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geworth dit la messe, à laquelle mon père. communia. Il partit vers neuf heures; en descendant l'escalier, il donna son testament à un municipal: il lui remit aussi une somme d'argent que M. de Malesherbes lui avait apportée, et le pria de la lui faire tenir; mais les municipaux la gardèrent pour eux. Il rencontra ensuite un guichetier qu'il avait repris un peu vertement la veille; il lui dit: Mathieu, je suis fáché de vous avoir offensé. Il lut les prières des agonisans pendant le chemin. Arrivé à l'échafaud, il voulut parler au peuple; mais Santerre l'en empêcha, en faisant battre le tambour le : peu de mots qu'il put prononcer ne fut entendu que de quelques personnes. Il se déshabilla alors tout seul; ses mains furent liées avec son mouchoir et non avec une corde. Au moment où il allait mourir, l'abbé lui dit : Fils de saint Louis, montez au ciel!

Il reçut le coup de la mort le 21 janvier 1793, à dix heures dix minutes du matin. Ainsi périt Louis XVI, roi de France, âgé de trente-neuf ans, cinq mois et trois jours, après avoir régné dixhuit ans; il avait été en prison cinq mois et huit jours.

Telle fut la vie du Roi, mon père, pendant sa rigoureuse captivité; on n'y voit que piété, grandeur d'âme, bonté, douceur, courage et patience à supporter les plus infâmes traitemens, les plus horribles calomnies; clémence pour pardonner de tout son cœur à ses assassins; amour de Dieu, de

sa famille et de son peuple, amour dont il donna des preuves jusqu'à son dernier soupir, et dont il est allé recevoir la récompense dans le sein d'un Dieu tout-puissant et miséricordieux.

Le matin de ce terrible jour, nous nous levâmes à six heures. La veille au soir, ma mère avait eu à peine la force de déshabiller et de coucher mon frère; elle s'était jetée tout habillée sur son lit, où nous l'entendîmes toute la nuit trembler de froid et de douleur. A six heures et un quart, on ouvrit notre porte, et on vint chercher un livre de prières pour la messe de mon père; nous crûmes que nous allions descendre, et nous eûmes toujours cette espérance, jusqu'à ce que les cris de joie d'une populace effrénée vinrent nous apprendre que le crime était consommé. Dans l'après-dîner, ma mère demanda à voir Cléry, qui était resté avec mon père jusqu'à ses derniers momens, pensant qu'il l'avait peut-être chargé de commissions pour elle. Nous désirions cette secousse pour causer un épanchement à son morne chagrin, qui la sauvât de l'étouffement où nous la voyions. En effet, mon père avait ordonné à Cléry de rendre à ma malheureuse mère son anneau de mariage, ajoutant qu'il ne s'en séparait qu'avec la vie ; il lui avait aussi remis un paquet des cheveux de ma mère et des nôtres, en disant qu'ils lui avaient été si chers, qu'il les avait gardés sur lui jusqu'à ce moment. Les municipaux nous apprirent que Cléry était dans un

état affreux, et au désespoir qu'on lui refusât de nous voir. Ma mère chargea des commissaires de sa demande pour le conseil général ; elle demandait aussi des habits de deuil (1). Cléry passa encore un mois au Temple, et fut ensuite élargi (2).

(1) Nous donnons ici l'arrêté de la commune relatif à ces demandes, et un second arrêté du même temps. On sait que nous copions scrupuleusement les registres sur lesquels ces arrêts sont écrits.

Extrait du registre XIV, page 10,782.

Séance du 23 janvier 1793.

Le conseil général entend la lecture d'un arrêté de la commission du Temple sur deux demandes faites par Antoinette. La première d'un habillement de deuil très-simple pour elle, sa sœur et ses enfans.

Le conseil général arrête qu'il sera fait droit à cette demande.

Extrait du registre XIV, page 10,888.

Séance du 7 février 1793.

Le conseil entend la lecture d'un arrêté de la commission du Temple sur la demande de Marie-Antoinette pour avoir quinze chemises pour son fils.

Le conseil genéral accorde cette demande.

(Note des nouveaux éditeurs)

(2) Arrêté plus tard, Cléry fut mis enfin en liberté, en vertu de l'arreté ci-dessous.

Nous eûmes un peu plus de liberté ; les gardes croyaient qu'on allait nous renvoyer. Mais rien n'était capable de calmer les angoisses de ma mère; on ne pouvait faire entrer aucune espérance dans son coeur : il lui était devenu indifférent de vivre ou de mourir. Elle nous regardait quelquefois avec une pitié qui faisait tressaillir. Heureusement le chagrin augmenta mon mal, ce qui l'occupa. On fit venir mon médecin Brunier et le chirurgien Lacaze; ils me guérirent en un mois.

Nous pûmes voir les personnes qui nous apportaient les habits de deuil, mais en présence des municipaux. Ma mère ne voulut plus descendre au jardin, parce qu'il fallait passer devant la porte de la chambre de mon père, et que cela

Extrait du registre no. XXII, page 13,270.

Séance de la 2o. décade. Brumaire.

« Le conseil, considérant qu'il n'y a pas de raison pour retenir plus long-temps en prison le citoyen Cléry, qui n'a été arrêté que par l'effet d'une mesure de sûreté générale; considérant en outre que le citoyen Cléry n'a conservé entre ses mains aucun dépôt qui puisse le rendre suspect, et qu'il a toujours rempli ses fonctions auprès de Louis Capet avec une scrupuleuse fidélité à la république, et qu'il n'a même pas réclamé ni reçu le don que lui avait fait Capet en récompense de ses services, arrête que le comité de sûreté générale de la Convention sera invité à rendre la liberté au citoyen Cléry.

(Note des nouveaux éditeurs.)

lui faisait trop de peine; mais, craignant que le défaut d'air fasse mal à mon frère et moi, elle demanda à la fin de février à monter sur la tour, ce qui lui fut accordé. On s'aperçut dans la chambre des municipaux que le paquet scellé, où étaient le cachet du Roi, son anneau et plusieurs autres choses, avait été ouvert, le scellé cassé, et les objets emportés. Les municipaux s'en inquiétèrent; mais ils crurent enfin qu'ils avaient été enlevés par un voleur qui savait que le cachet aux armes de France était garni d'or. La personne qui avait pris ces objets était bien intentionnée : ce n'était pas un voleur (1); elle l'avait fait pour le bien, parce que ma mère désirait que l'anneau et le cachet fussent conservés à son fils. Je sais quel est ce brave homme; mais, hélas! il est mort, non par suite de cette affaire, mais pour une autre bonne action. Je ne puis pas le nommer, espérant qu'il aura pu confier ces objets précieux à quelqu'un, avant de périr.

Dumouriez étant sorti de France, on nous resserra plus étroitement; on construisit le mur qui sépare le jardin, on mit des jalousies au haut de

(1) Cet homme est Toulan, dont il a été question dans les mémoires de Cléry. L'anneau et le cachet furent envoyés à Monsieur, aujourd'hui Sa Majesté Louis XVIII. Voyez les mémoires de M. le baron de Goguelat.

(Note des nouveaux éditeurs.)

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