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Au-dessus d'une foule de prosateurs et de poètes, pendant les règnes orageux de Charles Ier et du Protecteur, s'élève la belle tête de Milton. Où sont les contemporains de ce Génie, les Cowley, les Waller, les Denham, les Marvel, les Suckling, les Crashaw, les Lovelace, les Davenant, les Wither, les Habington, les Herbert, les Carew, les Stanley? Excepté deux ou trois de ces noms, quel lecteur français connaît les autres? Le Génie du christianisme parle raisonnablement du Paradis Perdu : j'avais à faire amende honorable d'une partie de mes jugemens sur Shakspeare et Dante; je n'ai rien à réparer auprès de l'homme dont le poëme a été l'occasion de ces recherches sur la littérature anglaise : il ne me reste qu'à développer les motifs d'une admiration accrue par un examen plus approfondi d'un chef-d'œuvre. Obligé de m'arrêter à

des beautés que j'essayais de faire passer dans notre langue, je les ai mieux appréciées, en désespérant de les reproduire telles que je les sentais.

Milton n'était plus; on ne le connaissait pas : son génie, sorti du tombeau comme une ombre, vint demander au monde pourquoi on l'ignorait sur la terre. Étonné, on regarda ces grands Manes; on se demanda si réellement l'auteur de douze mille vers oubliés, était immortel. La vision éclatante et majestueuse fit d'abord baisser les yeux; puis on se prosterna et on adora. Alors il fallut savoir ce qu'avait été ce secrétaire de Cromwell, ce pamphlétaire apologiste du régicide, détesté des uns, méprisé des autres. Bayle commença et s'enquit des faits touchant la taille et la mine de Milton : cette mine-là était fière, et valait bien celle d'un roi.

Une malédiction était dans la famille noble de Milton, dépouillée de sa fortune pendant les guerres civiles de la Rose rouge et de la Rose blanche : le père de Milton était protestant et son grand-père catholique; celui-ci avait déshérité son fils. La malédiction de l'aïeul, sautant une génération, se reposa sur la tête du petit-fils.

Le père de Milton, établi à Londres où il devint notaire (scrivener), épousa Sarah Caston, de l'ancienne

famille de Bradshaw ou des Hangton, dont il eut une fille, Anne, et deux fils, Jean et Christophe. Christophe, le cadet, fut royaliste, devint un des barons de l'échiquier et juge des Common Pleas sous Jacques II; il s'éteignit dans l'obscurité, dépouillé ou démissionnaire de sa place, peu de temps après ou avant la révolution de 1688; Jean, l'aîné, fut républicain et mourut non aperçu comme son frère : mais la raison de la nuit qui l'environnait était d'une tout autre nature; on peut dire de lui ce qu'il a dit de la Montagne-Sainte dans le ciel « On ne la voyait point, parce qu'elle était << obscurcie par l'excès de la lumière. >>

Le père de Milton aimait les arts : il avait composé un in Nomine à quarante parties; quelques vieux airs de lui ont été conservés dans le recueil de Wilby. Apollon, partageant ses présens entre le père et le fils, avait donné la musique au père, la poésie au fils.

Dividuumque Deum, genitorque, puerque tenemus.
(Milto ad patrem.)

Milton, le père, était peut-être né en France. Son immortel fils naquit le 9 décembre 1608, dans la Cité de Londres, Bread-Street, à l'enseigne de l'Aigle, augure et symbole. Shakspeare vivait encore: Milton reçut une éducation domestique lettrée, à l'ombre du

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tombeau de ce grand génie inculte. Il acheya ses humanités à l'école de Saint-Paul à Londres, sous le docteur Alexandre Gill; il eut pour tuteur Young, puritain. Son extrême application à l'étude lui donna de bonne heure des douleurs de tête et une grande faiblesse de vue; maux habituels de sa vie, dont il avait reçu le germe de sa mère. A dix-sept ans il passa au collège de Christ à Cambridge en qualité de pensionnaire minor, et à la surveillance du savant William Chappel, depuis évêque de Cork et Ross en Irlande. La beauté de Milton le fit surnommer « la « dame du collège de Christ»: the lady of Chrit's college: il rappelle complaisamment ce nom dans un de ses discours à l'université. Il donna des marques de ses dispositions poétiques, en composant des pièces latines, et des paraphrases des Psaumes en vers anglais. L'hymne sur la Nativité est admirable de rhythme, et d'un effet inattendu.

« C'était l'hiver; l'enfant né du ciel était venu en<< veloppé dans de rudes et pauvres langes; la Nature « s'était dépouillée de sa riante parure, pour sympa~ «thiser avec son maitre: ce n'était pas le moment « pour elle de se livrer aux plaisirs avec le Soleil son << amant; seulement elle avait caché sa faiblesse sous « l'innocente neige, et jeté sur elle le saint et blanc

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