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paux s'en aperçussent, me remit une petite bouteille qui contenait un lock. Cette Princesse, qui était fort enrhumée, s'en privait pour moi; je voulus la refuser, elle insista. Après le souper, la Reine déshabilla et coucha le jeune Prince, et madame Élisabeth roula les cheveux du Roi.

Le lendemain matin, M. le Monnier m'ordonna un saignée, mais il fallait le consentement de la commune pour faire entrer un chirurgien. L'on parla de me transférer au palais du Temple. Craignant de ne plus rentrer dans la tour, si j'en sortais une fois, je ne voulus plus être saigné; je fis même semblant de me trouver mieux. Le soir de nouveaux municipaux arrivèrent, et il ne fut plus question de me transférer.

Turgy demanda à passer la nuit près de moi : cette demande lui fut accordée, ainsi qu'à ses deux camarades qui me rendirent ce service chacun à son tour. Je restai six jours au lit, et chaque jour la famille royale venait me voir. Madame Élisabeth m'apportait souvent des drogues qu'elle demandait comme pour elle. Tant de bontés me réndirent une partie de mes forces, et au lieu du sentiment de mes peines, je n'eus bientôt à éprouver que celui de la reconnaissance et de l'admiration. Qui n'eût été touché de voir cette auguste famille suspendre, en quelque sorte, le souvenir de ses longues infortunes, pour s'occuper d'un de ses serviteurs !

Je ne dois pas oublier de rapporter ici un trait

de monsieur le Dauphin, qui prouve jusqu'où allait la bonté de son coeur, et combien il profitait des exemples de vertu qu'il avait continuellement sous les yeux.

Un soir, après l'avoir couché, je me retirais pour faire place à la Reine et aux Princesses qui venaient l'embrasser, et lui donner le bonsoir dans son lit; madame Élisabeth, que la surveillance des municipaux avait empêchée de me parler, profita de ce moment pour lui remettre une petite boîte de pastilles d'ipécacuanha, en lui recommandant de me la donner, lorsque je reviendrais. Les princesses remontèrent chez elles; le Roi passa dans son cabinet, et j'allai souper. Je rentrai vers onze heures dans la chambre du Roi pour préparer le lit de Sa Majesté; j'étais seul, le jeune Prince m'appela à voix basse ; je fus trèssurpris de ne pas le trouver endormi, et craignant qu'il ne fût incommodé, je lui en demandai la cause. « C'est, me dit-il, que ma tante m'a remis » une petite boîte pour vous, et je n'ai pas voulu » m'endormir sans vous la donner; il était temps » que vous vinssiez, car mes yeux se sont déjà fer» més plusieurs fois. » Les miens se remplirent de larmes, il s'en aperçut, m'embrassa, et deux minutes après il dormait profondément.

A cette sensibilité, le jeune Prince joignait beaucoup de grâces, et toute l'amabilité de son âge. Souvent, par ses naïvetés, l'enjouement de son caractère, et ses petites espiègleries, il faisait

oublier à ses augustes parens leur douloureuse situation; mais il la sentait lui-même; il se reconnaissait, quoique si jeune, dans une prison, et se voyait surveillé par des ennemis. Sa conduite et ses propos avaient pris cette réserve que l'instinct, quand il s'agit d'un danger, inspire peutêtre à tout âge : jamais je ne l'ai entendu parler ni des Tuileries, ni de Versailles, ni d'aucun objet qui aurait pu rappeler à la Reine ou au Roi quelque affligeant souvenir. Voyait-il arriver un municipal plus honnête que ses collègues, il courait au-devant de la Reine, s'empressait de le lui annoncer et lui disait avec l'expression du contentement le plus marqué : « Maman, c'est aujourd'hui món» sieur un tel. »

Un jour, comme il avait les yeux fixés sur un municipal qu'il dit reconnaître, celui-ci lui demanda dans quel endroit il l'avait vu. Le jeune Prince refusa constamment de répondre; puis se penchant vers la Reine : « C'est, lui dit-il à voix basse, dans notre voyage de Varennes. »

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Le trait suivant offre une nouvelle preuve de sa sensibilité. Un tailleur de pierres était occupé à faire des trous à la porte de l'antichambre pour y placer d'énormes verroux; le jeune Prince, pendant que cet ouvrier déjeûnait, s'amusait avec ses outils le Roi prit des mains de son fils le marteau et le ciseau, lui montrant comment il fallait s'y prendre. Il s'en servit pendant quelques momens. Le maçon, attendri de voir ainsi le Roi

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travailler, dit à Sa Majesté : « Quand vous sortirez » de cette tour, vous pourrez dire que vous avez >> travaillé vous-même à votre prison.» « Ah! répondit le Roi, quand et comment en sortirai» je ? » Monsieur le Dauphin versa des larmes : de Roi laissa tomber le ciseau et le marteau, et rentrant dans sa chambre il s'y promena à grands pas (1).

Le 2 décembre, la municipalité du 10 août fut remplacée par une autre sous le titre de municipalité provisoire. Beaucoup de municipaux furent réélus ; je crus d'abord que cette nouvelle municipalité serait mieux composée que l'ancienne, et

(1) « L'abbé Davaux, lors du départ du roi pour Varennes, avait été quelque temps sans pouvoir donner des leçons à M. le Dauphin. Comme il les prenait un jour en présence de la Reine, le jeune Prince désira de commencer par la grammaire.»

« Volontiers, lui dit son instituteur, votre dernière leçon » avait eu pour objet s'il m'en souvient, les trois degrés de >> comparaison, le positif, le comparatif et le superlatif. Mais » vous avez tout oublié. »—« Vous vous trompez, répliqua M. le » dauphin. Pour preuve, écoutez-moi. Le positif c'est quand » je dis, mon abbé est un bon abbé; le comparatif, quand je >> dis mon abbé est meilleur qu'un autre abbé; le superlatif, >> continua-t-il en fixant la Reine, c'est lorsque je dis, maman >> est la plus tendre et la meilleure des mamans. >> La Reine prit M. le Dauphin dans ses bras, le pressa contre son cœur, et ne put retenir ses larmes.

(Huë, dernières années de Louis XVI. )

(Note des nouveaux éditeurs.)

j'espérais quelques changemens favorables dans le régime de la prison. Je fus trompé dans mon attente. Plusieurs de ces nouveaux commissaires me donnèrent lieu de regretter leurs prédécesseurs; ceux-ci étaient plus-grossiers, mais il m'était aisé de profiter de leur indiscrétion naturelle pour apprendre tout ce qu'ils savaient. Je dus étudier les commissaires de cette nouvelle municipalité pour distinguer leur conduite et leur caractère; les premiers étaient plus insolens, la méchanceté des seconds était bien plus réfléchie.

Jusqu'à cette époque, il n'y avait eu auprès du Roi qu'un seul municipal, et un autre auprès de la Reine; la nouvelle municipalité ordonna qu'il y en aurait deux, et dès lors il me fut beaucoup plus difficile de parler au Roi et aux Princesses ;; d'un autre côté, le conseil qui, jusque-là, s'était tenu dans une des salles du palais du Temple, fut transféré dans une pièce de la tour au rez-dechaussée. Les nouveaux municipaux voulaient surpasser le zèle des anciens, et ce zèle ne fut qu'une émulation de tyrannie.

Le 7 décembre, un municipal, à la tête d'une députation de la commune, vint lire au roi un arrêté qui ordonnait d'ôter aux détenus, « cou>>teaux, rasoirs, ciseaux, canifs, et tous autres >> instrumens tranchans dont on prive les prison»niers présumés criminels, et d'en faire la plus >> exacte recherche, tant sur leurs personnes que » dans leurs appartemens. » Pendant cette lecture,

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