modèles de l'art oratoire, et voilà que, sans égards, on le classe parmi les maîtres du badinage! Notre sympathie pourtant est si vive, notre assentiment si sincère, que, vaincu par ces instances, le bon évêque peut-être finirait par échanger contre cette simple tresse de bluets ses palmes de vainqueur, la couronne d'ache et de nénuphar qu'on a dès longtemps déposée sur son front au nom de la rhétorique et de l'éloquence. Au besoin, nous lui citerions ce joli mot d'un de ses Discours académiques : « Les louanges sont les doux supplices de la vertu. »

MÉRIMÉE.

RÉCEPTION A L'ACADÉMIE FRANÇAISE.'

Voilà deux siècles bientôt que le bonhomme La Fontaine écrivait :

On ne peut contenter tout le monde et son père;

il est probable que, dans deux autres siècles, la sentence ne sera pas moins banale qu'aujourd'hui, parce qu'elle ne sera pas moins vraie. L'unanimité ne s'obtient nulle part, et particulièrement dans les lettres. En politique, on en a vu qui se contentaient d'une majorité modeste; en littérature, il est permis d'être plus humble encore, et de briguer de préférence les simples suffrages de la minorité. Benjamin Constant disait que

(1) Voir Revue des Deux Mondes, 15 février 1845.

d'ordinaire le bon droit est de ce dernier côté; c'est un propos qu'on trouve exécrable quand on est ministre, et parfait quand on ne l'est plus. La politique a ses variations; mais, dans les lettres, je tiens la maxime pour toujours excellente. On peut dire qu'en littérature l'aristocratie n'a cessé de maintenir son autorité, parce que, au lieu de priviléges, elle se trouve avoir des droits. Il n'y a de succès légitime que celui qui descend de la classe léttrée à la foule; celui, au contraire, qui monte de bas - en haut ne saurait être qu'un engouement passager. Là est la sanction de toute popularité durable; là éclate la profonde différence qui sépare le Lépreux des Mémoires du Diable et Colomba des Mystères de Paris. Je l'avoue, M. Xavier de Maistre n'a pas fait la fortune des cabinets de lecture, et le nom de M. Mérimée n'a guère été crié à son de trompe dans les carrefours du feuilleton pour convoquer l'arrière-ban des abonnés retardataires. C'est un malheur; mais peut-être le Juif errant aura-t-il rejoint les romans oubliés de Rétif, peut-être le Comte de Monte-Cristo reposera-t-il paisiblement auprès des élucubrations de Mercier, quand on lira encore la Vénus d'lle et le Voyage autour de ma Chambre. L'avenir pourrait bien donner cet impertinent démenti au présent : il n'y a d'égal à la vogue de la veille que l'indifférence du lendemain. Toujours le talent a droit à sa revanche.

L'Académie française, dans ses dernières élections, a eu le bon goût et en même temps la prudence de ne point prendre le fracas pour la renommée; elle n'a pas sacrifié au veau d'or. Qu'on n'en doute point, là voie où elle vient d'entrer est la seule bonne; nous espérons qu'elle s'y maintiendra résolument. Dans l'abaissement notoire où sont tombées les mœurs littéraires, il est bon que le dévergondage de l'imagination et le trafic de la pensée né reçoivent pas la consécration d'un corps officiel qui semble appelé, avant tout, à maintenir les traditions de dignité littéraire. En laissant de côté la valeur même des titres de chacun des derniers élus, qui ne serait frappé de voir, en quelques semaines, entrer l'un après l'autre à l'Académie

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