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Joli jardin, vraiment ! » s'écria-t-il, saisi comme les dieux d'Homère d'un rire inextinguible. Mais John Bull, dans sa brutalité, était meilleur juge des beautés de Shakspeare, que ces dandys, qui préfèrent actuellement les pièces de Kotzebue et de nos boulevarts, traduites en anglais, aux scènes de Richard III et d'Hamlet.

La littérature germanique a envahi la littérature anglaise, comme la littérature italienne d'abord, et la littérature française ensuite, firent autrefois irruption dans la patrie de Milton. Walter Scott débuta dans la carrière des lettres par la traduction du Berlichingen de Goëthe. Puis les drames de Kotzebue profanèrent la scène de Shakspeare: on aurait pu choisir autrement, puisqu'on avait Goëthe, Schiller et Lessing. Quelques poètes écossais ont imité mieux, dans leur courage et dans leurs montagnes, ces chants guerriers de la nouvelle Germanie, que M. Saint-MarcGirardin nous a fait connaître, comme M. Ampère nous a initiés aux Edda, aux Sagas et aux Nibelungen.

«Comme elle dort (la reine de Prusse) douce<< ment! Ses traits respirent encore je ne sais quel air « de vie. Ah! puisses-tu dormir jusqu'au jour où ton << peuple lavera dans le sang la rouille de son épée,

< dormir jusqu'à la nuit, la plus belle des nuits, qui «verra briller sur les montagnes les signaux de la << guerre. Eveille-toi alors, éveille-toi, sainte patrone « de l'Allemagne : sois son ange, l'ange de la liberté << et de la vengeance (1)! »

(1) Kærner: Notices sur l'Allemagne. M. Saint-Marc Girardin.

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L'éloquence politique pourrait être considérée comme faisant partie de la littérature britannique (1) : j'ai été à même de la juger à deux époques bien différentes de ma vie.

« L'Angleterre de 1688 était, vers la fin du siècle dernier, à l'apogée de sa gloire. Pauvre émigré à Londres de 1792 à 1800, j'ai entendu parler les Pitt, les Fox, les Sheridan, les Wilberforce, les Grenville, les Whitbread, les Lauderdale, les Erskine; magnifique ambassadeur à Londres en 1822, je ne saurais dire à quel point je fus frappé, lorsque, au lieu des grands orateurs que j'avais admirés autrefois, je vis se lever ceux qui étaient leurs seconds à la date de mon

(1) Tout ce qui suit jusqu'au chapitre Voyages est extrait de mes Mémoires, et marqué de guillemets.

premier voyage, les écoliers à la place des maîtres. Albion s'en va comme le reste; les idées générales ont pénétré dans cette société particulière et la mènent. Mais l'aristocratie éclairée, placée à la tête de ce pays depuis cent quarante ans, aura montré au monde une des plus belles et des plus puissantes sociétés qui aient fait honneur à l'espèce humaine, depuis le patriciat romain. Les derniers succès de la couronne britannique sur le continent ont précipité sa chute : l'Angleterre victorieuse, de même que Bonaparte vaincu, a perdu son empire à Waterloo.

«En 1796 j'assistai à la mémorable séance de la chambre des Communes, où M. Burke se sépara de M. Fox. Il s'agissait de la révolution française, que M. Burke attaquait et que M. Fox défendait. Jamais les deux orateurs, qui jusqu'alors avaient été amis, ne déployèrent autant d'éloquence. Toute la chambre fut émue, et des larmes remplirent les yeux de M. Fox, quand M. Burke termina sa réplique par ces paroles :

« Le très honorable gentleman, dans le discours « qu'il a fait, m'a traité à chaque phrase avec une « dureté peu commune; il a censuré ma vie entière, << ma conduite et mes opinions. Nonobstant cette << grande et sérieuse attaque, non méritée de ma part,

<< je ne serai pas épouvantė; je ne crains pas de décla<< rer mes sentimens dans cette chambre, ou partout « ailleurs. Je dirai au monde entier, que la constitu« tion est en péril. C'est certainement une chose in« discrète en tout temps, et beaucoup plus indiscrète << encore à cet âge de ma vie, que de provoquer des << ennemis ou de donner à mes amis des raisons de << m'abandonner. Cependant si cela doit arriver pour << mon adhérence à la constitution britannique, je ris<< querai tout, et comme le devoir public et la pru<< dence publique me l'ordonnent, dans mes dernières << paroles je m'écrierai : Fuyez la constitution fran«çaise ! » « — Fly from the french constitution. »

<< M. Fox ayant dit qu'il ne s'agissait pas de perdre des amis, M. Burke s'écria :

« Oui, il s'agit de perdre des amis ! Je connais le « résultat de ma conduite; j'ai fait mon devoir au << prix de mon ami, notre amitié est finie: I have « done my duty at the price of my friend; our friends«hip is at an end. J'avertis les très honorables gent«lemen qui sont les deux grands rivaux dans cette «< chambre, qu'ils doivent à l'avenir (soit qu'ils se << meuvent dans l'hémisphère politique comme deux << flamboyans météores, soit qu'ils marchent ensem<< ble comme deux frères) je les avertis qu'ils doivent

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