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grande chaleur; et, après bien des dangers, nous sortîmes de Paris par une brèche qui n'était point gardée.

Dans la plaine de Grenelle, nous fûmes rencontrés par des paysans à cheval qui crièrent de loin en nous menaçant de leurs armes : « Arrête, ou la mort!» L'un d'eux, me prenant pour un garde du Roi, me coucha en joue et allait tirer sur moi, lorsqu'un autre proposa de nous conduire à la municipalité de Vaugirard, « Il y en a déjà >> une vingtaine, disait-il, l'abatis sera plus » grand. » Arrivés à la municipalité, nos hôtes furent reconnus : le maire m'interrogea. « Pour» quoi dans le danger de la patrie n'es-tu pas >> à ton poste? Pourquoi quittes-tu Paris? Cela an» nonce de mauvaises intentions. »« Oui, » oui, » cria la populace, « en prison, les aristo>> crates! en prison ! » — « - « C'est précisément, répondis-je, parce que je voulais me rendre à "mon poste, que vous m'avez rencontré sur la >> route de Versailles, où je demeure; c'est là qu'est mon poste, comme c'est ici le vôtre. » — On interrogea aussi madame de Rambaut: nos hôtes assurèrent que nous disions la vérité, et l'on nous délivra des passe-ports. Je dois rendre grâce à la Providence de n'avoir pas été conduit à la prison de Vaugirard on venait d'y enfermer vingt-deux gardes du Roi, que l'on conduisit ensuite à l'Abbaye, où ils furent massacrés le 2 septembre suivant.

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De Vaugirard à Versailles, des patrouilles de gens armés nous arrêtèrent à chaque instant pour vérifier nos passe-ports. Je conduisis madame de Rambaut chez ses parens, et je partis aussitôt pour me rendre au sein de ma famille. La chute que j'avais faite en sautant par une fenêtre des Tuileries, la fatigue d'un voyage de douze lieues, et mes réflexions douloureuses sur les déplorables événemens qui venaient de se passer, m'accablèrent tellement, que j'eus une fièvre très-forte. Je gardai le lit pendant trois jours; mais, impatient de savoir le sort du Roi, je surmontai mon mal, et revins à Paris.

Le 13 au soir, j'appris à mon arrivée que la famille royale, après avoir été retenue depuis le 10 aux Feuillans, venait d'être conduite au Temple ; que le Roi avait fait choix pour son service de M. de Chamilly son premier valet de chambre, et que M. Huë, huissier de la chambre du Roi, et destiné à la place de premier valet de chambre de M. le Dauphin, devait servir ce jeune prince (1). Madame la princesse de Lamballe, madame la marquise de Tourzel et mademoiselle Pauline de Tourzel avaient accompagné la Reine. Les dames Thibaut, Bazire, Navarre et Saint-Brice, femmes

(1) M. Huë raconte avec intérêt les premiers momens de ce séjour au Temple. Voyez les Éclaircissemens (C).

(Note des nouv. éditeurs.)

de chambre, avaient suivi les trois Princesses et le jeune Prince.

l'on

Je perdis alors tout espoir de continuer mes fonctions auprès de M. le Dauphin, et j'allais retourner à la campagne, lorsque, le sixième jour de la détention du Roi, je fus informé que avait enlevé dans la nuit toutes les personnes qui étaient dans la tour auprès de la famille royale, et qu'après les avoir interrogées au conseil de la commune de Paris, on les avait conduites à la prison de la Force, excepté M. Huë qui fut ramené au Temple pour servir le Roi (1). On chargea Pétion, alors maire de Paris, d'indiquer deux autres personnes. Instruit de ces dispositions, je résolus de tenter tous les moyens de reprendre mon service auprès du jeune Prince. Je me présentai chez Pétion : il me dit que, faisant partie de la maison du Roi, je n'obtiendrais pas l'agrément du conseil général de la commune ; je citai M. Huë qui venait d'être envoyé par ce même conseil pour servir le roi ; il promit d'appuyer un mémoire que je lui remis; mais j'observai qu'il était nécessaire, avant tout, qu'il fit part au Roi de ma démarche. Deux jours après, il écrivit à Sa Majesté en ces termes :

(1) Voyez dans les Éclaircissemens (D), le récit de la première arrestation de M. Hue.

(Note des nouv. éditeurs.)

« SIRE,

>> Le valet de chambre attaché au prince royal >> depuis son enfance demande à continuer son >> service auprès de lui; comme je crois que cette >> proposition vous sera agréable, j'ai accédé à son » vou, etc. »

Sa Majesté répondit par écrit qu'elle m'agréait pour le service de son fils; en conséquence, je fus mené au Temple; on me fouilla, on me donna des avis sur la manière dont on prétendait que je devais me conduire, et le même jour, 26 août, å huit heures du soir, j'entrai dans la tour.

Il me serait difficile de décrire l'impression que fit sur moi la vue de cette auguste et malheureuse famille. Ce fut la Reine qui m'adressa la parole, et après des expressions pleines de bonté, « Vous >> servirez mon fils, ajouta-t-elle, et vous vous » concerterez avec M. Hue pour ce qui nous re» garde. » J'étais tellement oppressé, qu'à peine je pus répondre.

Pendant le souper, la Reine et les Princesses qui depuis huit jours étaient sans leurs femmes, me demandèrent si je pourrais peigner leurs chcveux ; je répondis que je ferais tout ce qui leur serait agréable. Un officier municipal s'approcha de moi, et me dit d'un ton assez haut d'être plus circonspect dans mes réponses. Je fus effrayé de ce début.

Les premiers huit jours que je passai au Temple, je n'eus aucune communication avec l'extérieur. M. Huë était seul chargé de recevoir et de demander les choses nécessaires pour la famille royale; je la servais indistinctement et conjointement avec lui. Mon service auprès du Roi se bornait à le coiffer le matin, et à rouler ses cheveux le soir. Je m'aperçus que j'étais sans cɩsse observé par les officiers municipaux ; un rien leur donnait de l'ombrage (1); je me tins sur mes gardes, afin d'éviter quelque imprudence qui m'aurait infailliblement perdu.

Le 2 septembre il y eut beaucoup de fermentation autour du Temple. Le Roi et sa famille descen

(1) Le fidèle Turgy, dont il sera question dans ces mémoires, donne, en ces mots, une idée des précautions tyranniques que prenaient les officiers municipaux.

« Après le souper, on annonça au Roi que, pour sa sûreté et celle de sa famille, ils occuperaient la tour pendant la nuit. On y avait posé une sentinelle à tous les étages. Les Marseillais ne cessèrent de chanter, au moment du passage de la Reine et pendant toute la nuit,

Madame monte à sa tour,

Ne sait quand descendra.

>> Dès que le Roi fut entré au Temple, on prescrivit les précautions les plus minutieuses. Voici de quelle manière se faisait le service qui me concernait. S'agissait-il du dîner ou d'un autre repas, on allait au conseil demander deux municipaux.

>> Ils se rendaient à l'office; on dressait les plats, on les goû

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