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bien, Mais la folie de madame Tison augmentait; elle parlait tout haut de ses fautes, de ses dénonciations, de prison, d'échafaud, de la Reine, de sa famille, de nos malheurs; se reconnaissant, par ses fautes, indigne d'approcher mes parens. Elle croyait que les personnes qu'elle avait dénoncées avaient péri. Tous les jours elle attendait les municipaux qu'elle avait accusés; et ne les voyant pas, elle se couchait encore plus triste. Elle faisait des rêves affreux qui lui faisaient pousser des cris que nous entendions. Les municipaux lui permirent de voir sa fille, qu'elle aimait. Un jour que le portier, qui ne savait pas cet ordre, lui avait refusé l'entrée, les municipaux, voyant la mère désespérée, la firent venir à dix heures du soir. Cette heure effraya encore plus cette femme; elle eut beaucoup de peine à se résoudre à descendre, et dans l'escalier elle disait à son mari: On va nous conduire en prison. Elle vit sa fille, mais ne put la reconnaître ; elle croyait toujours qu'on voulait l'arrêter. Elle remonta avec un municipal, et au milieu de l'escalier elle ne voulait plus ni monter ni descendre. Le municipal effrayé appela du monde pour la faire monter; arrivée en haut, elle ne voulut pas se coucher; elle ne fit que parler et crier, ce qui empêcha mes parens de dormir. Le lendemain, le médecin la vit et la trouva tout-àfait folle. Elle était toujours aux genoux de ma mère, lui demandant pardon. Il est impossible d'avoir plus de pitié que ma mère et ma tante pour

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cette femme dont assurément elles n'avaient pas lieu de se louer (1). Elles la soignèrent et l'encouragèrent tout le temps qu'elle resta au Temple dans cet état. Elles tâchaient de la calmer par l'assurance véritable de leur pardon. Le lendemain, on la fit sortir de la tour, et on la mit au château ; mais sa folie augmentant de plus en plus, on la transporta à l'Hôtel-Dieu, et l'on mit auprès d'elle une femme chargée de l'espionner et de recueillir ce qui pourrait lui échapper (2). Les municipaux nous demandèrent du linge pour la femme qui en avait eu soin pendant qu'elle était au château du Temple (3).

(1). Voici un exemple des bontés de la Reine : nous recueillons ce fait dans les fragmens historiques de Turgy:

« La Reine ayant été malade pendant la journée du lendemain, et n'ayant pris aucun aliment, me fit dire de lui apporter un bouillon. Au moment où je le lui présentai, cette princesse, apprenant que la femme Tison se trouvait indisposée, ordonna qu'on lui portât ce bouillon ce qui fût exécuté. Je priai alors un des municipaux de me conduire à la bouche, pour y aller prendre un autre bouillon; aucun d'eux ne voulut m'y accompagner, et Sa Majesté fut obligée de s'en passer.

(Note des nouveaux éditeurs.) (2) Voyez dans les Éclaircissemens (R), comment Turgy rend compte de cette aventure.

(Note des nouveaux éditeurs.) (3) Turgy nous fournit encore cet exemple de la bonté de la Reine pour cette malheureuse femme :

« Les avis de l'honnête M. Follope nous rendirent encore

Le 3 juillet, on nous lut un décret de la Convention qui portait que mon frère serait séparé de nous et logé dans l'appartement le plus sûr de la tour. A peine l'eut-il entendu, qu'il se jeta dans les bras de ma mère, en poussant les hauts cris et demandant à n'être pas séparé d'elle. De son côté, ma mère fut attérée par ce cruel ordre; elle ne voulut pas livrer mon frère, et défendit contre les municipaux le lit où elle l'avait placé. Ceux-ci, voulant absolument l'avoir, menaçaient d'employer la violence et de faire monter la garde. Ma mère leur dit qu'ils n'avaient donc qu'à la tuer avant de lui arracher son enfant; et une heure se passa ainsi en résistance de sa part, en injures, en menaces de la part des municipaux, en pleurs et en défenses de nous tous. Enfin, ils la menacèrent si positivement de le tuer ainsi que moi, qu'il fallut qu'elle cédât encore par amour pour nous. Nous le levâmes ma tante et moi, car ma pauvre mère n'avait plus de force; et, après qu'il fut habillé, elle le prit et le remit entre les mains des municipaux,

plus réservés. Ce ne fut que le surlendemain que la Reine, en me rendant la serviette, parvint à me glisser un papier sur lequel Sa Majesté avait écrit ces questions:

Que crie-t-on sous nos barreaux (ici, plusieurs mots illisisibles)? Ma sœur demande peut-être du lait d'amande ? La commune est-elle relevée? La femme Tison est-elle aussi folle qu'on le dit? pense-t-on à la remplacer auprès de nous? Est-elle bien soignée?

(Note des nouveaux éditeurs.)

en le baignant de ses pleurs, prévoyant qu'à l'avenir elle ne le verrait plus. Ce pauvre petit nous embrassa toutes bien tendrement, et sortit en fondant en larmes avec les municipaux. Ma mère les chargea de demander au conseil général la permission de voir son fils, ne fût-ce qu'aux heures des repas; ils le lui promirent. Elle se trouvait accablée par cette séparation; mais la désolation fut au comble quand elle sut que c'était Simon, cordonnier, qu'elle avait vu municipal, que l'on avait chargé de la personne de son malheureux enfant. Elle demanda sans cesse à le voir et ne put l'obtenir; mon frère, de son côté, pleura deux jours entiers, en ne cessant de demander à

nous voir.

Les municipaux ne restèrent plus chez ma mère; nous fûmes nuit et jour enfermées sous les verroux. Ce nous était un adoucissement d'être débarrassées de la présence de pareilles gens. Les gardes ne venaient plus que trois fois par jour pour apporter les repas et faire la visite des fenttres, afin de s'assurer si les barreaux n'étaient pas dérangés. Nous n'avions plus personne pour nous servir, et nous l'aimions mieux; ma tante et moi nous faisions les lits et nous servions ma mère. Nous montions sur la tour bien souvent, parce que mon frère y allait de son côté, et que le seul plaisir de ma mère était de le voir passer de loin par une petite fente. Elle y restait des heures entières pour y guetter l'instant de voir cet

enfant; c'était sa seule attente, sa seule occupation. Elle n'en savait que rarement des nouvelles, soit par les municipaux, soit par Tison qui voyait quelquefois Simon (1). Tison, pour réparer sa conduite passée, se conduisait mieux, et donnait quelques nouvelles à mes parens. Quant à Simon, il maltraitait mon frère au-delà de tout ce qu'on peut imaginer, et d'autant plus qu'il pleurait d'être séparé de nous; enfin il l'effraya tellement, que ce pauvre enfant n'osait plus verser de larmes. Ma tante engagea Tison et ceux qui, par pitié, nous en donnaient des nouvelles, à cacher

(1) « Déjà Louis XVII, arraché des bras de la Reine, avait été séquestré dans la partie de la tour que le roi avait occupée. Là, ce jeune prince, que quelques-uns des régicides appelaient le louveteau du Temple, était abandonné aux brutalités d'un monstre nommé Simon, autrefois cordonnier, ivrogne, joueur, débauché. L'âge, l'innocence, l'infortune, la figure céleste, la langueur et les larmes de l'enfant royal, rien ne pouvait attendrir ce gardien féroce. Un jour, étant ivre, peu s'en fallut qu'il n'arrachât d'un coup de serviette l'oeil de ce jeune prince que, par raffinement d'outrage, il avait contraint de le servir à table. Il le battait sans pitié.

Un jour, dans un accès de rage, il prit un chenet, et, l'ayant levé sur lui, il le menaça de l'assommer. L'héritier de tant de rois n'entendait à chaque instant que des mots grossiers et des chansons obscènes. « Capet, lui dit un jour Simon, » si ces Vendéens te délivraient, que ferais-tu ? » — « Je vous pardonnerais, » lui répondit le jeune Roi.

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(Huë, dernières années de Louis XVI.)

(Note des nouveaux éditeurs.)

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