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mère et ma tante de le signer, en les menaçant de nous emmener mon frère et moi si elles s'y refusaient. Ils étaient furieux de n'avoir trouvé que des bagatelles. Trois jours après, ils revinrent et demandèrent ma tante en particulier; alors ils l'interrogèrent sur un chapeau qu'ils avaient trouvé dans sa chambre : ils voulurent savoir d'où il lui venait, depuis quand elle le conservait, et pourquoi elle l'avait gardé (1). Elle répondit qu'il avait appartenu à mon père dans le commence

(1) Voici un autre exemple de cette inquisition rigoureuse qui s'exerçait sur les moindres objets.

Séance de la commune de Paris, 30 avril 1793.

Le secrétaire-greffier donne lecture d'un avis du conseil du Temple, par lequel il annonce que le citoyen Volf, cordonnier, s'est présenté avec six paires de souliers destinés aux prisonniers du Temple; que cette fourniture ayant paru suspecte elle a été arrêtée.

Le conseil général nomme Canon et Simon, pour se transporter au Temple pour vérifier les six paires de souliers, et savoir si dans leur contexture il n'existe rien de suspect, et arrête; 1o. que désormais, lorsque les prisonniers du Temple auront besoin de quelques effets d'habillement, des commissaires ad hoc seront chargés d'acquérir les objets dans les magasins, et que, dans le cas où il serait nécessaire de faire travailler, l'ouvrage sera confié à des citoyens connus, qui euxmêmes ne sauront pas pour qui ils travaillent.

2°. Que les fournitures de tout genre destinées auxdits prisonniers, seront toujours bornées au simple nécessaire.

Extrait du registre XVI, page 11,594.

(Note des nouveaux éditeurs.)

ment de sa captivité au Temple, et qu'elle le lui avait demandé, afin de le conserver pour l'amour de son frère. Les municipaux dirent qu'ils allaient lui ôter ce chapeau comme chose suspecte; ma tante insista pour le garder, mais elle ne put l'obtenir; ils la forcèrent de signer sa réponse, et emportèrent le chapeau.

Ma mère montait tous les jours sur la tour pour nous faire prendre l'air. Depuis quelque temps mon frère se plaignait d'un point de côté; le 6 mai, à sept heures du soir, la fièvre le prit assez fortement, avec mal à la tête, et toujours le point de côté, Dans les premiers instans il ne pouvait rester couché parce qu'il étouffait. Ma mère s'inquiéta et demanda un médecin aux municipaux. Ils l'assurèrent que cette maladie n'était rien, et que sa tendresse maternelle s'effrayait mal à propos; cependant ils en parlèrent au conseil, et demandèrent de la part de ma mère le médecin Brunier. Le conseil se moqua de la maladie de mon frère, parce que Hébert l'avait vu à cinq heures sans fièvre; on refusa absolument Brunier que Tison avait dénoncé peu de temps avant. Cependant la fièvre devint très-forte. Ma tante eut la bonté de venir prendre ma place dans la chambre de ma mère, pour que je ne couchasse pas dans l'air de la fièvre, et aussi pour l'aider à soigner mon frère; elle prit mon lit, et moi j'allai coucher dans sa chambre. La fièvre continua plusieurs jours, les accès étaient plus forts le soir.

Quoique ma mère demandât un médecin, on fut plusieurs jours sans l'accorder. Enfin, un dimanche arriva Thierry, médecin des prisons, nommé par la commune pour soigner mon frère (1). Comme il vint le matin, il lui trouva peu de fièvre; mais ma mère lui ayant dit de revenir après le dîner, il la trouva très-forte, et désabusa les municipaux de l'idée qu'ils avaient que ma mère s'inquiétait pour rien; il leur dit au contraire que c'était plus sérieux qu'elle ne le pensait. Il eut l'honnêteté d'aller consulter Brunier sur la maladie de mon frère, et sur les remèdes qu'il

(1). Nous donnons içi l'arrêté de la commune, qui prouvera cette nomination. Il est inutile de répéter ici, que nous transcrivons, dans leurs grossières, dans leurs injurieuses expressions, ces documens restés jusqu'alors inédits.

>>

Extrait du registre XVI, page 11,718.

Séance du 9 mai 1793.

Le conseil général délibérant sur la maladie annoncée, du fils de défunt Capet, et sur la demande de Marie-Antoinette, d'un médecin pour le soigner; arrête que demain il entendra, à ce sujet, les commissaires qui sont aujourd'hui de service au Temple. »

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Après avoir entendu la lecture d'une lettre des commissaisaires qui sont de service au Temple, et qui annoncent que le petit Capet est malade, le conseil général arrête que le médecin ordinaire des prisons ira saigner le petit Capet; attendu que ce serait blesser l'égalité, que de lui en envoyer

un autre. >>

Extrait du registre XVI, page 11,730.

(Note des nouveaux éditeurs.)

fallait lui donner, parce que Brunier connaissait son tempérament (il était notre médecin dès l'enfance). Il lui donna quelques médicamens qui lui firent du bien. Le mercredi, il lui fit prendre médecine, et le soir je revins coucher dans la chambre de ma inère; elle avait beaucoup d'inquiétude à cause de cette médecine, parce que la dernière fois que mon frère avait été purgé, il avait eu des convulsions affreuses; elle craignait qu'il n'en eût encore. Elle ne dormit pas de la nuit. Mon frère cependant prit sa médecine, et elle lui fit bien sans lui causer aucun accident. Quelques jours après, il en prit une seconde qui lui fit le même bien, excepté qu'il se trouva mal, mais par l'effet de la chaleur. Il n'eut plus que quelques accès de fièvre de temps en temps, et souvent son point de côté. Sa santé commença alors à s'altérer, et elle ne s'est jamais remise depuis; le manque d'air et d'exercice lui ayant fait beaucoup de mal, ainsi que le genre de vie que menait ce pauvre enfant qui, à l'âge de huit ans, se trouvait toujours au milieu des larmes et des secousses, des saisissemens et des terreurs continuelles.

Depuis quelque temps je couchais dans la chambre de ma mère, dans la crainte qu'elle ou mon frère ne se trouvât mal la nuit. Mais pendant sa maladie, ma tante était venue prendre ma place.

Le 31 mai nous entendimes battre la générale et sonner le tocsin, sans qu'on voulût nous dire pourquoi il y avait tant de bruit. On défendit de

nous laisser monter sur la tour pour prendre l'air; défense qui avait toujours lieu quand Paris était en rumeur. Au commencement de juin, Chaumette vint avec Hébert un soir à six heures, et demanda à ma mère si elle ne désirait rien, et si elle n'avait point de plaintes à former. Elle répondit non, et cessa de faire attention à lui. Ma tante demanda à Hébert le chapeau de mon père qu'il avait emporté; il dit que le conseil général n'avait pas jugé à propos de le lui rendre. Ma tante, voyant que Chaumette ne s'en allait point, et sachant combien ma mère souffrait intérieurement de sa présence, lui demanda pourquoi il était venu et pourquoi il restait : Chaumet te lui dit qu'il avait fait la visite des prisons, et que toutes les prisons étant égales, il était venu au Temple. Ma tante lui répondit que non, parce qu'il y avait des personnes qu'on retenait justement et d'autres injustement. Ils étaient ivres tous les deux. Mon frère se trouva mal la nuit; le jour suivant, Thierry étant venu avec un chirurgien nommé Soupé et un autre nommé Jupales, cette incommodité n'eut pas de suite.

Madame Tison devint folle; elle était inquiète de la maladie de mon frère, et depuis long-temps tourmentée de remords; elle languissait et ne voulait plus prendre l'air. Elle se mit un jour à parler toute seule. Hélas! cela me fit rire, et ma pauvre mère, ainsi que ma tante, me regardaient avec complaisance, comme si mon rire leur faisait du

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