Page images
PDF
EPUB

Tourzel se réfugièrent dans la chambre à coucher du Roi; on y remarquait les dames Thibaut, Neuville, Brunier, Navarre, Bazile, ainsi que plusieurs autres personnes dont nous n'avons pu conserver les noms. Toutes, en ce moment, faisaient preuve d'un courage proportionné à la grandeur du danger.

A neuf heures, un coup de mousquet tiré de la cour sur le château, fit voler quelques éclats de pierre. Soit par une suite naturelle de la provocation du dehors, soit par le fait de gens que les factieux avaient apostés dans le palais même, pour répondre à la première agression, on riposta de l'intérieur du château par plusieurs coups de fusil. Aussitôt partit, de la place du Carrousel, une décharge de canons; mais elle fut ajustée avec tant de maladresse ou de précipitation que, malgré le peu de distance, les boulets ne frappèrent que l'extrémité des toits. Ainsi, s'engagea ce combat dont les suites furent si funestes.

Au bruit de cette décharge, que le Roi pouvait croire être partie du château, l'indignation se peignit sur son visage : « J'ai défendu de tirer, » s'écria-t-il. Cette défense, écrite de la main du Roi, avait été remise à un officier suisse (le baron de Durler) : à l'instant, un second ordre fut expédié. Le Roi enjoignait aux Suisses d'évacuer le château, et à leurs chefs de se rendre auprès de lui. Un courrier alla en toute diligence au devant d'une division de Gardes Suisses qui venait de Courbevoie, et lui apporta l'ordre de rétrograder. En même temps, la Reine chargea un gentilhomme de rallier quelques gardes nationaux de bonne volonté, de courir avec eux au château et de délivrer les dames et autres personnes qui y étaient enfermées. Aucun garde national ne voulut partager l'honneur de cette périlleuse commission.

Aux premiers coups tirés du château, les assaillans effrayés se dispersèrent; ils se précipitèrent par la porte Royale, dans la place du Carrousel; les canonniers abandonnèrent

leurs pièces, en un moment les cours furent évacuées; le pavé fut couvert de fusils, de piques, de bonnets de grenadiers, d'armes de toutes espèces. Mais les fuyards, voyant que la force armée était peu nombreuse, qu'il y avait même de la division parmi la garde nationale et qu'on ne les poursuivait pas, reprirent bientôt courage et revinrent à la charge. Le canon tonna à coups redoublés ; le feu éclata dans les bâtimens qui fermaient et séparaient les cours du palais; de toutes parts retentissaient l'explosion de la mousqueterie et le choc des armes. Enfin la populace fondit, avec tout l'avantage de sa masse, sur les entrées du château : elle y pénétra; elle y porta le carnage. Les corridors, les appartemens, les moindres réduits furent arrosés de sang et encombrés de cadavres. La cruauté des assassins épuisa sur leurs victimes tous les genres de tortures

La populace, toujours atroce quand elle triomphe, fit à peine grâce à quelques-uns des habitans ou employés du château.

La mort frappait de toutes parts. Un grand nombre de soldats suisses, traînés à la place de Grève, y furent égorgés: on égorgea, dans leurs loges, les Suisses des portes.

La plume se refuse à décrire les outrages infâmes qu'exercèrent des hommes, et même des femmes, sur les cadavres des victimes. Les barbaries ne suffirent pas à la rage du peuple. Plusieurs logemens dépendans du château furent pillés ou brûlés. La maison de M. de La Borde, ancien premier valet de chambre de Louis XV, fut réduite en cendres. Enfin, quand le fer et la flamme eurent cessé leurs ravages, l'Assemblée législative, jusqu'alors tranquille spectatrice de l'évènement, sortit de son apathie; mais ce fut pour mettre le sceau à l'insurrection. Le député Vergniaud, organe de la commission extraordinaire, composée en grande partie de députés de la Gironde et de leurs partisans, monta à la tribune : : « La mesure, dit-il, que je viens vous proposer est rigoureuse, mais je m'en rapporte à la douleur qui vous pénètre pour

>> juger combien il importe au salut de la patrie que vous l'a» doptiez sans délai. » Aussitôt il proposa qu'une Convention nationale serait convoquée, qu'en attendant que le peuple français eût expliqué par elle sa volonté, et que le règne de la liberté et de l'égalité fût établi, le chef du pouvoir exécr if serait provisoirement suspendu ; qu'un nouveau ministère serait organisé; que le paiement de la liste civile serait interrompu, et qu'il y serait substitué un traitement pécuniaire provisoire; qu'enfin il serait préparé au Luxembourg un logement pour le Roi. Cette motion était à peine adoptée que l'Assemblée, ayant appris que la fermentation continuait, ordonna qu'une analyse de son décret serait publiée dans tous les carrefours de la capitale. Les affiches portaient : « Le Roi est sus>> pendu; sa famille et lui restent en ôtage; le ministère actuel » n'a plus la confiance de la nation, l'assemblée va procéder » à le remplacer; la liste civile est supprimée. »

Voilà donc l'attentat de cette journée sanctionné par l'assemblée elle-même ! La France n'a plus de Roi! Une étroite prison va remplacer le trône de Louis! Il n'en sortira que pour aller à l'échafaud! Sa mort ne sera point vengée, ou, si le ciel lui suscite des vengeurs, quel serà leur sort!

Extrait des mémoires de M. Huë.

(B), page 9.

Échappé au danger (1) qui, le dix août, avait menacé mes jours, j'appris, le lendemain de bonne heure, que la famille royale avait passé la nuit dans l'ancien couvent des Feuillans. Empressé d'y pénétrer, je traversai les cours et le jardin des Tuileries en détournant les yeux des cadavres encore épars.

(1) Au moment où les séditieux portèrent dans le château la fureur et le carnage, plusieurs des portes se trouvèrent fermées. Le désordre fnt alors à son comble, chacun courait, se poussait, et s'efforçait d'échapper à la mort. Ne sachant moi-même comment la fuir, je me

Enfin, après avoir franchi tous les obstacles, j'arrivai à la chambre du Roi. Il était encore dans son lit, ayant la tête couverte d'une toile grossière. Ses regards attendris se fixèrent sur moi; il me fit approcher, et, me serrant la main, il me demanda avec un vif intérêt le détail de ce qui s'était passé au château depuis son départ. Oppressé par ma douleur et mes sanglots je pouvais à peine m'exprimer. J'appris au Roi la mort de plusieurs personnes qu'il affectionnait, entre autres celle du chevalier d'Alonville, sous-gouverneur du dauphin, mort en 1789, et celle de quelques-uns des officiers de la chambre, de Sa Majesté. « J'ai du moins, me dit le Roi avec émotion, la >> consolation de vous voir sauvé de ce massacre. » Je trouvai auprès de Sa Majesté plusieurs gentilshommes et quelques personnes de la famille royale.

Le Roi et sa famille occupaient dans un corridor, autrefois le dortoir des religieux, le logement de l'architecte de la salle des séances; il consistait en quatre cellules, communiquant les unes aux autres. La première formait une antichambre. Le Roi couchait dans la seconde ; la troisième était occupée par la Reine et par madame Royale; la quatrième l'était par monsieur le Dauphin et par mademoiselle de Tourzel; enfin madame Élisabeth et la princessede Lamballe avaient dans le même corridor une seule chambre.

Une garde nombreuse veillait à toutes les issues du corridor; personne ne pouvait, même pour le service, passer sans être arrêté ou questionné. L'inspecteur de la salle des séances distribuait des cartes de laissez-passer.

précipitai, ainsi que plusieurs personnes, par une des fenêtres du palais, donnant sur le jardin des Tuileries, et je le traversai sous un feu de mousqueterie qui renversait un grand nombre de Suisses. Poursuivi au delà de ce jardin, je n'eus d'autre ressource que de me jeter dans la Seine. Les forces allaient m'abandonner quand heureusement, j'atteignis un bateau : j'y entrai; le batelier me sauva.

(C), page 11.

L'âme navrée de douleur la famille royale arriva au Temple. Santerre fut la première personne qui se présenta dans la cour où l'on descendit. Il fit aux officiers municipaux un signe que dans le moment je ne pus interpréter. Depuis que j'ai connu les localités du Temple, j'ai jugé que l'objet de ce signe était de conduire dès l'instant de son arrivée le Roi dans la tour. Un mouvement de tête, de la part des officiers municipaux, annonça qu'il n'était pas encore temps.

La famille royale fut introduite dans la partie des bâtimens dite le palais, demeure ordinaire de monseigneur comte d'Artois quand il venait à Paris. Les municipaux se tenaient auprès du Roi le chapeau sur la tête, et ne lui donnaient d'autre titre que celui de monsieur. Un homme à longue barbe que j'avais pris d'abord pour un Juif, affectait de répéter à tout propos cette qualification. Quelques-uns des municipaux qui, dans cette circonstance, se montrèrent si atroces, parurent depuis repentans de leur conduite et sincèrement affligés de la captivité du Roi.

Le jour de l'emprisonnement de la famille royale semblait être un jour de fête pour le peuple de Paris; il se portait en foule autour du Temple, criant avec fureur! Vive la nation! Des lampions, placés sur les parties saillantes des murs extérieurs du Temple, éclairaient la joie barbare de cette aveugle multitude.

Dans la persuasion où était le Roi, que désormais le palais du Temple allait être sa demeure, il voulut en visiter les appartemens. Tandis que les municipaux se faisaient un plaisir cruel de l'erreur du Roi pour mieux jouir ensuite de sa surprise, Sa Majesté se plaisait à faire d'avance la distribution des divers logemens. Aussitôt l'intérieur du Temple fut garni de nombreux factionnaires. La consigne était si sévère, qu'on ne

« PreviousContinue »