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» vie si précieuse aux bons Français; espérez, » Sire, ils n'oseront vous frapper. » — « La mort » ne m'effraie point, j'y suis tout préparé : mais » vous, continua-t-il, ne vous exposez pas ; je vais » demander que vous restiez près de mon fils » donnez-lui tous vos soins dans cet affreux sé » jour; rappelez-lui, dites-lui bien toutes les peines que j'éprouve des malheurs qu'il ressent; » un jour peut-être il pourra récompenser votre » zèle. » — «‹ Ah! mon Maitre, ah! mon Roi, si » le dévouement le plus absolu, si mon zèle et >> mes soins ont pu vous être agréables, la seule récompense que je désire de Votre Majesté, c'est de recevoir votre bénédiction ne la refusez » pas au dernier Français resté près de vous. » J'étais toujours à ses pieds tenant une de ses mains dans cet état, il agréa ma prière, me donna sa bénédiction, puis me releva, et me serrant contre son sein : « Faites-en part à toutes les » personnes qui me sont attachées : dites aussi à » Turgy que je suis content de lui. Rentrez, ajouta » le Roi, ne donnez aucun soupçon contre vous. » Puis, me rappelant, il prit sur une table un papier qu'il y avait déposé : « Tenez, voici une let» tre que Pétion m'a écrite lors de votre entrée » au Temple, elle pourra vous être utile pour » rester ici. » Je saisis de nouveau sa main, que je baisai, et je sortis. « Adieu, me dit-il encore, >> adieu!.... »

Je rentrai dans ma chambre et j'y trouvai

M. de Firmont faisant sa prière à genoux devant mon lit. « Quel Prince, me dit-il en se relevant! » avec quelle résignation, avec quel courage il va >> à la mort! il est aussi calme, aussi tranquille, >> que s'il venait d'entendre la messe dans son » palais, et au milieu de sa cour.» « Je viens » d'en recevoir, lui dis-je, les plus touchans » adieux; il a daigné me promettre de demander » que je restasse dans cette tour auprès de son » fils : lorsqu'il sortira, monsieur, je vous prie de » le lui rappeler, car je n'aurai plus le bonheur » de le voir en particulier. » — << Soyez tran» quille, » me répondit M. de Firmont, et il rejoignit Sa Majesté.

A sept heures, le Roi sortit de son cabinet, m'appela; et, me tirant dans l'embrasure de la croisée, il me dit : « Vous remettrez ce cachet (1)

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(1) Étant parti de Vienne pour me rendre en Angleterre, je passai à Blankembourg, dans l'intention de faire hommage au Roi de mon manuscrit. Quand ce Prince en fut à cet endroit de mon journal, il chercha dans son secrétaire; et, me montrant avec émotion un cachet, il me dit : « Cléry, le reconnaissez-vous? » Ah! Sire, c'est le même. » « Si >> vous en doutiez, reprit le Roi, lisez ce billet. » Je le pris en tremblant..... Je reconnus l'écriture de la Reine, et le billet était de plus signé de M. le Dauphin alors Louis XVII, de madame Royale et de madame Élisabeth. Qu'on juge de la vive émotion que j'éprouvai! J'étais en présence d'un Prince que le sort ne se lasse pas de poursuivre. Je venais de quitter

» à mon fils,.... cet anneau (1) à la Reine; >> dites-lui bien que je le quitte avec peine.... Ce » petit paquet renferme des cheveux de toute ma >> famille; vous le lui remettrez aussi..... Dites à >> la Reine, à mes chers enfans, à ma soeur, que >> je leur avais promis de les voir ce matin, mais » que j'ai voulu leur épargner la douleur d'une » séparation si cruelle; combien il m'en coûte » de partir sans recevoir leurs derniers em>> brassemens!..... » Il essuya quelques larmes, puis il ajouta avec l'accent le plus douloureux :

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M. l'abbé de Firmont, et c'était le 21 janvier que je retrouvais dans la main de Louis XVIII ce symbole de la royauté, que Louis XVI avait voulu conserver à son fils. J'adorai les décrets de la Providence, et je demandai au Roi la permission de faire graver ce précieux billet. J'assistai à la messe que le Roi fit célébrer par M. l'abbé de Firmont, le jour du martyre de son frère. Les larmes que j'y ai vu répandre ne sont point étrangères à mon sujet.

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(Note de Cléry.)

(1) Cet anneau est entre les mains de MONSIEUR; il lui fut envoyé par la Reine et madame Élisabeth avec des cheveux du Roi. Un billet l'accompagnait (*).

(Note de Cléry:)

(*) Le cachet, les billets, l'anneau précieux dont il est question dans ces notes, étaient parvenus entre les mains des Princes, par le dévouement de M. de Jarjaye. Les mémoires de son ami, M. de Goguelat, contiennent la relation des services que ce sujet fidèle eut alors le bonheur de rendre à la famille royale. On trouvera dans la livraison des figures, le fac simile des billets dont parle Cléry.

(Note des nouveaux éditeurs.)

« Je vous charge de leur faire mes adieux ! .... » Il rentra aussitôt dans son cabinet.

Les municipaux qui s'étaient approchés, avaient entendu Sa Majesté, et l'avaient vue me remettre les différens objets que je tenais encore dans mes mains. Ils me dirent de les leur donner, mais l'un d'eux proposa de m'en laisser dépositaire, jusqu'à la décision du conseil; cet avis prévalut.

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- Un quart d'heure après, le roi sortit de son cabinet : « Demandez, me dit-il, si je puis avoir » des ciseaux, » et il rentra. J'en fis la demande aux commissaires. «< Savez-vous ce qu'il en veut » faire?»>« Je n'en sais rien. » — « Il faut le » savoir. » Je frappai à la porte du petit cabibinet, le Roi sortit. Un municipal qui m'avait suivi, lui dit : « Vous avez désiré des ciseaux ; » mais, avant d'en faire la demande au conseil, >> il faut savoir ce que vous en voulez faire. » Sa Majesté lui répondit : « C'est pour que Cléry » me coupe les cheveux. » Les municipaux se retirèrent; l'un d'eux descendit à la chambre du conseil où, après une demi-heure de délibération, on refusa les ciseaux. Le municipal remonta, et annonça au Roi cette décision. « Je n'aurais pas >> touché aux ciseaux, dit Sa Majesté; j'aurais désiré » que Cléry me coupât les cheveux en votre pré» sence; voyez encore, monsieur; je vous prie » de faire part de ma demande. » Le municipal retourna au conseil qui persista dans son refus.

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pour

Ce fut alors qu'on me dit qu'il fallait me disposer à accompagner le Roi le déshabiller sur l'échafaud à cette annonce, je fus saisi de terreur; mais, rassemblant toutes mes forces, je me préparais à rendre ce dernier devoir à mon maître, à qui cet office, fait par le bourreau, répugnait, lorsqu'un autre municipal vint me dire que je ne sortirais pas, et ajouta : Le bourreau est assez bon pour lui.

Paris était sous les armes depuis cinq heures du matin; on entendait battre la générale, le bruit des armes, le mouvement des chevaux, le transport des canons qu'on plaçait et déplaçait sans cesse, tout retentissait dans la tour.

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A neuf heures, le bruit augmente, les portes s'ouvrent avec fracas; Santerre, accompagné de sept à huit municipaux, entre à la tête de dix gendarmes et les range sur deux lignes. A ce mouvement le Roi sortit de son cabinet : « Vous venez >> me chercher? dit-il à Santerre. » — « Oui. » >> Je vous demande une minute, » et il rentra dans son cabinet. Sa Majesté en ressortit sur-lechamp, son confesseur le suivait; le Roi tenait à la main son testament; et, s'adressant à un municipal, nommé Jacques Roux, prêtre jureur, qui se trouvait le plus en avant : « Je vous prie de re» mettre ce papier à la Reine, à ma femme. » — << Cela ne me regarde point, répondit ce prêtre » en refusant de prendre l'écrit : je suis ici pour » vous conduire à l'échafaud. »

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