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qu'il avait pressenti s'est trouvé vrai; l'ouvrage est du docteur Gauden. L'Eikon renferme une prière empruntée, mot pour mot, de celle de Pamela, dans l'Arcadie de Philippe Sidney. Ce fut un grand sujet de moquerie pour les républicains et de confusion pour les royalistes qui avaient cru à l'authenticité du pourtraict de leur maître. Dans la suite, un nommé Henri Hills, imprimeur de Cromwell, prétendit que Milton et Bradshaw avaient obtenu de Dugar, éditeur de l'Eikon, l'insertion de la prière de Pamela, afin de détruire l'effet de l'Eikon. Rien dans le caractère de Milton n'autorise à croire qu'il eût pu se rendre coupable d'une pareille lâcheté. Comment aurait-il su qu'on imprimait le Portrait royal? Comment les parlementaires, qui auraient connu l'existence du manuscrit, ne l'auraient-ils pas arrêté? Les violences arbitraires étaient fort en usage parmi ces gens libres, non les fourberies: dans la correspondance secrète du Roi avec la Reine, qu'ils surprirent et imprimèrent, ils ne changèrent rien. Les interpolations, les falsifications, les suppressions, sont des moyens bas que la révolution anglaise a laissés à notre révolution.

Toutefois Johnson a cru qu'on avait dépravé le texte de l'Eikon Basiliké: « Les factions, dit-il, laissent ra

<«<rement un homme honnête, quoiqu'il puisse y être « entré tel....... Les régicides s'emparèrent des << papiers que le roi donna à Juxon sur l'échafaud, « de sorte qu'ils furent au moins les éditeurs de cette a prière (la prière prise de l'Arcadie de Sidney), et « le docteur Biche, qui a examiné ce sujet avec beau« coup de soin, croit qu'ils en furent les fabrica

<<< teurs. >>

Pour moi, en examinant de près l'Eikon Basiliké, il m'est venu une autre espèce de doute sur cet ouvrage: je ne puis me persuader que l'Eikon soit sorti tout entier de la plume du docteur Gauden. Le Ministre aura vraisemblablement travaillé sur des notes laissées par Charles Ier. Des sentimens intimes ne trompent pas; on ne peut se mettre si bien à la place d'un homme, que l'on reproduise les mouvemens d'esprit de cet homme dans telle ou telle circonstance de sa vie. Il me semble, par exemple, que Charles Ier a pu seul écrire cette suite de pensées :

<< Sous prétexte d'arrêter une bourrasque popu« laire, j'ai excité une tempête dans mon sein. (Charles se reproche ici la mort de Strafford.)

«O Dieu, que ta bénédiction m'octroye d'être tou<< jours raisonnable comme homme, religieux comme «< chrétien, constant et juste comme roi!

« Les événemens de toutes les guerres sont incertains, ceux de la guerre civile inconsolables : puis donc que, vainqueur ou vaincu, il me faut toujours ouffrir, donne-moi de ton esprit au double.

« J'ai besoin d'un cœur propre à beaucoup souf«frir!

« Lis mont cien peu laissé de cette vie, et seulement l'écorce.

« Mon fils, s'il faut que vous ne voyiez plus ma face, et que ce soit l'ordre de Dieu que je sois enterré pour jamais dans cette obscure et si barbare prison, adieu.

« Je laisse à vos soins votre mère: souvenez-vous qu'elle a été contente de souffrir pour moi, avec « moi et avec vous aussi, par une magnanimité in<< comparable.

« Quand ils m'auront fait mourir, je prie Dieu qu'il «ne verse point les fioles de son indignation sur la « généralité du peuple.

« J'aimerais mieux que vous fussiez Charles le Bon « que Charles le Grand. J'espère que Dieu vous aura << destiné à pouvoir être l'un et l'autre.

« Vous ferez plus paraître et exercerez plus légi<<< timement votre autorité en relâchant un peu de la «< sévérité des lois, qu'en vous y attachant si fort; car

<< il n'y a rien de pire qu'un pouvoir tyrannique exercé << sous les formes de la loi.

«Que ma mémoire et mon nom vivent en votre << souvenir.

« Adieu, jusqu'à ce que nous puissions nous ren<< contrer au ciel, si nous ne le pouvons pas en la « terre.

« J'espère qu'un siècle plus heureux vous attend.»

DÉFENSE DU PEUPLE ANGLAIS CONTRE SAUMAISE.

Bientôt parut celui des ouvrages de Milton, qui, de son vivant, lui donna le plus de renommée : c'est sa Défense du peuple anglais contre l'écrit de Saumaise en faveur de la mémoire de Charles Ier. « Les « attaques contre un roi qui n'est plus, dit avec raison « et éloquence M. Villemain, ces insultes au-delà de << l'échafaud avaient quelque chose d'abject et de fé« roce, que l'éblouissement du faux zèle cachait à « l'ame enthousiaste de Milton. >>

Defensio pro populo Anglicano est écrit en prose latine, élégante et classique; mais Milton ne s'y montre que le traducteur de ses propres sentimens pensés en anglais, et il perd ainsi son originalité nationale. Tous cès chefs-d'œuvre de latinité moderne feraient bien rire les écoliers de Rome s'ils venaient à ressusciter.

Milton dit d'abord à Saumaise que lui Saumaise ne sait pas le latin; il lui demande comment il a écrit

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