Très jolie et fort à son goût. Car voilà qu'aussitôt il vient sur ma paupière, Que l'ombre autour de moi remplace la lumière, Et que je m'endors tout à coup... Le poëte alors sent la vie se retirer peu à peu de lui; il comprend que son heure approche, qu'il y touche : Mes amis étaient là, près de mon agonie : «< Adieu.... disais-je, adieu.... ma carrière est finie.... Avec deux pleurs aux yeux, dans leur douleur amère ! Quand tout à coup une ombre à moi seul apparue Je me lève aussitôt, je revêts mon suaire, Je descends l'escalier, et je vais dans ma bière J'espérais bien entendre une oraison funèbre, Mais j'entendis pour tout discours Un vieux mort que j'avais dérangé dans sa fosse, Qui cria : « Jeune mort, pourquoi poser ta chausse « Sur un mort des antiques jours ? » Il me fit vers le cœur une atroce morsure; Je courus à sa suite, et du divin rivage Un bel archange s'envoler.... L'archange emporte notre mort sur ses ailes, et, après lui avoir fait visiter les limbes, il le mène dans le ciel. Le poëte, ébloui des splendeurs divines, s'écrie en s'agenouillant : Seigneur, Seigneur mon Dieu, je voudrais encor vivre, J'ai laissé sur la terre une mère qui m'aime, J'ai des petits garçons et des petites filles Dieu se laisse toucher et répond: Ame dans la démence Qui regrettes si fort la terrestre existence Que tu sembles porter ton deuil, Tu veux encor la vie, eh bien! je te la garde; En effet, j'eus pitié de ma pauvre nature Mais, quoique je parusse ainsi peu romantique, Je la sentis rentrer dans mon pauvre corps blême, Je regardai ma montre: or, pour voir la demeure Le rêve est un coursier bien prompt. On sait comment à ce rêve se substituèrent les terribles réalités. Dans ses accents sérieux, l'auteur de la Tragédie du Monde avait d'ailleurs fait plus d'un appel à celle qu'on redoute, à celle qui pourtant calme les douleurs : l'idée de la mort ne l'effrayait pas. Ainsi, il s'écriait : De même qu'en croissant l'arbre brise le lierre, Voilà comment, aux heures de défaillance, il se plaignait des longueurs de la vie, et la vie pourtant n'avait encore tenu pour lui aucune de ses brillantes promesses! Mais est-ce celui qui part qu'il faut plaindre ? n'est-ce pas plutôt ceux qui restent? Qu'aurait-il craint après tout, qu'aurait-il regretté, lui qui n'avait pas peur de disparaître même du souvenir : Personne ne pourra briser mon espérance; Je compte sur l'oubli..... Vous vous trompez, Louis, on se souviendra de vous. Cette Bretagne que vous aimiez tant, dont vous étiez si fier, vous restera fidèle; elle redira quelques-uns de vos chants, elle vous rangera parmi les enfants qui l'honorent. Sans doute, le temps a manqué à votre talent pour qu'il pût se dégager et mûrir; mais, croyez-le, le cœur est indulgent aux muses frappées avant l'âge. Farcy, Dovalle, Hégésippe Moreau, seront toujours avant vous dans cette liste chère à la mémoire : votre nom pourtant y sera inscrit à sa place. Plus d'un se complaira à vos vers inachevés, plus d'un surtout redira les strophes que le poëte aimé de la Bretagne, M. Édouard Turquety, a consacrées à votre mémoire. Ainsi la froide mort vient de fermer sa bouche! S'approchait de ce cœur qu'il glace pour jamais. Et moi qui lui fus cher, lorsque d'une voix douce J'irai verser des pleurs et des chants sur la mousse Que voile le tombeau du poëte endormi. Oui, le souvenir des morts est saint: visitons la tombe de notre ami, jetons-y en passant une fleur. Il y a bien des siècles que l'Anthologie latine le disait : Une fleur, c'est la meilleure épitaphe de ceux qui meurent jeunes; flos satis est titulo. LETTRES PARISIENNES PAR MADAME ÉMILE DE GIRARDIN.' Je ne sais pas, pour ma part, de lecture aussi piquanté et où l'esprit s'oublie plus volontiers et avec plus de charme qu'à celle des mémoires et des correspondances. L'âme humaine surprise sur le fait quand l'auteur parle de lui-même, le monde saisi dans son déshabillé quand l'auteur parle des autres, il y a là, si je ne me trompe, le double à peu près de ce qu'il faut à un livre pour réussir auprès des lecteurs délicats. C'est bien moins aux pièces officielles et aux procès-verbaux authentiques qu'aux lettres datées des Rochers et de Ferney, que j'irais demander la vive peinture, le tableau en relief de la société des deux derniers siècles, de ce monde achevé où, à travers les changements de l'opinion, s'est discipliné l'esprit français, (1) Voir Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1843. |