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la tour, et on boucha tous les trous avec soin (1). Le 25 mars, le feu prit à la cheminée. Le soir, Chaumette, procureur de la commune, vint pour la première fois reconnaître ma mère et lui demander si elle ne désirait rien. Ma mère demanda seulement une porte de communication avec la chambre de ma tante (les deux terribles nuits que nous avions passées chez elle, nous avions couché, ma tante et moi, sur un de ses matelas par terre). Les municipaux s'opposèrent à cette demande; mais Chaumette dit que dans l'état de dépérissement où était ma mère, cela pourrait être nécessaire à sa santé, et qu'il en parlerait au conseil général. Le lendemain, il revint à dix heures

(1) Voici l'arrêté pris par la commune à ce sujet. Extrait du registre n°. XV, page 11,227.

Séance du 26 mars 1793.

« Le conseil général passe à l'ordre du jour sur la dénonciation faite par un des membres contre un de ses collègues relativement à des conversations particulières avec les détenus du Temple. >>

« Le conseil général, maintenant ses précédens arrêtés, déclare qu'à compter de ce soir les membres qui seront nommés pour aller au Temple se présenteront au bureau pour y passer par la censure du conseil. Arrête en outre 1°. que les guichets resteront toujours fermés; 2°. que la promenade sur la plateforme de la tour continuera d'être permise aux prisonniers, mais qu'on joindra les créneaux par des jalousies qui, en laissant libre cours à l'air, empêchent de voir et d'être vus. »

(Note des nouveaux éditeurs.)

209 du matin avec Pache, le maire, et cet affreux Santerre, commandant général de la garde nationale. Chaumette dit à ma mère qu'il avait parlé au conseil-général de sa demande pour la porte, et qu'elle avait été refusée. Elle ne répondit rien. Pache lui demanda si elle n'avait point de plaintes à porter. Ma mère dit : Non, et ne fit plus attention à ce qu'il disait. Quelque temps après, il se trouva de garde des municipaux qui adoucirent un peu nos chagrins par leur sensibilité (1). Nous connaissions de suite à qui nous avions affaire, ma mère surtout, qui nous a préservés plusieurs fois de nous livrer à de faux témoignages d'intérêt. Il y eut aussi un autre homme qui rendit des services à mes parens. Je connais tous ceux qui s'intéressèrent à nous, je ne les nomme pas, de peur de les compromettre dans l'état où sont les choses, mais leur souvenir est gravé dans mon cœur; si je ne puis leur en marquer ma reconnaissance, Dieu les récompensera; mais si un jour je puis les nommer, ils seront aimés et estimés de toutes les personnes vertueuses.

Les précautions redoublèrent (2); on empêcha Tison de voir sa fille; il en prit de l'humeur. Un

(1) C'étaient Toulan, Lepitre, Beugneau, Vincent, Bruno, Michonis, Merle.

(2) Les deux arrêtés suivans de la commune feront juger de ces précautions.

soir, un étranger apporta des effets à ma tante; il se mit en colère de voir que cet homme entrait plutôt que ses parens; il dit des choses qui engagèrent Pache, qui était en bas, à le faire des

Extrait du registre n°. 15, page 11,312 et suiv.

Séance du 1er avril 1793.

Sur le réquisitoire du procureur de la commune,
Le conseil arrête :

1o. Qu'aucune personne de garde au Temple ou autrement ne pourra y dessiner quoi que ce soit ; et que si quelqu'un est surpris en contravention au présent arrêté, il sera sur-le-champ mis en état d'arrestation et amené au conseil général faisant en cette partie les fonctions de gouverneur.

2o. Enjoint aux commissaires du conseil de service au Temple de ne tenir aucune conversation familière avec les personnes détenues, comme aussi de ne se charger d'aucune commission pour elles.

3o. Défenses sont pareillement faites auxdits commissaires de rien changer ou innover aux anciens réglemens pour la police de l'intérieur du Temple.

4°. Qu'aucun employé au service du Temple ne pourra en trer dans la tour.

5°. Qu'il y aura toujours deux commissaires auprès des prisonniers.

6°. Que Tison et sa femme ne pourront sortir de la tour, ni communiquer avec qui que ce soit du dehors.

7°. Qu'aucun commissaire au Temple ne pourra envoyer de lettres, sans qu'elles aient été préalablement lues au conseil du Temple;

8°. Lorsque les prisonniers se promèneront sur la plateforme de la tour, ils seront toujours accompagnés de trois

cendre. On lui demanda pourquoi il était si mécontent. De ne pas voir ma fille, répondit-il, et de ce que certains municipaux ne se conduisent pas bien (parce qu'ils parlaient bas à ma tante et à ma mère). On lui demanda les noms; il les donna, et affirma que nous avions des correspondans au dehors (1). Pour en fournir des preuves,

commissaires et du commandant du poste qui les surveilleront scrupuleusement.

9°. Que, conformément aux précédens arrêtés, les membres du conseil qui seront nommés pour faire le service du Temple, passeront à la censure du conseil général, et, sur la réclamation non motivée d'un seul membre, ils ne pourront être admis.

10o. Et enfin que le département des travaux publics fera exécuter dans le jour de demain, les travaux mentionnés dans son arrêté du 26 mars 1793, savoir le déblaiment du contour de l'ancienne chapelle, et la jointure des créneaux du haut de la tour.

Sur l'observation d'un membre, qu'il a vu dans la chambre où travaillait Rocher un plan de la tour du Temple sous les scellés apposés,

Le conseil général arrête, que le procureur de la commune s'entendra avec le citoyen Rocher, pour savoir ce que peut être devenu ce plan, et en quel état sont les scellés apposés. Et sur pareille dénonciation que, dans les bureaux des travaux publics, il existe un semblable plan de la tour duTemple, Le conseil général arrête qu'il sera déposé aux archives de la municipalité.

(Note des nouveaux éditeurs.)

(1) M. Huë donne à ce sujet quelques détails intéressans et qui confirment ce passage. Voyez les Éclaircissemens (Q);?

(Note des nouveaux éditeurs.)

il dit qu'un jour, au souper, ma mère, tirant son mouchoir, laissa tomber un crayon; qu'une autre fois, chez ma tante, il avait trouvé des pains à cacheter et une plume dans une boîte. Après cette dénonciation qu'il signa, on fit venir sa femme, qui répéta la même chose; elle accusa plusieurs municipaux, assurant que nous avions eu une correspondance avec mon père, pendant son procès, et elle dénonça mon médecin Brunier qui me traitait pour le mal au pied, comme nous ayant appris des nouvelles : elle signa tout cela, entraînée par son mari; mais elle en eut dans la suite bien des remords. Cette dénonciation fut faite le 19 avril; elle vit sa fille le lendemain. Le 20 à dix heures et demie du soir, ma mère et moi nous venions de nous coucher, lorsque Hébert arriva avec plusieurs autres municipaux; nous nous levâmes précipitamment. Ils nous lurent un arrêté de la commune qui ordonnait de nous fouil ler à discrétion, ce qu'ils firent exactement jusque sous les matelas. Mon pauvre frère dormait; ils l'arrachèrent de son lit avec dureté pour fouiller dedans; ma mère le prit tout transi de froid. Ils ôtèrent à ma mère une adresse de marchand qu'elle avait conservée, un bâton de cire à cacheter qu'ils trouvèrent chez ma tante, et à moi ils me prirent un sacré coeur de Jésus et une prière pour la France. Leur visite ne finit qu'à quatre heures du matin. Ils firent un procès-verbal de tout ce qu'ils avaient trouvé, et forcèrent ma

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